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« Monte-Carlo » : le Grand Prix littéraire de l’automne

Peter Tarrin sort un roman sur la Formule 1 des années 1960


« Monte-Carlo » : le Grand Prix littéraire de l’automne
Jim Clark et plusieurs pilotes de Formule 1, 1964. Sipa. Numéro de reportage : REX40442638_000001.

Au virage de Sainte Dévote, les pilotes freinent de toutes leurs forces. On voit alors leurs monoplaces se dandiner comme des chiens enragés. Plus loin, à la sortie du tunnel, entre ombre et lumière, un cri vient déchirer la moiteur du ciel de mai. Les échappements sonnent le tocsin. Les spectateurs retiennent leur souffle. La vitesse, le bruit et l’odeur se mêlent aux paillettes de cette Riviera quelque peu irréelle en cette saison. La crème solaire et les vapeurs d’essence exhalent une fragrance unique au monde.

La Formule 1 ne ment pas

Grasse n’est pas si loin. Le factice des « happy few » ne résiste pas longtemps aux tremblements intérieurs d’une asphalte chauffée à blanc. Même les mannequins qui bronzent, seins nus, sur les terrasses, ne peuvent cacher leurs troubles. Leurs peaux cuivrées reflètent des émotions mécaniques insoupçonnées. Les corps réagissent sous l’effet combiné de la chaleur et de la peur.

La Formule 1 ne ment pas sur la fragilité des existences. Violente et poétique, elle met le public dans un état de grande acuité intellectuelle, perceptible au moindre mouvement. Au même moment, sur la Croisette à Cannes, les acteurs montent les marches. Personne ne s’y trompe, les vraies stars sont sur cette piste aux étoiles et non sur le tapis rouge. Prisonniers de ce manège infernal pendant 80 tours, avec la Méditerranée comme seul horizon, les pilotes se battent contre l’horloge et l’usure inexorable de leurs pneus. Qui n’a pas vu ces acrobates jouer avec les limites des forces physiques et cette furie s’abattre sur ce coin de Côte d’Azur, ne peut ressentir dans sa chair la puissance d’un Grand Prix.

Un sens à sa vie sur les paddocks

Le sport automobile est le dernier bastion, avec l’alpinisme et la voile, où l’humanité recherche un sens à sa vie. Cette quête d’absolu concentre tous les efforts aussi bien des artistes du volant que des ingénieurs motoristes. Vouloir aseptiser un tel spectacle, c’est nier sa portée mythologique. Peter Terrin a justement choisi comme décor de son nouveau roman, le circuit de Monaco à une époque bénie, l’âge d’or des années 60. C’est drôlement culotté ! Car la littérature entretient des rapports assez ombrageux avec l’objet automobile. Les hommes de lettres opèrent un tri sélectif. Par peur d’être rattrapés par la patrouille, ils préfèrent s’en tenir aux thèmes éco-responsables. De nos jours, l’apologie du talon-pointe est hautement punissable. L’écrivain flamand, né en 1968, a puisé son inspiration dans cet imaginaire-là. Il publie Monte-Carlo chez Actes Sud traduit du néerlandais (Belgique) par Guy Rooryck.

Après avoir écrit Le Gardien  (Gallimard, 2013), il s’intéresse à Jack Preston, un mécanicien de l’écurie Lotus, héros d’un événement tragique survenu sur la ligne de départ. Cet anonyme va sauver du feu, une jeune actrice célèbre, sorte de double érotico-pop d’Emma Peel sauf que personne ne s’en aperçoit.

La brillantine de Jim Clark

Là est la clé d’un roman psychologique qui vaut aussi pour la description quasi-onirique des paddocks de la Formule 1. On sent l’impatience du prince dans les tribunes avant le tour de chauffe ; on observe, avec nostalgie, le célèbre Jim Clark et sa couche de brillantine dans les cheveux ; on s’inquiète pour Chapman, le boss de l’écurie britannique, toujours en quête de nouveaux appendices aérodynamiques et, puis, en musique de fond, lancinante et hypnotique, le moteur V8 Cosworth nous plonge dans une tension extrême.

Terrin n’a pas choisi cette période au hasard, c’est le moment où ce sport à très haut risque se professionnalise avec l’arrivée des sponsors, notamment les cigarettiers et la manne d’argent des retransmissions à la télévision.

Qui traverse le feu…

Preston est de l’ancienne école, il a fait ses premières armes sur un tracteur Massey-Ferguson avant d’intégrer le gotha des mécanos. Durant ses 43 jours d’hospitalisation, le dos brûlé, il se remémore la scène et rêve qu’Enzo Ferrari lui susurre à l’oreille : « Qui traverse le feu pour la beauté est chez lui chez Ferrari ». Le roman quitte l’univers fantasmé de la compétition pour se concentrer sur la convalescence de Preston avec sa femme à ses côtés, dans un village perdu de la campagne anglaise. Et une question centrale : comment dépasser cette autre blessure, celle de ne pas être reconnu comme un héros ?

Monte-Carlo, Peter Terrin, Actes Sud, 2017.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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