Philippe Séguin avait déjà fait l’objet de biographies. Deux d’entre elles, les meilleures jusque-là, avaient été publiées dans le courant des années 1990. Ne figuraient donc pas la présidence du RPR ni la campagne des élections municipales de Paris de 2001 ; elles n’intégraient pas non plus les Mémoires de Séguin, parues en 2003. Surtout, ces deux biographies étaient l’œuvre de journalistes, Bruno Seznec pour la première, et Jean-Baptiste Prédali et Jérôme Cathala pour la seconde. Non pas que les journalistes seraient illégitimes dans l’exercice, bien au contraire, d’autant que, répétons-le, ces deux-là étaient de véritables réussites. Mais l’ouvrage paru récemment aux Editions Perrin, Philippe Séguin le remords de la droite, est l’œuvre d’un historien, déjà auteur de biographies de Lyautey, Péguy, Richelieu, et Louis-Philippe.
Séguin comme il était
Il est publié sept ans après le décès de Philippe Séguin ce qui lui confère un recul que ne pouvait avoir une biographie écrite par des journalistes qui continuaient de le rencontrer régulièrement. Du recul, Arnaud Teyssier en a fait preuve dans cet ouvrage passionnant, que j’attendais depuis quelques mois, aussitôt qu’une indiscrétion m’avait fait connaître qu’il était en cours de publication. Je n’ai pas été déçu.
Tout au long des quatre-cents pages, j’ai reconnu celui derrière lequel j’ai milité, ses forces et ses faiblesses. J’ai reconnu mon Séguin, son hyperactivité, son caractère ombrageux. J’ai reconnu les épisodes qui avaient jalonné ma vie de jeune militant une grosse dizaine d’années durant. Le recul d’Arnaud Teyssier aurait pu être fragilisé par les quelques mois passés en tant que collaborateur de son objet d’études, à la présidence de l’Assemblée nationale. Il n’en est rien, cette expérience venant au contraire enrichir le travail de l’historien.
Comment les Français ont-ils pu passer à côté de Philippe Séguin ?
Bien entendu, Teyssier aime son sujet, mais il ne perd jamais de vue l’objectif de son ouvrage : restituer la vérité du parcours de Philippe Séguin, un homme qui a finalement été seulement deux ans au pouvoir pendant vingt-cinq mois au ministère du Travail et des Affaires sociales il y a trente ans, mais dont le décès avait fait l’objet d’une grande émotion dans tout le pays en janvier 2010. Séguin, ce remords de la droite, titre Teyssier, mais sans doute aussi au-delà de cette dernière. Comment Séguin a-t-il pu passer à côté de son destin ? Mieux encore, comment les Français ont-ils pu passer à côté de Philippe Séguin ? On trouvera beaucoup de réponses dans l’ouvrage d’Arnaud Teyssier. J’y ai moi-même retrouvé pourquoi je l’avais si longtemps soutenu et pourquoi soudainement, je m’en étais finalement détaché, à l’automne 1998.
Sur cet ouvrage, je n’aurais qu’un reproche et une réserve à formuler. Le reproche, léger, c’est peut-être de ne pas avoir assez creusé la relation de Séguin avec ses alliés, et notamment Charles Pasqua. On me dira que c’est plutôt l’œuvre des bios de journalistes que de creuser ce genre d’aspect mais, justement, sans doute que ceux-ci le font trop et que le tort de l’historien Teyssier est peut-être de ne pas l’avoir assez fait. La réserve est factuelle : l’auteur, qui est pourtant très attaché à la question institutionnelle et dont on comprend qu’il est un partisan convaincu de la constitution telle que pratiquée par De Gaulle, date la conversion de Philippe Séguin à l’idée de passer au régime présidentiel au début de ce siècle, au moment de l’adoption du quinquennat. Or, cette conversion était plus ancienne d’une dizaine d’années puisqu’on en trouve la trace dans une motion déposée au RPR en 1989 et dans le livre d’entretiens accordés à Pierre Servent, publié en 1990.
Une petite erreur en quatre-cents pages ne m’empêchera pas de recommander la lecture de cette biographie que les amoureux de politique et/ou d’histoire dévoreront avec appétit.
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