Accueil Politique Jeannette Bougrab: « En banlieue, certains parents bénéficient de l’argent de la drogue »

Jeannette Bougrab: « En banlieue, certains parents bénéficient de l’argent de la drogue »

Entretien (2/2)


Jeannette Bougrab: « En banlieue, certains parents bénéficient de l’argent de la drogue »
Jeannette Bougrab. Sipa. Numéro de reportage : 00529971_000001.

Quelques semaines après la tuerie de Charlie Hebdo, Jeannette Bougrab est partie vivre en Finlande où elle poursuit une mission de coopération universitaire. De Septentrion, elle a rédigé sa Lettre d’exil : la barbarie et nous (Cerf, 2017) dans laquelle elle réaffirme sa foi dans la laïcité. Pour Causeur, Bougrab a accepté d’éprouver ses convictions républicaines à l’heure où les djihadistes maintiennent une menace constante sur la France et le monde. Entretien sans complaisance (2/2).


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Au-delà de l’incantation, quel projet positif proposer au nom des valeurs républicaines qui vous sont chères ?

Les gens ont la mémoire très courte. Ils oublient que la France est une opportunité. Mes parents ont quitté l’Algérie où ils menaient une vie terrible. Ma mère a connu la faim, les sillons des champs de pois chiche, elle était l’aînée de 9 enfants vivants, sans compter ceux morts pendant l’accouchement. Elle a été mariée de force à 13 ans à un homme qui avait deux fois son âge, elle a perdu un enfant de deux ans. Mais mes parents ont eu la force de conviction de se dire qu’ils ont une vie meilleure en France. Parfois, j’imagine quelle aurait été ma vie en Algérie si ma famille y était restée… Mais dans notre société opulente, à Mantes-la-Jolie par exemple, quand un gamin de quinze ans va à l’école par éclipses, que ses parents acceptent de le voir vendre du shit et qu’il traîne aussi à la mosquée, il y a un problème d’autorité des institutions.

La démission de certains parents n’est-elle pas aussi en cause ?

Pas toujours. Je peux vous citer le cas du fils d’un ami qui est actuellement au dépôt à Nanterre. Il a brûlé une voiture avec trois autres voyous et ils ont foncé sur les policiers qui les ont arrêtés. Or son père est quelqu’un de très bien, séparé depuis des années de la mère de ses enfants qui en a la garde. Le fils de quinze ans et demi ne va plus à l’école, est passé pour la troisième fois devant le juge qui n’a pas retenu de circonstances atténuantes car le petit vend aussi de l’herbe ! Mais la mère laisse faire, parce que la vente de drogue rapporte de l’argent à la maison. Le gamin vend du shit, va à la mosquée et tient parfois des propos antisémites. Son frère aîné n’a aucun diplôme, ni le brevet des collèges ni le bac. Dans ces quartiers, il y a 50% de taux de chômage. Certains gamins n’ont pas envie de bosser, ce n’est pas à moi de leur faire aimer la République mais s’ils sortent du droit de chemin, il nous appartient de sévir. A défaut de leur faire aimer les règles de la République, il faut leur faire respecter. Au lieu de quoi, les pays occidentaux sont prêts à renoncer à certains principes universalistes comme l’égalité.

A quels exemples pensez-vous ?

Pendant un temps, la charia a pu s’appliquer au Royaume-Uni en matière de droit de succession. Or, la force des Lumières, c’est d’avoir construit un monde où l’individu prime sur la communauté. Des révolutionnaires comme l’abbé Sieyès refusaient tout intermédiaire entre l’Etat et le citoyen. C’est une vision très anglo-saxonne d’estimer au contraire que la communauté doit avoir des droits au détriment des individus. Comme en Chine, la communauté ne reconnaît pas la primauté de l’individu. Aujourd’hui, qui conteste la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1947 alors que tous les pays n’étaient pas indépendants ? Certains défendent l’excision au sein des Nations-Unies en soutenant qu’elle devrait être pratiquée au sein d’un hôpital ! Tariq Ramadan prétend que ce débat ne soit se tenir qu’à l’intérieur de l’Oumma musulmane, c’est un peu la même position que celle, absurde, de Houria Bouteldja qui prétend exclure du débat les personnes non-musulmanes ou non-« colonisées ».

Je pensais que vous alliez incriminer des élus locaux…

Ce n’est pas une nouveauté. Au moment des émeutes de 2005 dans les banlieues, des élus locaux ont laissé le champ libre aux imams en pensant qu’ils allaient sortir les gamins de la délinquance et obtenir la paix sociale. Mais c’est un mauvais calcul parce que tous ces gens-là vivent des fruits de la délinquance. Les parents font un peu de recel, bénéficient de l’argent de la drogue. Quand j’étais au gouvernement, sous Nicolas Sarkozy, on a démantelé un certain nombre de réseaux de trafics de stupéfiants, on a augmenté les expulsions de HLM. Des familles vivent des choufs, ces gamins qui font le guet. Si j’avais fait le quart du millionième de ce qu’ils font, mes parents m’auraient donné des coups de bâton ! A l’évidence, il y a un problème d’autorité et l’Etat ne peut pas tout faire. D’autant que la plupart des quartiers sont gangrenés par l’islamisme depuis longtemps.

Pouvez-vous dater le tournant dans les banlieues ?

Dans la décennie noire, pendant la guerre civile algérienne, les imams et les islamistes plus radicaux ont fui l’Algérie des années de sang. La faute de la France est d’avoir accueilli au nom du droit d’asile ceux qui perpétraient et commanditaient des attentats en Algérie. Je cite souvent l’exemple de l’imam salafiste de la rue Myrha qui a été assassiné, et encore, ce n’était pas le plus fanatique… Tout ceci me rappelle un très beau texte de Stefan Zweig sur l’enseignement de l’histoire. Il y explique comment le nazisme construit des générations fondées sur la haine alors qu’on pourrait les faire reposer sur un socle de fraternité. De ce point de vue, l’islamisme procède comme le nazisme. Zweig nous donne une lueur d’espoir puisque réfugié au Brésil, fuyant le nazisme, devant la décomposition de son idéal européen, il pense que l’enseignement de l’histoire peut reconstruire le vivre-ensemble. C’est peut-être une vision très utopiste mais on ne résoudra pas la question du jour au lendemain. On doit admettre l’idée qu’il y aura des générations perdues. Du jour au lendemain, on ne résoudra pas la question du terrorisme.

Pourtant, au lendemain de la guerre civile des années 1990, après un bain de sang un pays comme l’Algérie semblait en avoir fini avec la violence islamiste…

L’Algérie est un très bon miroir. Sa société s’islamise, la vente d’alcool est devenue plus compliquée. Dans un article, l’ancien ministre Ali Haroun, qui avait participé au report des élections de 1992 et était aller chercher Boudiaf au Maroc, a bien décrit le contrôle de la société sur les pratiques et les mœurs des individus. En Algérie, dans les années 1980, les mosquées étaient vides mais les gens allaient prier dans les rues. Un film algérien raconte très bien cette montée de l’intégrisme : Bab-al-oued City (1994). Les gens qui ne respectaient pas les préceptes de l’islam se faisaient attaquer. Et les prieurs de rue agrippaient ceux qui ne priaient pas. Quand on a des liens de l’autre côté de la Méditerranée, on voit cette crispation venir aussi en France.

La soumission rampante du Maghreb à l’islamisme annonce-t-elle une France entièrement soumise ?

En Algérie, au Maroc et en Tunisie, il est quand même des hommes qui manifestent pour revendiquer la liberté de ne pas jeûner pendant le Ramadan. Je n’accepte pas qu’on impose à tel ou à tel de respecter une consigne religieuse alors qu’ils n’en ont pas envie. Chaque année, des chrétiens sont jetés en prison en Algérie. Mais en France aussi, dans certaines prisons, si vous ne faites pas le Ramadan, vous êtes attaqué par les autres détenus ! Quand on en est réduit à ne pas prendre d’élèves juifs dans son école, comme ce principal de Marseille qui a écrit un livre, on ne peut plus rien pour vous. Il a sans doute pensé agir pour protéger l’enfant juif mais moi j’aurais accepté l’élève. Par bon sens paysan, je sais que le vivre-ensemble s’apprend à l’école dès la maternelle. Si quelques petites frappes estiment qu’un élève juif n’a pas sa place dans leur établissement, ce sont elles qui doivent partir et pas l’élève !

Dernière question : Le Figaro vous a classé parmi les « musulmanes » révoltées contre « les dérives de l’islam » aux côtés de Sonia Mabrouk, Lydia Guirous ou Leïla Slimani. Mais vous considérez-vous comme musulmane ?

Bien qu’athée, je suis de culture musulmane. Cela ne me dérange pas plus de fêter l’Aïd ou de manger le repas de rupture du jeûne que de fêter Noël. Dans un pays arabe, je serais forcément considérée comme musulmane car le droit d’apostasie n’existe pas en islam.

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est journaliste.

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