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Héros et Vilains


Xavier Niel. Photo : LeWEB11

Pour créer et exploiter un réseau de téléphones mobiles, il vous faut une gamme de fréquences du spectre électromagnétique qui se trouve être un bien public ; c’est-à-dire qu’il appartient à la communauté des citoyens français et que l’État le gère en notre nom. Lorsqu’il s’est agi, au début des années 2000, d’attribuer des licences d’exploitation[1. Les fameuses licences UMTS (Universal Mobile Telecommunications System) qui succédaient aux licences GSM.] à des opérateurs de téléphonie mobile, les États étaient confrontés à un problème économique assez classique : le nombre de licences possibles étant limité par la nature[2. Mettons de quoi faire vivre 5 ou 6 opérateurs (comme en Angleterre et en Allemagne respectivement).], si les licences n’avaient pas été assez chères, il y aurait eu pléthore de candidats et l’on n’aurait pas su comment discriminer entre eux. En revanche, si elles avaient été trop chères, toutes les licences possibles n’auraient pas trouvé preneur et l’on aurait risqué de se retrouver avec un monopole ou un oligopole.

Dans la plupart des pays, on régla le problème en utilisant un mécanisme de marché vieux comme le monde : la mise aux enchères des licences. Les gouvernements britannique et allemand ont ainsi respectivement récupéré 38,5 et 50 milliards d’euros. Mais en France, on goûte peu aux mécanismes de marchés : des opérateurs étrangers risqueraient de venir mugir dans nos campagnes et il faut bien financer le fonds de réserve des retraites. On fixa donc un prix arbitraire pour permettre à notre bon gouvernement de récupérer 20 milliards et d’assortir l’attribution des licences à toute une série de conditions et de tracasseries administratives comme nous en avons le secret. Seuls SFR et Orange se portèrent acquéreurs avant d’être rejoints par Bouygues lorsqu’en 2002, l’État consentit une remise de l’ordre de 87 % sur son prix initial. Ces dix dernières années, le marché français de la téléphonie mobile était ainsi verrouillé par trois opérateurs bien français.

Or, contrairement à une idée courante, le fait que la production d’un bien ou d’un service ne soit assurée que par un ou peu de producteurs ne pose pas réellement de problème. Ce qui est important, c’est que ce monopole ou cet oligopole soit contestable ; c’est-à-dire que si le ou les producteurs dominants laissent le rapport qualité-prix de leurs produits se dégrader, ils créent un espace pour un futur concurrent. À quelques très rares exceptions près, les monopoles incontestables ne peuvent exister que si quelqu’un dispose d’un pouvoir suffisant pour empêcher l’émergence d’autres concurrents. Et dans la quasi-totalité des cas, ce quelqu’un c’est l’État.

Si SFR, Orange et Bouygues ont accepté de débourser des fortunes pour acquérir les licences de l’État, c’est qu’ils savaient qu’ils bénéficieraient d’une situation d’oligopole non-contestable. Par ce biais, ils se sont mis d’accord pour gonfler le prix de leurs services de façon à réaliser de confortables bénéfices. On a beau avoir créé une bureaucratie ad hoc chargée de vérifier que les dirigeants des trois sociétés ne discuteraient pas de leurs intérêt communs, nous payions, jusqu’il y a peu, les services de téléphonie mobile parmi les plus chers d’Europe.
Mais voilà qu’après d’âpres négociations, un quatrième larron se présente : Xavier Niel, le patron de Free, mesure très bien les marges colossales des opérateurs en place et s’empresse donc de contester leur oligopole. Après moult rebondissements, il finit par obtenir gain de cause et obtient la fameuse quatrième licence contre 210 millions d’euros et la promesse de verser 1 % de son chiffre d’affaire annuel à l’Etat.

Voici donc le loup dans la bergerie : Xavier Niel va diviser la facture téléphonique des Français par deux et les trois opérateurs historiques n’auront d’autre choix que d’abandonner leurs marges confortables et de s’aligner. La petite chasse gardée entre gens de bonne compagnie est donc finie et nous autres, citoyens du commun, allons enfin cesser de payer une taxe officieuse sur la téléphonie mobile.

L’histoire de Free Mobile est une véritable démonstration des effets de l’ouverture à la concurrence. Comme Arnaud Montebourg[3. Ô douce ironie…] le twittait lui-même : « Xavier Niel vient de faire plus avec son forfait illimité pour le pouvoir d’achat des Français que Nicolas Sarkozy en 5 ans. »

Car si le capitalisme libéral a ses héros, il a aussi ses vilains[4. Les méchants qui n’ont de cesse d’empêcher le héros de faire le bien autour de lui.]. Je ne m’étendrai pas sur le cas des politiciens et des militants qui vous expliqueront dédaigneusement que : « Niel ne fait ça que pour se faire plus de fric. » Bien sûr que Xavier Niel ne fait ça que pour gagner de l’argent : c’est le principe d’une économie de marché et c’est pour ça que ça fonctionne. Mais passons…

Les vrais vilains, les pires ennemis du capitalisme libéral ce sont ceux qui, pendant dix ans, ont artificiellement restreint la concurrence dans ce secteur pour nous taxer plus discrètement mais aussi ceux qui ont profité de ce système en faisant feu de tout bois pour que Xavier Niel reste à la porte. Comme le disait si élégamment Martin Bouygues : « Je me suis acheté un château, ce n’est pas pour laisser les romanichels venir sur les pelouses ! » Bel exemple du capitalisme de connivence à la française : une résurgence d’Ancien Régime qui prétend poursuivre l’intérêt général mais n’a jamais servi que les princes et leurs courtisans…

Ndlr : Xavier Niel est actionnaire minoritaire de Causeur.



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