Grisé par ses triomphes du printemps, le président a commis une double erreur. S’intéresser plus à l’avenir de l’humanité qu’aux angoisses des Français. Et s’appuyer sur son fan-club plutôt que de construire une véritable majorité avec les réalistes des deux rives.
Quand Emmanuel Macron va-t-il dessaouler ? Son élection a manifestement plongé le nouveau président de la République dans un état second. À cela, rien de vraiment surprenant. Pour se lancer seul dans la course à l’Élysée sans le soutien de l’un des grands partis, il fallait une sacrée dose de mégalomanie. La réussite de l’entreprise ne pouvait que l’hypertrophier. D’autant que les élections législatives sont venues parfaire le triomphe. Parti de trois fois rien, Macron a conquis l’ensemble des pouvoirs.
Difficile de s’étonner dès lors qu’il ait offert à l’Hexagone un été haut perché ! Très haut perché ! Président de la République française, manifestement, c’est un costume un peu étroit pour lui : Macron se vit comme l’un des maîtres du monde. D’où des pas de deux avec Trump, Poutine et consorts où notre french blanc-bec a entendu montrer qu’il était au niveau. Ses interventions de politique intérieure ont été à l’inverse limitées. Mais, là encore, il s’est agi de souligner son imperium en convoquant le Congrès à Versailles ou en sanctionnant le chef des armées.
Macron règne sans partage
Même si elle a parfois frisé le grotesque, cette séquence n’est pas à mettre au passif du seul président. Le caractère monarchique de la Constitution est le grand responsable de ce pétage de plomb. Seule parmi les vieilles démocraties, la France est dotée d’un chef de l’exécutif qui ne doit composer avec personne. Trump est régulièrement désavoué par le Congrès, Merkel doit « dealer » en permanence avec le SPD. Macron règne sans partage, malgré un score médiocre au premier tour de la présidentielle et une abstention record aux législatives, qui n’enlèvent rien à sa légitimité mais qui la rendent objectivement relative.
La puissance hallucinogène de nos institutions est telle qu’elle a induit le même dérèglement des sens chez le chef de l’opposition, à savoir Jean-Luc Mélenchon. Lui se vit comme une sorte de contre-président : il estime avoir raté le coche d’un rien au premier tour au printemps dernier à cause de médias hostiles et de socialistes imbéciles. S’il avait été présent au second tour, il est convaincu qu’il n’aurait fait qu’une bouchée de Macron, candidat des élites, alors qu’il serait apparu comme le candidat du peuple. Le nouveau président se prend pour une sorte de Jeanne d’Arc, Mélenchon pour un néo-Robespierre.
Le problème, c’est que si les Français restent monarchistes dans l’âme, ils n’ont rien à faire de cette turgescence des ego : la France n’étant pas au mieux de sa forme, ils veulent un président les pieds dans la glaise. Un terrien plutôt qu’un jupitérien ! Pour Macron, le bilan de l’été est donc franchement négatif : le voilà moins populaire que François Hollande il y a cinq ans à la même époque ! À la vérité, le président est nu : il est redescendu au niveau de la coalition qui l’a porté au pouvoir : les « progressistes » de La République en Marche, les centristes de François Bayrou et les Républicains dit « constructifs ». Tout cela ne représente guère plus d’un tiers de l’opinion.
Qui m’aime (encore) me suive
L’urgence pour Macron est d’honorer son contrat avec les Français. Président de la République, c’est un job somme toute honorable. À condition de le faire, ce job. Ça tombe bien, y’a du taf ! Le modèle français se voit bousculé aussi bien dans le domaine économique que sur le terrain sociétal. Le libéralisme, version anglo-saxonne ou modèle allemand, se révèle plus performant que notre bon vieux colbertisme. Comme l’a justement remarqué le chef de l’État à la rentrée, la France est la seule économie « à n’avoir pas gagné la guerre contre le chômage de masse ». Cela mérite qu’on s’y attelle, sans œillères idéologiques.
Qu’on le veuille ou non, un républicanisme incantatoire apparaît par ailleurs peu en phase avec le développement de sociétés multiculturelles. Là encore, défions-nous des fatwas, pour faire preuve de pragmatisme. Dans les deux cas, il ne s’agit pas pour la France de se renier. Le néolibéralisme engendre des inégalités insupportables et doit donc être encadré. Pas question non plus que se multiplient des « territoires perdus » dans la République : il faut parvenir à ce que l’on a appelé des « accommodements raisonnables » entre notre tradition laïque et le nouveau visage de l’Hexagone.
Devant la popularité en vrille de Macron, nul doute que la bataille va faire rage. Touche pas à l’identité de la France ! Le président de la République va être accusé de soumission au « parti de l’étranger ». Soumission aussi bien au grand vent libéral, dénoncée jour et nuit par Jean-Luc Mélenchon, qu’aux visées des islamistes, romancées par Michel Houellebecq –et dénoncées fort régulièrement dans ces colonnes. Dans ces conditions, Macron n’a plus le choix : il va devoir s’appuyer sur la vraie majorité de la France, plutôt que sur sa majorité parlementaire gonflée à l’ego.
Rassembler les uns et en même temps les autres
Cette majorité vraie, quelle est-elle ? C’est assez simple : elle regroupe le corps central du pays à l’exclusion de ses deux ailes, la France insoumise et le Front national. C’est-à-dire qu’elle regroupe les Républicains, tous les Républicains, et pas seulement les « constructifs », mais aussi les socialistes, tous les socialistes, qui n’entendent pas jouer les supplétifs de Mélenchon. Au (court) temps de sa splendeur, Macron a cru pouvoir faire le tri entre bons et mauvais Républicains, bons et mauvais socialistes. Ce chipotage n’est plus de saison. Comment par exemple justifier aujourd’hui l’ostracisme vis-à-vis de Manuel Valls ? On peut regretter la dérive martiale de l’ancien Premier ministre, déplorer son manque de souplesse, mais on ne peut que louer son parler vrai, voire cru, notamment sur la nature – islamiste – du terrorisme qui frappe l’Europe.
Assurer qu’il est l’heure pour lui de rassembler sa majorité présidentielle, et pas seulement son club de supporters, ne veut pas dire que Macron doit faire entrer au gouvernement toutes les vieilles gloires, Manuel Valls donc, ou encore Alain Juppé, voire celui qui fait de plus en plus figure d’imam caché des Républicains, un certain… Nicolas Sarkozy. La France n’apparaît pas mûre pour un gouvernement de grande coalition à l’allemande. Mais elle pourrait s’inspirer de l’exemple suédois : dans ce pays, les socio-démocrates gouvernent seuls, tout en ayant passé un contrat avec l’opposition de droite sur les grands dossiers. De la même façon, Macron devrait associer l’ensemble des Républicains et des socialistes réalistes aux réformes à venir, à commencer par celle du marché du travail.
À bas bruit, ce large rassemblement est d’ailleurs… en marche. La droite est loin de faire de l’opposition systématique à l’Assemblée nationale : elle traîne le remord d’avoir peu réformé lorsque qu’elle était aux manettes, aussi bien avec Jacques Chirac qu’avec Nicolas Sarkozy. Au fond, le gadin d’Emmanuel Macron est providentiel. Plus question de jouer en solo. « Les Français n’aiment pas les réformes » vient de déplorer le président. C’est à la fois vrai et faux. Les Français ont compris que les réformes d’aujourd’hui impliquent une bonne part de sacrifices. Mais ils savent qu’elles sont incontournables sous peine de déclin en pente douce. Sinon, comment expliquer qu’ils aient porté à l’Élysée un golden boy nommé Macron ?