Une tête-à-claques courageuse. Un naïf immensément roublard. Un garçon ridicule et émouvant. On ne peut parler d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou qu’en expressions violemment contradictoires.
« Les crimes de la colonisation » ?
Commençons par la tête-à-claques. « Les crimes de la colonisation » : dans aucun autre pays de l’ancien Empire colonial français cette expression n’est plus fausse qu’au Burkina, ex-Haute-Volta. Les autorités françaises, dès qu’elles prenaient possession d’un territoire, y interdisaient rigoureusement trois pratiques ancestrales : l’esclavage, l’anthropophagie et la castration des petits garçons. Le Moro Naba, souverain traditionnel du pays mossi régnant à Ouagadougou, avait un harem et des eunuques jusqu’à l’arrivée des Français. J’ai visité la brousse burkinabé, et les vieux, déplorant l’état sanitaire des enfants dans un pays où il y a beaucoup de maladies infectieuses dont la terrible bilharziose, me disaient souvent : « du temps des Français, il y avait régulièrement des campagnes de vaccination ». Exploitation économique ? Il n’y avait rien à exploiter en Haute-Volta, et les quelques richesses minières n’ont été découvertes qu’après l’indépendance. La France a construit à grands frais une ligne de chemin de fer Abidjan-Ouaga, et les comptes de la colonisation prouvent qu’elle a dépensé dans ce pays beaucoup plus d’argent qu’elle n’en a gagné. N’oublions pas que la conquête s’est faite par ruse et diplomatie beaucoup plus que par violence. Et n’oublions surtout pas le système scolaire fondé par la France. Que de crimes, en effet, que de crimes !
En même temps existe un Macron courageux, celui qui ose affronter des foules peu amicales, leur dire leurs quatre vérités et parfois retourner leur opinion. On l’a vu à l’œuvre au milieu des ouvriers licenciés de Goodyear à Amiens, on l’a revu à Ouaga expliquant tranquillement à des Africains jeunes et pleins de sève qu’ils faisaient beaucoup trop d’enfants. Un jeune garçon empêtré dans ses phrases embrouillées lui a fait remarquer que la démographie n’était pas un problème, puisque la Chine, pays le plus peuplé du monde serait bientôt la première puissance économique. L’Emmanuel a pétillé de la joie de celui qui va faire une réponse fulgurante de justesse et il a dit : « Mais la Chine, pendant des dizaines d’années, a contraint sa population à n’avoir que des enfants uniques ». Il a certes adouci son propos en souriant, en disant qu’il n’avait pas à ordonner à l’Afrique de faire de même. Mais il l’a dit et n’a pas été pendu à un baobab.
Macron brise un tabou
Extraordinaire ! Jusqu’à il y a quinze jours, le tabou sur l’hypernatalité africaine était total dans les médias français. Qui a libéré la parole sur une réalité criante et très dérangeante ? Zemmour, Onfray, Valeurs actuelles ? C’est bel et bien le président Macron qui a brisé le tabou. Ce qu’il a dit de la femme africaine, et particulièrement de la jeune fille, est un mélange de nobles et beaux principes et d’intentions difficiles à appliquer. Il faut leur faire faire des études, il ne faut plus les marier à treize ans. Fort bien. J’ajouterais : il faut interdire la polygamie. Rudes tâches. J’avais proposé à des étudiants en agronomie une dissertation : « Décrivez un vieux paysan traditionnel de la Haute-Volta, faites-le parler, etc. » La paysannerie sous toutes les latitudes me fascine, j’aurais aimé y naître. Je m’attendais à du Giono, du Ramuz et j’ai eu droit à des copies pleines de récriminations contre les vieux paysans forcément polygames qui accaparent les jeunes femmes. Il ne reste aux jeunes hommes que la Veuve Poignet et la prostitution citadine de bas étage.
Le travail féminin est essentiel dans l’économie africaine. « La paysanne africaine travaille 80 heures par semaine, affirmait René Dumont dans L’Afrique noire est mal partie. Il donnait aussi aux garçons ce sinistre avertissement : « Si ta sœur va à l’école, tu n’auras que ton porte-plume à manger ». Qui mettra en œuvre les courageuses réformes qui feraient avancer l’égalité des sexes en Afrique ? Brigitte Macron ? Il est plus facile de tonner à Paris contre les terribles souffrances des femmes françaises que de parcourir la brousse et de convaincre les villageois d’envoyer leurs filles au collège au lieu de les envoyer chercher de l’eau à dix kilomètres.
Décolonisons Macron!
Macron se contredit totalement pendant cette rencontre à l’université de Ouaga. Quand il est question d’électricité, il se défausse : « Ce n’est pas à moi de m’occuper de l’électricité, c’est à votre président ! » Kaboré se fend d’une petit sourire et pense plus que jamais : « vite, vite, à l’aéroport ». Et puis, à propos des jeunes filles, il se déchaîne, il s’emporte : « Je veux que les jeunes filles africaines ne soient plus mariées à 13 ans, je veux que les jeunes filles africaines aillent au collège, je veux, je veux… ». On croit rêver. Est-il Empereur du Mali, du Songhaï ou du Monomotapa ? Qu’il dise « je veux » en France, c’est son droit et son devoir mais en Afrique ? Si ce n’est pas du néocolonialisme pur jus de manioc, je n’y comprends rien. Tintin qui se bat pour améliorer le sort des Congolais, c’est émouvant mais ce n’est pas sérieux. On craint que ce volontarisme finisse au cimetière des éléphants blancs et des bonnes intentions européennes pour l’Afrique. Et Borloo ? Où en est son projet d’électrifier l’Afrique ? Impossible de trouver des renseignements dans la presse. Je suis prêt à parier que les premiers kilowatts ont fini dans les poches de quelques dirigeants bien placés.
Je vais encore être iconoclaste et me faire lapider. Je crois que les Chinois sont les seuls capables de développer l’Afrique. Ils sont les seuls à avoir assez d’énergie, de cupidité, de force d’entraînement pour faire bouger le mammouth et aucun scrupule néocolonial, aucun questionnement sur ce qui est raciste ou pas raciste pour les freiner. La Chine est une haute civilisation complètement vierge d’idéologie et encore plus pragmatique que les Anglo-Saxons. Pour avoir inventé cet ahurissant chef-d’œuvre qu’est leur despotisme éclairé capitalisto-marxiste, il faut se moquer de la logique et ne croire qu’en l’efficacité. D’ailleurs, les Chinois sont en train de faire décoller l’Ethiopie et la Route de la Soie finira par atteindre Johannesburg et le Cap. Je pense que « politiquement correct » est intraduisible en chinois, sauf au prix d’une longue périphrase, à la façon des salamalecs du Lotus Bleu. Eh oui, notre Tintin national est parti au Burkina Faso, mais il se retrouvera face à la puissance qui se dessine déjà dans Le Lotus Bleu.
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