Identité, Europe, immigration, ancrage à droite: avant même son élection prévisible, Laurent Wauquiez, le candidat à la présidence LR revendique sa rupture avec l’héritage de la droite gestionnaire. Entretien exclusif (2/2).
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Le modèle républicain assimilationniste vous paraît-il adapté aux dernières vagues d’immigration afro-maghrébine ?
Il est évidemment plus facile d’intégrer des populations qui ont les mêmes références artistiques, culturelles ou religieuses, mais il n’y a jamais d’impossibilité à intégrer quelqu’un. Notre modèle reste opérationnel, mais on a renoncé à l’appliquer. En trente ans, le creuset républicain a progressivement laissé place à une juxtaposition de communautés dans laquelle chacun revendique et oppose aux autres un droit à la différence.
Et vous, quelle politique migratoire mèneriez-vous ?
L’immigration doit être réduite au strict minimum, c’est-à-dire à quelques dizaines de milliers d’arrivées par an, aussi longtemps que nous n’avons pas réussi à reconstruire notre modèle d’intégration. En matière de politique migratoire, tout est à revoir : la jurisprudence, les textes de loi, la politique européenne. Dans ce domaine, je souhaite que la France retrouve sa souveraineté. Il est d’ailleurs ahurissant qu’on n’ait jamais demandé leur avis aux Français : quelle immigration voulez-vous ?
Un pays comme l’Allemagne, qui a une faible croissance démographique et un très faible taux de chômage a un très gros besoin migratoire, alors que la France a plutôt un bon taux démographique, mais souffre du manque d’emplois. Comme le Canada, la France devrait choisir le profil professionnel de ses immigrés, sachant qu’il est plus facile d’intégrer un codeur informatique que d’intégrer quelqu’un qui a une formation d’éducateur…
Il faut transmettre la fierté et l’amour de la France
En réalité, l’essentiel de l’immigration française est « d’auto-engendrement », comme le dit Michèle Tribalat. Autrement dit, par des mariages mixtes endogames, beaucoup d’enfants d’immigrés épousent une fille du bled. Allez-vous empêcher cette pratique ?
Vous n’interdisez pas un mariage, mais il y a des questions à se poser sur le cap d’obtention de la nationalité.
Mettons les pieds dans le plat : l’islam est-il un problème pour la République ?
Je connais bien l’islam pour avoir vécu quelque temps en Égypte, parler un peu arabe et avoir travaillé sur l’histoire de la confrontation entre les deux rives de la Méditerranée. Dans sa construction même, l’islam est traversé par un affrontement entre une partie intégriste et une composante plus moderne. Même dans la collation des textes du Coran cohabitent des sourates qui sont d’une extraordinaire intolérance et d’autres qui sont des messages d’apaisement et de tolérance. N’oublions pas que par le biais de l’Espagne andalouse, les Maures ont contribué à nous transmettre l’héritage des Grecs. Nous avons donc une vraie bataille à mener pour que la composante intégriste ne l’emporte pas.
Dans ma région, j’ai par exemple refusé de financer un institut dit « musulman », en partie financé par l’Arabie saoudite. Quand l’enquête de l’Institut Montaigne révèle que pour 30 % de la communauté musulmane, la charia doit être supérieure à la loi de la République, on mesure l’ampleur du chemin à parcourir. Je suis aussi très frappé par l’émergence extrêmement inquiétante d’un nouvel antisémitisme. Un journal aussi érudit que Le Monde a récemment publié un reportage en une sans jamais dire d’où venait cet antisémitisme…
Pardon, mais cet antisémitisme existe depuis quinze ans au moins, et nous n’avons cessé d’alerter ; sans aucun succès d’ailleurs, jusqu’au 7 janvier 2015. Ça fait exactement quinze ans que ça existe et on le dit tout le temps.
Dans ma région, je vois la communauté juive déserter certaines villes où sa sécurité n’est plus assurée. Quand je discute avec le grand rabbin de Lyon, il me décrit les crachats, les attaques, les insultes dont il fait l’objet quand il se promène en ville… Or, l’antisémitisme est la pointe avancée d’un combat entre la République et l’islam intégriste.
On trouve beaucoup de politiques qui ont des propos déterminés sur le terrorisme, mais très peu pour s’attaquer à la face immergée de l’iceberg, qu’est l’implantation progressive, dans les esprits, de cet intégrisme islamique.
Il est effectivement plus facile de mener le combat sécuritaire que la bataille des esprits. Comment vous y prendriez-vous pour reconquérir cette fraction de la jeunesse musulmane qui a fait sécession mentalement et ressouder la communauté nationale ?
J’aime cette phrase de Simone Weil : « Éduquer, c’est donner quelque chose à aimer. » Ce « quelque chose à aimer », c’est la France. Il faut transmettre la fierté et l’amour de la France. Or, l’identité française repose sur trois fondamentaux qu’on a totalement démembrés. Tout d’abord, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), la constitution de l’identité française est intrinsèquement liée à la langue. C’est pourquoi le combat contre l’écriture inclusive n’est pas du tout anecdotique.
Comment apprendre à ceux qui viennent chez nous à aimer la France quand nous-mêmes ne l’aimons plus ?
Saluons donc la position claire et censée du Premier ministre à ce sujet…
Le deuxième pilier, c’est l’histoire. Moi qui suis agrégé d’histoire, je mesure à quel point on a basculé dans une culture de la repentance. Ouvrez un manuel : du Moyen Âge jusqu’à la collaboration en passant par la colonisation, c’est une succession de devoirs de mémoire conçus comme des devoirs de repentance. Comment apprendre à ceux qui viennent chez nous à aimer la France quand nous-mêmes ne l’aimons plus ? En France, le passé n’est pas une nostalgie, c’est une promesse d’avenir. J’entends combattre cette maladie mortifère du progressisme qui consiste à croire qu’un pays qui renonce à son histoire est un pays moderne.
Même si vous arrivez aux affaires, Patrick Boucheron, qui a dirigé L’Histoire mondiale de la France, occupera toujours une chaire au Collège de France et continuera à vendre des centaines de milliers d’exemplaires de ses livres…
Certes, mais j’ai la conviction que la majorité du pays n’est pas de ce côté-là. Ceci m’amène au troisième pilier de l’identité française : la géographie. En France, la construction de l’État-nation est allée de pair avec une certaine vision de l’aménagement du territoire. Or, le gouvernement donne l’impression que seule la métropole parisienne a de l’avenir, tandis que le reste est un désert qu’il n’aménage plus et que les territoires perdus de la République sont à l’abandon. Certains s’offusquent lorsque je dis que dans certains quartiers de Saint-Étienne ou de Firminy, les policiers ne peuvent même plus entrer. C’est pourtant la réalité !
Enfin, pour compléter la définition de l’identité, je voudrais réhabiliter la notion de frontière. La frontière permet le dialogue, c’est ce qui définit ce qui est dedans et ce qui est dehors.
Ce qui veut dire que vous êtes un peu moins libéral et un peu plus protectionniste que François Fillon ?
C’est vrai.
Je viens d’un milieu de bonne famille et je suis un pur produit des grandes écoles françaises
Il serait bienvenu de recouvrer des marges de souveraineté, mais comment vous émanciperez-vous de la Cour de justice européenne ?
S’il faut changer notre rapport à la Cour européenne des droits de l’homme, on le changera ! S’il faut adapter la Constitution, on l’adaptera ! Au xixe siècle, la République a construit ses fondamentaux dans une très grande adversité : une révolution industrielle, des changements sociologiques d’une brutalité inouïe, l’émergence d’une conscience critique extraordinaire. La seule différence de fond, c’est qu’à l’époque on avait des politiques courageux et qu’aujourd’hui on a démissionné.
Le jeune homme que vous étiez il y a encore quelques années n’y reconnaîtrait pas ses petits ! Comment expliquez-vous votre évolution politique, du centre droit bon teint à une droite dite « populiste » ?
Mon parcours est une libération progressive des carcans. Je viens d’un milieu de bonne famille et je suis un pur produit des grandes écoles françaises. J’en suis très fier, mais j’en connais aussi les limites, notamment en matière de moule de pensée. En réalité, je n’ai jamais été centriste, mais j’ai succédé au centriste Jacques Barrot. Jeune député à l’Assemblée nationale, j’ai fait le singe savant, en récitant la partition qu’attendaient les médias. Ensuite, j’ai été précipité dans l’ivresse du début de quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui m’a fait confiance et donné ma chance. Dans le fond, la première étape de mon émancipation a été ma décision de choisir la Haute-Loire plutôt que les palais de la République qu’affectionne Emmanuel Macron. C’est le réel qui nous enseigne : j’ai vu le déclassement des classes moyennes, la difficulté à maintenir le tissu industriel… À un moment donné, soit vous acceptez de voir le réel en face, soit il faut définitivement se taire.
Y a-t-il eu un moment déclencheur de votre mue idéologique ?
Le débat sur le RSA a été libérateur. Au moment où Martin Hirsch était au sommet de la courtisanerie vis-à-vis de Sarkozy, j’ai refusé de me soumettre. J’ai alors dit clairement qu’on irait dans le mur, au mépris de ce pour quoi on avait été élus, si l’on ne faisait plus de différence entre le travail et l’assistanat. Depuis dix ans, ayant choisi d’arrêter de jouer la comédie, je n’ai pas bougé d’un pouce.
Il y a chez les dirigeants du FN une vision extrêmement rabougrie, diminuée et caricaturale de la France
Mais beaucoup vous accusent d’opportunisme…
Parce que je ne dis pas la même chose qu’à 18 ans, je serais taxé d’inconstance ? Et Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, eux ne sont pas opportunistes ? Ma détermination est totale. Je connais le prix à payer puisque de chouchou des médias, je suis devenu leur tête de Turc. Il y a un beau trait d’humour d’Yvan Audouard : « Les coupures de presse sont celles qui cicatrisent le plus vite. » Et je voudrais citer aussi Michel Houellebecq, pour lequel j’ai une tendresse sans limites. Il m’a rendu un hommage espiègle en me disant : « Quelqu’un qui est autant critiqué par certains médias ne peut pas être totalement mauvais. »
Vous parlez de courage, mais vous avez viré le malheureux Christophe Billan de la présidence de Sens commun parce qu’il proposait de dialoguer avec Marion Le Pen.
Je n’ai viré personne ! Je ne suis jamais intervenu dans la gouvernance de Sens Commun.
Pourquoi ne pas pousser la transgression jusqu’à vous rapprocher du Front national ?
Parce que le Front national n’apporte rien à ma vision et à mon projet. Il y a chez ses dirigeants une vision extrêmement rabougrie, diminuée et caricaturale de la France et je ne suis pas du tout sûr qu’ils se soient tous vraiment débarrassés de l’antisémitisme. En réalité, ces gens-là sont la meilleure façon de tuer nos idées.
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