Lequel choisir ? Ils nous font du gringue derrière les vitrines des librairies. Ils nous aguichent avec leurs bandeaux multicolores. On dirait les volailles d’un concours agricole, toutes alignées et serrées sur les tables, bardées de décorations comme jadis les généraux de l’Armée rouge. Ils ont tous le secret espoir de décrocher un prix d’automne. Ils mettent en avant l’expérience de leurs auteurs déjà primés ou la fougue du premier jet. Vieux brisquards des lettres ou plumes nouvelles, ils n’ont qu’une volonté : nous délester d’une vingtaine d’euros pour qu’on les achète.
Le folklore de la rentrée littéraire
Ce manège dure depuis très longtemps. Ne sortira indemne de cette course à l’échalotte qu’une poignée d’élus, les mêmes de préférence. Vous voyez ceux qui, le week-end du 15 août à peine terminé, trustent déjà les pages « culture » des magazines ou les plateaux télé. Vous les reconnaîtrez facilement, ils ont la mine triste du travailleur saisonnier quand vient le temps de reprendre le chemin des vendanges ou des studios. Cette promotion effrénée ne les amuse guère, mais leurs éditeurs et leurs banquiers les incitent à occuper l’espace médiatique. Le livre n’attend pas. Peu importe que les dés soient pipés et que les règles d’obtention d’un titre en novembre soient nébuleuses, la France aime cette tradition folklorique. Elle s’y accroche avec l’énergie du désespoir. Pendant deux mois, notre pays croit encore aux vertus de la fiction et au pouvoir du roman sur les masses désabusées.
C’est notre côté midinette. Dès qu’on voit un livre, on se met au garde-à-vous et on entonne La Marseillaise. En septembre, ils seront partout, ça en devient presque oppressant. Dans cette foire aux bestiaux, chaque critique tâte la croupe de la couverture, jauge la puissance narrative du texte, s’interroge sur le souffle de la bête, n’est-il pas trop court pour prétendre à une breloque et cette démarche hasardeuse, ce style un peu lourd, ne sont-ils pas les marques d’un animal affaibli ? Autant de questions que le lecteur lambda se contrefout. Face aux injonctions de lire aussi brutales que celles de voter, ce consommateur est un peu perdu. Les lectrices commencent à en avoir marre qu’on les prenne pour des cruches.
Et si on allait aux champignons ?
Que font les féministes ? La caricature sur leur supposée attirance pour les amours impossibles et les maladies graves n’a que trop duré. Les maisons d’édition ont trop abusé des mots sirupeux tels que enfants, couple, cancer, parents et orgasme pour les embobiner. Alors, j’ai cherché (non sans mal) un livre pour sortir de cette ornière. Un ouvrage qui vient de sortir, donc dans l’actualité, qui pourrait séduire à la fois les hommes et les femmes, qui remplirait un cahier des charges très précis, sorte de mouton à cinq pattes en moins de deux cents pages (que de longueurs encore cette saison sur les étals…) et y inclure du sexe, de la gourmandise, de la camaraderie, du suspense, de la tragédie, de la fantaisie, des images en couleurs et un halo de nostalgie, le tout à un tarif abordable. J’ajoute à cette longue liste, un livre qu’on aurait plaisir à feuilleter jusqu’au bout de l’hiver, avec un délicieux goût de « revenez-y ». Cette merveille publiée chez Larousse s’appelle Et si on allait aux champignons… !. Elle coûte seulement 12,90 euros.
Ecrit par Solange Strobel, pharmacienne, Nicolas et Samy Ruhlmann, restaurateurs en Alsace et Thomas Lazarus, sommelier, ce guide mycologique et gastronomique est un pur régal. Il est en français (contrairement à 85 % de la production romanesque), pédagogique sans être chiant, clair sans manquer de couvrir tout le spectre d’une bonne cueillette. Comment identifier et cuisiner les champignons me semble une interrogation existentielle ? Aucun roman ne vous en apprendra autant sur la vie des forêts, ses secrets et ses bonheurs. Les amateurs d’enquêtes policières seront aux anges. Comment reconnaître les faux amis dans les bois, ça vaut tous les polars scandinaves.
Le danger de l’amanite phalloïde
Avec cette bible illustrée, vous ne vous laisserez plus berner par l’amanite phalloïde, responsable de 90 % des intoxications. « Il n’y a pas d’antidote. La dose létale est vite atteinte. On estime que l’ingestion de la moitié d’un chapeau suffit à entraîner la mort » avertit la diplômée de la faculté de pharmacie de Strasbourg et spécialiste des plantes. Issue terrifiante lorsque l’on sait que l’amanite des Césars est une exception dans sa famille, elle est la seule comestible. Vous ne lâcherez donc plus ce livre. Il a des accents poétiques quand il décrit les différents visages du pied qui peuvent être bulbeux, chiné, cortiné, creux, cylindrique, fistuleux, grêle, en massue, obèse, plein ou radicant. Quelle richesse de vocabulaire ! Comment ne pas être émoustillé par certaines formes érotiques, allez voir du côté de la chanterelle.
Même les amoureux du Nouveau Roman, à la construction toute géométrique, seront attirés par les pleurotes en huître que l’on trouve sur les troncs ou les branches mortes, surtout le peuplier et le noyer. Et puis, les auteurs rappellent que la truffe noire est également un champignon souterrain. La recette de la brouillade d’œufs à la truffe accompagnée d’un « Margaux ou Saint-Émilion grand cru ayant vieilli une dizaine d’années, ou de Bourgogne avec des Vosne-Romanée et Chambolle-Musigny » tient lieu de chef d’œuvre littéraire.
Et si on allait aux champignons… ! de Solange Strobel – Les secrets de cueillette d’une pharmacienne – Larousse, 2017.
Price: 15,65 €
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