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« La bulle du bitcoin finira par éclater »

Entretien avec l'économiste Eric Pichet


« La bulle du bitcoin finira par éclater »
Bitcoin. Sipa. Numéro de reportage : Shutterstock40606887_000005.

Pour l’économiste Eric Pichet, la spéculation sur la monnaie digitale n’aura qu’un temps. Le bitcoin s’est envolé de 80 000% en 8 ans. Quand la bulle explosera, l’économie réelle reprendra ses droits.


Daoud Boughezala. Ma première question sera on ne peut plus simple : qu’est-ce que le bitcoin ?

Eric Pichet[tooltips content= »Professeur de macro-économie et de politique monétaire à la Kedge Business School.« ]1[/tooltips]. Créé en 2009 sur la base d’une parité 1 bitcoin pour 1 dollar, le bitcoin est une monnaie digitale (ou crypto-monnaie), une unité de compte stockée sur un support électronique, totalement immatérielle, qui n’est pas officielle et qui s’échange sur Internet aussi facilement que l’envoi d’un mail. Le bitcoin fonctionne comme un actif financier (action ou obligation), à la différence près qu’il n’y a pas de contrepartie concrète derrière et qu’il ne rapporte rien.

Face à une offre limitée, la demande mondiale de bitcoins a été accentuée par le buzz médiatique

Comment fonctionne ce marché ?

Sur la base d’un système décentralisé de validation des transactions sur Internet appelé « blockchain » ou chaine de valeurs. Des « mineurs » authentifient chaque transaction en bitcoins et sont rémunérés pour ce travail par la création de nouveaux bitcoins dans la « mine » virtuelle. L’algorithme limite toutefois le nombre total de bitcoins susceptible d’être créés à 21 millions en… 2141. Aujourd’hui, 18 millions de bitcoins ont été émis mais les bitcoins perdus ne sont pas recréés. Si vous perdez la clé d’accès à votre compte, vos bitcoins seront définitivement perdus. Ainsi, on estime que 20% des bitcoins ont disparu, ce qui ramène donc à  environ 15 millions le nombre de bitcoins actuellement en circulation.

Les « mineurs » échangent-ils leurs bitcoins de façon totalement anonyme ?

En fait tous les détenteurs de bitcoins, que ce soient les mineurs ou ceux qui les ont achetés sur le marché secondaire, peuvent les revendre de façon cryptée et sous pseudonyme. C’est toute la différence avec le cash : quand quelqu’un vous paie en liquide, c’est totalement anonyme. Le marché des bitcoins est donc semi-anonyme : moins anonyme que le cash car il est théoriquement possible de remonter toutes les chaines de la blockchain, mais plus anonyme que les virements bancaires.

Comment expliquer l’explosion du cours du bitcoin, qui a cru de 1000% en un an et de 80 000% en huit ans ?

Le nombre de détenteurs de bitcoins est aujourd’hui estimé entre 10 et 15 millions. N’importe qui dans le monde peut en acheter, y compris sous la forme de fractions de bitcoin jusqu’à huit chiffres après la virgule (ou un cent millionième de bitcoin) ce qui rend la spéculation sur cet actif immatériel à la portée de tous. Il suffit pour cela d’ouvrir un compte virtuel (un « wallet ») et de payer en devises officielles à un vendeur soit sur une plate-forme d’échange soit de gré à gré. C’est aussi simple que d’envoyer un mail. S’est ainsi mis en place un effet entonnoir : face à une offre limitée, la demande mondiale de bitcoins a été accentuée par le buzz médiatique, ce qui a fait grimper son cours.

L’achat de bitcoins peut être motivé par une volonté de blanchiment d’argent obtenu par la corruption

D’un jour, voire d’une heure, à l’autre, le cours du bitcoin fluctue énormément. Cette grande volatilité pourrait-il créer une boule spéculative ?

On est déjà dans une bulle. C’est la définition même de la bulle : acheter un actif uniquement dans une optique de plus-value, sans se préoccuper de sa valeur intrinsèque. Les nouveaux acheteurs n’y connaissent rien, achètent simplement des bitcoins sur l’idée qu’ils pourront les revendre à un prix double deux mois plus tard. Le problème avec une bulle c’est qu’il n’est pas possible de savoir jusqu’où elle peut aller et quand elle éclatera. Le cours du bitcoin finira inéluctablement par retomber.

Et les utilisateurs un peu plus aguerris, en fonction de quels événements décident-ils d’acheter ou de revendre des bitcoins ?

L’achat de bitcoins peut être motivé par une volonté de blanchiment d’argent obtenu par la corruption. L’an dernier, la Chine représentait 80% des transactions de bitcoins, en partie pour ces motifs. En outre, les Chinois étant très joueurs, ils se sont lancés à fond sur cet instrument spéculatif.

Il n’est pas non plus impossible que l’actuelle flambée du bitcoin ait un lien avec la récente campagne anti-corruption en Arabie Saoudite. Un certain nombre de fortunes qui ont leur agent bloqué dans le pays peuvent chercher à s’en échapper en achetant du bitcoin. En l’occurrence, on passe du secteur légal au « Darknet », sous les radars de la Toile.

Des hackers très sophistiqués pourraient entrer dans le système, créer des millions de faux bitcoins, ce qui ferait s’effondrer les cours

Justement, dans l’enquête de Pierre Gastineau et Philippe Vasset Armes de déstabilisation massive (Fayard, 2017), on découvre que les fuites de données destinées à affaiblir une entreprise ou un Etat sont l’œuvre de pirates recrutés sur le Darknet puis payés en bitcoins. Les Etats finiront-ils par réguler ce pan de l’économie grise ?

Comme on l’a vu avec la lutte contre les paradis fiscaux, une coalition des principaux Etats pourrait agir et décider d’interdire le bitcoin. Je ne serai pas surpris si un jour les banques centrales demandaient au législateur de chaque pays de proscrire le bitcoin comme instrument de paiement. Mais pour l’instant, si le bitcoin n’est nulle part une monnaie ayant cours légal il n’est pratiquement interdit nulle part non plus. Mieux, après l’avoir banni, certains pays comme le Thaïlande et la Russie sont revenues sur leur décision.

Une autre cause d’éclatement de la bulle pourrait venir d’une effraction dans le système : compte tenu de l’envolée des cours, des hackers très sophistiqués pourraient entrer dans le système, créer des millions de faux bitcoins, ce qui ferait s’effondrer les cours.

Mais le système de sécurité du bitcoin, le fameux blockchain répartie dans des milliers d’ordinateurs à travers le monde, est réputée infaillible et inviolable…

Aucun système de sécurité privé n’est 100% inviolable. On ne parle pas ici de l’or stocké dans les coffres de la Banque de France.

Il n’est pas réaliste de penser que le bitcoin pourra concurrencer les deux grandes devises

Dans Le Point, Nicolas Baverez se montre bien plus optimiste que vous, voyant dans le bitcoin une voie monétaire de salut pour des pays instables soumis à une forte inflation comme le Venezuela ou le Zimbabwe…

En fait de voie de salut, ce serait plutôt une fuite en avant. Avec le bitcoin, l’économie irait de Charybde en Scylla car le moins qu’on puisse dire est que le bitcoin n’est pas un actif financier très stable. Dans les pays en hyperinflation, les particuliers se tournent vers la devise référence, le dollar comme au Venezuela ou l’euro selon les zones d’influence. Il n’est pas réaliste de penser que le bitcoin pourra concurrencer les deux grandes devises.

Quid des autres monnaies digitales concurrentes du bitcoin ?

Ces 700 crypto-monnaies surfent sur la même vague d’intérêt de spéculateurs, plutôt des jeunes. Le bitcoin représente 80% de la capitalisation de l’ensemble des crypto-monnaies : un classique de l’économie selon le principe « the winner takes all » – le premier qui arrive sur un nouveau marché récupère quasiment tout le marché. J’y vois d’ailleurs un indice supplémentaire de l’existence d’une bulle, laquelle concerne plusieurs actifs qui montent en sympathie. Ce sont plus des instruments de spéculation que de véritables monnaies.

La décentralisation de la validation des transactions a un véritable avenir et sera sans doute l’héritage le plus important du bitcoin

Si la bulle éclate, le bitcoin et ses cousins disparaîtront-ils aussi subitement qu’ils sont apparus, sans rien laisser derrière eux ?

Quoi qu’il arrive, le mécanisme de blockchain et la décentralisation de la validation des transactions a un véritable avenir et sera sans doute l’héritage le plus important de l’aventure du bitcoin. A l’avenir, les systèmes décentralisés et sécurisés fondés sur l’innovation de la blockchain seront des concurrents des fameux tiers de confiance (les banques, les notaires, etc.) et à moindres coûts. C’est une révolution.

Au moins à moyen terme, on verra toujours les banques centrales – même si les Etats-Unis ont longtemps (de 1830 à 1913) prospéré sans banque centrale. Dans ce cas, le marché s’autorégule, avec des faillites de banques, dans un environnement très incertain qui n’a d’ailleurs pas empêché les Etats-Unis de se développer au XIXe siècle.

Le scénario d’une chute vertigineuse du bitcoin présente-t-il un risque pour l’économie réelle ?

Pas vraiment car le montant des investissements en bitcoins est bien plus faible que sa capitalisation actuelle autour de 150 milliards de dollars. La spéculation sur le bitcoin est une table de casino  il n’y a pas de création de valeur simplement de l’argent qui a changé de mains. Des gens qui rêvaient de devenir millionnaires ou milliardaires vont déchanter. Et ceux qui ont acheté des bitcoins en s’endettant devront rembourser auprès des banques mais l’endettement total lié à cette spéculation est nettement moindre que dans le cas des subprimes . Je ne pense donc pas que l’éclatement de la bulle entraînera une crise en cascade, c’est seulement la fermeture d’un gigantesque casino.

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