Accueil Édition Abonné #MeToo à Paris, #Omerta à Cologne

#MeToo à Paris, #Omerta à Cologne


#MeToo à Paris, #Omerta à Cologne
Céline Pina. Photo: Hannah Assouline

Au nom d’un antiracisme dévoyé, la plupart des associations féministes qui prônent aujourd’hui la libération de la parole ont délibérément pratiqué l’omerta après les agressions sexuelles de masse à Cologne.


Plus de 335 300 messages postés sous le hashtag « balance ton porc » entre le 13 et le 18 octobre. Que l’affaire Weinstein ait libéré la parole des femmes, nul ne peut le nier. Que cette parole interpelle, tant par le nombre de témoignages reçus que par leur nature, nul ne le conteste non plus. Qu’enfin ce grand déballage corresponde à une réalité est corroboré par un sondage qui montre que plus d’une femme sur deux a été victime de harcèlement ou d’agression sexuelle, quand cela ne touche que 10 % des hommes.

#balancetonporc n’a pas d’avenir

Difficile au demeurant quand on est femme de ne pas le savoir par expérience. Un nombre significatif de femmes, qui en confidence racontent des agressions sexuelles qui n’ont rien d’anodines, n’ont jamais porté plainte ; ce qui laisse à penser que les 53 % sont encore sous-évalués. Par ailleurs, ceux qui s’inquiètent des menaces pesant sur la séduction, le charme ou au libertinage ont tort : les témoignages n’attestent pas d’un retour du puritanisme ou de la volonté de déclarer la guerre des sexes, de la prédation la plus explicite ou du sexisme le plus vulgaire.

Pour autant, je doute qu’il y ait un « avant » et un « après » #balancetonporc. Les réseaux sociaux ont la propension à se transformer en exutoire de la vindicte populaire, mais il en sort rarement une élévation du niveau de conscience de la société. Souvent le soulagement ne va pas plus loin que celui éprouvé par la percée d’un furoncle en pleine adolescence boutonneuse : cela n’a jamais amélioré l’état général de la peau.

Pourquoi ? Simplement parce qu’il est rare qu’un maelström d’émotions débouche sur autre chose que sur une logique de vengeance. Or, si la vengeance s’assouvit, la justice, elle, se construit et réclame un regard dépassionné sur des souffrances qui ne sont, elles, nullement apaisées. Le droit demande du recul quand l’émotion exige l’adhésion.

Le sexisme au nom de l’antiracisme

L’affaire Denis Baupin n’est pas si loin, qui a vu des femmes dénoncer des comportements inappropriés et des agressions sexuelles dans le milieu politique. À cette occasion, on a aussi entendu que l’impunité des harceleurs était terminée. Pourtant, même lorsque ces agissements étaient de notoriété publique, les nombreuses femmes qui ont rompu le silence n’ont pas même été reconnues comme victimes. Au contraire, leur adversaire a pu parader et menacer de les attaquer pour diffamation ou dénonciations calomnieuses. Que reste-t-il alors dans l’esprit des gens : le souvenir de la mobilisation ou le fait que des femmes qui ont eu le courage de parler risquent d’avoir à rendre des comptes à leur agresseur devant un tribunal, faute d’avoir les moyens de prouver la violence dont elles ont été victimes ?

Parlons aussi de l’hypocrisie de certaines associations féministes. Souvenez-vous des agressions sexuelles survenues en Allemagne, notamment à Cologne, le 31 décembre 2015 : 1 200 femmes en furent victimes, 650 plaintes ont été déposées à Cologne, 400 à Hambourg. Des spécialistes y ont vu les mêmes stratégies que celles des taharrush gamea, les « harcèlements sexuels collectifs », mises au point dans les pays arabes et utilisées notamment  lors de manifestations sur la place Tahrir, en Égypte. Le nombre d’agressions commises et le procédé utilisé, une première en Occident, auraient dû déclencher un électrochoc. Eh bien non. De fait, les femmes ont été invitées à se taire, car les agresseurs étaient dans leur immense majorité de jeunes immigrés d’Afrique du Nord. Kamel Daoud, pour avoir lié ces agressions de masse à la misère sexuelle du monde arabo-musulman et « à un rapport malade à la femme, au corps et au désir », a subi une telle cabale qu’il a un temps abandonné le journalisme. C’est ainsi qu’au terme du processus, les médias ont été plus prompts à dénoncer le racisme de ceux qui voyaient dans ces agressions le produit d’une société qui tient pour légitime l’inégalité entre l’homme et la femme, qu’à reconnaître la spécificité de ces agressions sexuelles de masse.

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On a pu alors légitimement se demander si l’acceptation de la violence subie par les femmes variait avec l’appartenance ethnique ou le niveau social de l’agresseur. L’Alliance des femmes pour la démocratie (AFD) a dénoncé « un silence délibéré, politique et médiatique (qui) s’est abattu sur ces faits au motif que les auteurs de ces crimes seraient des demandeurs d’asile ou des immigrés en situation irrégulière et que des réactions contre les réfugiés étaient à redouter. » Voilà comment, au nom de l’antiracisme, des femmes ont été sommées de ne rien dire contre le sexisme. En réalité, ceux qui tiennent les femmes pour inférieures portent souvent le même regard sur ceux qui n’ont pas la même religion ou la même couleur de la peau. Racisme et sexisme marchent main dans la main et toujours le sexisme ouvre la voie. La remise en cause de l’égalité des femmes pour des raisons religieuses est acceptée alors que le racisme, et c’est heureux, reste honteux. Le déni de la dimension ouvertement inégalitaire de certaines sociétés n’améliore ni la condition des femmes ni celle des hommes et ruine les chances d’émergence d’une société démocratique. Il est donc aberrant de nier l’existence de ce sexisme au nom de l’antiracisme.

Ne pas sacrifier la défense de l’égalité femmes/hommes sur l’autel du relativisme culturel

En attendant, si une femme sur deux reconnaît avoir vécu des violences sexuelles, c’est la preuve que notre pays aussi peine à accorder aux femmes une véritable égalité. Certes, nous vivons dans un pays où elle est la norme de droit, où a été développé un discours sur l’émancipation des femmes, leur droit à la liberté sexuelle et à la maîtrise de leur corps. Alors imaginez la situation de celles qui appartiennent à des cultures où la norme elle-même est l’inégalité, où le statut social des femmes est lié à leur fonction biologique, où leur corps est honte et impudicité ?

Si nous voulons nous en sortir, il faut donc refuser avec énergie de sacrifier la défense de l’égalité femmes/hommes sur l’autel du relativisme culturel. Cette inégalité-là est en effet la première source des violences faites aux femmes ; mais comment la combattre quand la plupart des associations féminines défendent la liberté de se voiler, endossant ainsi le premier marqueur de l’infériorité de la femme ?

On ne résoudra le problème des sociétés patriarcales pour qui l’égalité des sexes ne va pas de soi, ici comme ailleurs, ni en évitant les questions qui fâchent, qu’il s’agisse des représentations culturelles ou des liens entre sexe et pouvoir, ni en en oubliant que les femmes ne sont pas des bébés phoques et qu’elles peuvent participer à l’oppression de leurs semblables. Les femmes s’instituent souvent gardiennes des traditions et, parfois, on ne trouve pas meilleures que les mères pour briser et soumettre les filles. Il faut surtout que la vague d’indignation se traduise par une politique volontariste en faveur de l’égalité, avec un investissement particulier dans l’éducation. Ainsi peut-on espérer que les petites filles qui naîtront dans notre pays n’auront jamais de porc à balancer.

Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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