Accueil Édition Abonné Décembre 2017 Airbus, le protectionnisme redécolle !

Airbus, le protectionnisme redécolle !


Airbus, le protectionnisme redécolle !
Un Airbus A330 décolle de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, octobre 2017. SIPA. AP22119018_000002

En jouant intelligemment la carte protectionniste, le consortium européen a raflé un gigantesque marché à la barbe de Boeing. Malheureusement, les derniers succès commerciaux d’Airbus ne profitent guère à l’industrie aéronautique française. 


Airbus ne cesse de faire la une des médias. C’est d’abord une affaire de corruption qui engage le PDG en personne, Tom Enders – qui a quitté la direction de la société. C’est ensuite le rachat inopiné du dernier programme du canadien Bombardier, le C Series. C’est enfin la commande sans précédent de 430 Airbus de la famille A320 par la compagnie de louage américaine Indigo au salon de Dubaï. Les trompettes de la renommée ne cessent de résonner pour le groupe franco-germano-anglo-espagnol. Faut-il dire désormais Airbus ou Airbuzz ?

Tous les avions supplémentaires seront réalisés en Allemagne et aux États-Unis

L’affaire de corruption est banale puisqu’elle consiste à accéder aux demandes des autorités qui passent commande. Mais comme ces pratiques inévitables restent proscrites par les tartuffes du système, le groupe Airbus va devoir acquitter des milliards d’euros d’amendes au détriment de sa capacité d’action sur les nouveaux programmes.

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La commande d’Indigo vient consolider un carnet qui représente quelque sept années de production pleine. Mais les commentaires qui l’ont assortie montrent l’ignorance de la corporation journalistique. En effet, tous les avions supplémentaires seront réalisés en Allemagne et aux États-Unis. On ne sait plus ou on ne veut plus savoir que la France a accepté, en l’an 2000, que tous les Airbus A320 excédant le niveau de commandes du moment soient assemblés à Hambourg. Ce qui fait qu’en 2017, 12 appareils sont assemblés chaque mois à Toulouse, comme en 2000, mais plus de 30 à Hambourg, au lieu de 12 ! D’autres avions sont livrés à partir de l’usine chinoise de Tianjin et de l’usine américaine de Mobile, dans l’Alabama. Cet épisode oublié montre les ravages exercés par le concept d’entente franco-allemande sur les cerveaux de nos énarques. Pour clore ce chapitre douloureux, la méga commande de Dubaï va grossir le PIB, les emplois, les revenus, les recettes fiscales et les exportations de l’Allemagne.

C’est cependant la transaction entre Airbus et Bombardier qui nous importe le plus, car elle repose la question sulfureuse de la protection commerciale. Cette controverse a été ouverte entre 2008 et 2009 à la faveur de la grande récession occidentale avant d’être refermée promptement aux premiers signes d’embellie économique. Or, la décision stratégique des dirigeants d’Airbus fait revenir par la fenêtre cette intruse que les bien-pensants – ou rien-pensants – avaient expulsée du débat par la porte principale.

Boeing, Airbus, Bombardier ou le retour du boomerang

Boomerang[tooltips content= »Michael Lewis, Boomerang, Sonatine,2012.« ]1[/tooltips] est le titre d’un livre éclairant du journaliste américain Michael Lewis écrit au lendemain de la grande faillite américaine et européenne. L’auteur y montre comment les errements et les turpitudes des États et des banques se sont retournés contre leurs auteurs aux États-Unis, en Irlande, en Grèce et autres lieux. C’est le titre qui s’impose pour notre sujet.

Tout commence avec une requête adressée par Boeing à l’administration américaine après une commande de 75 C Series par Delta Airlines à Bombardier. Boeing soutenait que les avions réalisés au Québec, avec un prix de revient estimé à 33 millions de dollars pièce, mais vendus 20 millions chacun, bénéficiaient d’un dumping massif. Les autorités de Washington ont accédé à sa demande en maniant le big stick sous la forme de droits de douane de 220 %, qui fermaient le marché américain, premier au monde, au C Series !

Les dirigeants de Bombardier et d’Airbus ont alors pris langue pour mettre au point une formule de contournement de la mesure protectionniste. Airbus a racheté sans frais le programme C Series tout en mettant cependant la main à la poche pour ouvrir une ligne d’assemblage de l’appareil dans son usine de Mobile, l’objectif étant de livrer la commande de Delta et d’autres compagnies à partir du sol américain. Boeing a été pris à revers[tooltips content= »Gros-Jean comme devant, titrait l’éditorialiste du magazine Air et Cosmos en date du 20 octobre 2017″]2[/tooltips].

Le marché américain a été rouvert à Bombardier qui va profiter, pour sa propre production au Québec, de la force de vente d’Airbus. C’est tant mieux pour la concurrence. C’est tant mieux pour un avion, le plus récent et le plus économique à l’usage de sa catégorie, dont le constructeur n’aurait pu, sans cela, amortir les frais de recherche et développement. C’est tant mieux pour Airbus qui peut intercaler dans son portefeuille un avion plus moderne et plus adapté que l’Airbus A319, qui était son concurrent direct.

Qui a peur du grand méchant loup ?

Au passage, les grands hommes de la transaction, Tom Enders et Fabrice Brégier, chez Airbus, Pierre Beaudoin et Alain Bellemare, chez Bombardier, ont, à leur corps défendant, dispensé une imparable leçon sur la question du libre-échange et de la protection commerciale. À quoi sert la protection commerciale en régime de globalisation ? À localiser la production sur les territoires où s’exprime la demande. L’action conduite par Boeing et la riposte menée par Airbus et Bombardier permettent de tirer deux leçons.

Premièrement, la protection commerciale n’entrave pas la concurrence, mais la recadre. L’exemple de Bombardier vaudrait plus encore pour toutes ces productions localisées sur les sites de production à bas coût de la main-d’œuvre et de la matière grise, de l’Asie industrielle ou du tiers-monde. Des taxes douanières appropriées conduiraient les importateurs de toutes sortes à produire sur place, dans les territoires où s’exprime la demande correspondante, en respectant les normes sociales, sanitaires et environnementales en vigueur. Cela renvoie à la supercherie européenne. Le grand marché intérieur de 450 millions d’habitants, assorti du libre-échange avec les pays moins chers, a puissamment aidé à la démultiplication des profits. Avec ce grand marché ouvert sur l’extérieur, les forces centrifuges l’ont emporté sur les forces centripètes du marché commun d’origine. Au profit de la création de valeur pour l’actionnaire qui est la loi de l’expérience néolibérale.

Deuxième leçon, la protection commerciale n’entrave pas les échanges, mais réduit les lignes logistiques, ainsi que leurs coûts économiques et écologiques. Un produit quelconque conçu en Asie, mais produit en Europe pour atteindre les acheteurs européens n’aura plus besoin de franchir des milliers de kilomètres avant de tomber dans les mains de son destinataire final. PSA vient de fournir le contre-exemple de la gestion opportuniste de la globalisation. Il a fait le choix de batteries coréennes de marque LG pour équiper ses véhicules hybrides et électriques à partir de 2019. Où seront produites les batteries ? En Corée ? Vous n’y êtes pas, la Corée est trop chère. Elles viendront de Chine, par avions-cargos. Imaginez le coût écologique de leur transport alors que le constructeur communiquera sur ses voitures propres ! N’y avait-il pas un ou plusieurs sites de production adéquats en Europe pour desservir les 20 usines d’assemblage du groupe sur le Vieux Continent ?

Mais voilà que le grand méchant loup, alias la protection commerciale, montre à nouveau le bout de sa queue. En effet, l’affaire Bombardier a ému les milieux d’affaires qui craignent les conséquences de ce mauvais exemple. Ce n’est pas « bon pour le business », commentait un éditorialiste du Financial Times. Mais c’est quoi, le business, coco ?

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Décembre 2017 - #52

Article extrait du Magazine Causeur




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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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