En octobre, les Inrocks, après avoir apporté leur contribution à la lutte contre l’antisémitisme et l’homophobie avec Mehdi Meklat, se fendaient d’un numéro spécial contre le sexisme et les violences faites aux femmes : Bertrand Cantat en couverture. Nausée.
#meklat #cantat les dérives des @lesinrocks au nom de la défense des artistes ? pic.twitter.com/SROnBEwdgP
— Mai Lam Nguyen Conan (@mailamnc) 13 octobre 2017
Parce qu’ils ne font rien d’autre que décerner des satisfecit d’une manière tellement attendue qu’elle en devient lassante, j’ai cessé de les lire depuis longtemps.
Mais il y a un peu plus d’un an sur Facebook j’avais croisé une vidéo publiée sur leur page. Reprise de Buzzfeed, elle montrait une scène des « Dossier Tabou » de Bernard de la Villardière qui avait fait scandale puisqu’elle stigmatisait des gentils jeunes des cités. La vidéo filmée par un de ces gentils jeunes et non par l’immonde Villardière allait rétablir la vérité et « permettre de se faire une autre idée de ce qui s’est passé ».
Vous pensez si j’ai cliqué !
Pour voir quoi ? Une bande d’abrutis plus si jeunes qui viennent faire chier pendant une interview, confondant espace public et propriété privée, voulant piquer la caméra, insultant, menaçant et faisant la démonstration de leur incommensurable bêtise en répétant par exemple plusieurs fois « T’inquiète gros, j’ai tout filmé noir sur blanc. » (Sans évidemment se rendre compte du second degré de l’expression dans cette situation.) Et c’était ça qui devait, d’après ces ayatollahs du bien-penser, permettre de se faire une autre idée ?
Et puis en février 2017, arrivait « l’Affaire ».
Est-il besoin de s’attarder sur l’épisode Meklat, alias Marcelin Deschamp, dont les tweets machistes, antisémites et homophobes réjouissaient tant Pierre Siankowski, le directeur de la rédaction des Inrocks ?
« Nous avons parlé féminisme avec Hanane Karimi, sociologue, féministe et musulmane. »
Un détail m’avait interpellé dans ces diarrhées de 140 signes. Lorsque Mehdi Meklat tweetait à propos de Marine Le Pen « Je vais t’égorger selon le rite musulman », ce n’est pas cette promesse d’un assassinat qui m’avait frappée tant elle était à la fois convenue et vantarde, mais l’aveu qu’il existait un « rite musulman de l’égorgement ». Meklat, dont tous louaient le talent littéraire, avait certainement soigneusement choisi ses mots et ce n’était pas le rite islamiste qu’il avait tweeté, mais bien le rite musulman. Je m’étonne que ce journal, ardent défenseur de l’islam opprimé, ne se soit pas alors indigné de cette mention d’un rite musulman de l’égorgement. Diffamation raciste inexplicablement ignorée par les arbitres de la bienséance !
En février toujours, j’ai eu un fou rire en découvrant cette accroche : « Nous avons parlé féminisme avec Hanane Karimi, sociologue, féministe et musulmane. » Autant parler IVG avec le pape ou lutte contre la chute des cheveux avec moi…
Pourtant là encore, deux points de l’interview auraient pu permettre de creuser des notions rarement abordées. Cette femme déclare : « La religion a été un levier d’empowerment pour moi. Elle m’a donné carte blanche, une émancipation inespérée dans mon milieu. Tant que je m’inscrivais dans une pratique religieuse, mes parents avaient une confiance absolue en moi. Je pouvais vivre seule, faire mes études loin d’eux. Ils me considéraient comme une adulte responsable et consciente. »
Incroyable aveu ! Pathétique confirmation de l’obligation de montrer sa piété pour espérer avoir des miettes d’indépendance. Ce n’est pas une attitude équilibrée, une maturité prouvée, une morale affirmée qui permet d’avoir son indépendance, mais une piété ostentatoire. En clair, la seule manière d’être équilibrée, morale et mature était d’être pieuse !
Validation inconsciente de la nécessité pour nombre de femmes de se voiler pour qu’on leur foute la paix.
Et puis à la question « ces inégalités n’étaient-elles pas dues à la religion ? » elle répond : « malgré ce que l’on entend souvent, elles sont avant tout culturelles. Elles ne sont pas issues de la religion, mais de la culture dans laquelle s’est développée la religion. L’islam qui s’est développé en France s’est calqué sur les cultures méditerranéennes des populations immigrées. Elles pratiquaient un islam coutumier. »
« Quand Robert Menard retweete ta une c’est que tu as bel et bien foiré un truc. »
Bon… Mais la curiosité n’aurait-elle pas dû pousser les journalistes à demander où cet islam pur et vrai était pratiqué sans être détourné par des coutumes moyenâgeuses ? Car si en France il est victime de la culture méditerranéenne, où peut-il bien exprimer son valeureux et bien connu féminisme ? La réponse à cette question aurait été un scoop.
« Quand Robert Menard retweete ta une c’est que tu as bel et bien foiré un truc. » Ce tweet de l’été dernier, à propos de la une de Charlie sur « L’islam, religion de paix…éternelle », est révélateur ô combien de la mécanique intellectuelle qui anime ces indignés à géométrie variable, dont la préoccupation n’est pas de dire ce qu’ils pensent de la manière la plus juste possible, mais de penser ce qui préservera l’image qu’ils donneront dans le village qu’est leur univers social.
Quand Robert Ménard retweete ta une, c’est que tu as bel et bien foiré un truc #CharlieHebdo
— Christophe Conte (@christopheconte) 22 août 2017
Ces humanistes universalistes ont en réalité un horizon si rétréci que je m’étonne qu’ils fassent encore pipi et caca alors que les familles Lepen, Franco et Pinochet réunies pratiquent ces exercices depuis des générations. Si d’aventure Ménard affirmait que la pluie mouille, Christophe Conte pondrait deux pages sur la sécheresse en Bretagne.
Où l’on voit un journal qui a mis en « une » un type raciste, antisémite, homophobe, faisant l’apologie de Mohamed Merah, puis le meurtrier de sa compagne, donner des leçons de maintien à Charlie.
Vivement la suite!
Enfin le mois dernier, ils reprenaient un article de La Revue du crieur intitulé : « Élisabeth Badinter, derrière l’image, la voix d’un féminisme blanc et puissant. » Il s’agissait, précisait le chapeau, de problématiser « les ambiguïtés de celle qui se réclame d’un féminisme laïque et universaliste. » On pouvait notamment y lire cette attaque de haut vol : « Comment définir une personne qui se revendique d’un féminisme intransigeant alors même qu’elle est actionnaire principale du géant publicitaire Publicis ? On lui a en effet beaucoup reproché de défendre une idée des femmes en contradiction avec des représentations aliénantes véhiculées par le monde de la publicité. »
Vous voulez dire comme Pigasse votre proprio qui pourfend le capitalisme quand ce n’est pas le sien ? Et que penser de la bouillie républicano-indigéniste qui vous fait parler de « féminisme blanc » ?
J’attends avec impatience le prochain numéro spécial Vomito : « On a parlé petite enfance avec Marc Dutroux et sans gluten avec Hannibal Lecter. »
Sans oublier le dossier essentiel sur l’écriture de la musique : « Ronde, blanche et noire : stop à la stigmatisation. Surtout quand on sait qu’il faut deux noir.e.s pour faire une blanc.he. »