Le nouveau ministre doit promouvoir un retour à une instruction classique. On le traitera de réac’, mais c’est ce changement-là qu’attendent des profs, massivement lassés par le bla-bla progressiste.
« Bon alors, le conseil préconise-t-il le redoublement enfin, je veux dire le maintien en seconde ? » Il s’est bien rattrapé, mais cela fait au moins trois ou quatre fois depuis le début du conseil de classe que notre proviseur semble oublier le vocabulaire officiel et la novlangue de la bienveillance. Est-ce l’effet Blanquer ? Sitôt en poste, notre nouveau ministre a déclaré qu’il souhaitait à nouveau autoriser le redoublement en classe de seconde, que Najat Vallaud-Belkacem avait décidé de bannir des conseils de classe au profit d’un « maintien » en classe de seconde, suggéré et non plus imposé à la famille. J’observe les subtils effets de la nouvelle rhétorique ministérielle sur le discours pédagogique en vigueur.
En attendant les nouvelles mesures qui prendront effet à la prochaine rentrée, nous nous en tenons aux dispositions imposées par la ministre sortante. Avec une moyenne de quatre en français, deux en maths, cinq en histoire et trois en SVT, l’élève dont nous achevons d’examiner le cas sera orienté en fonction des vœux d’orientation qu’il n’a même pas pris la peine de formuler. La famille a clairement fait savoir lors du trimestre précédent qu’elle ne tiendrait aucun compte des préconisations du conseil de classe pour un « maintien » en classe de seconde au vu des résultats. Nous ne préconiserons donc rien du tout, hormis un passage en première STMG (« sciences et technologies de la gestion et du management ») puisque son niveau ne lui permettra certainement pas de suivre en filière générale.
Diplômés de Pôle emploi
À dire vrai, son niveau ne lui permettra pas non plus de suivre les cours en filière technologique et les profs qui y enseignent prendront une fois de plus ombrage du fait qu’on expédie en « techno » les élèves dont on ne sait pas quoi faire quand on ne peut pas leur faire redoubler la seconde… pardon, les y « maintenir ». Les élèves qui se sont orientés par choix dans cette filière, dont certains ont un projet professionnel bien établi, observeront une fois de plus avec dépit qu’on prend vraiment leur formation pour une poubelle. Comme les places sont limitées, il est possible que notre candidat à l’entrée en classe de première soit baladé quelque temps d’un lycée à l’autre avant qu’un établissement du secteur consente, de guerre lasse, à lui laisser achever sa scolarité obligatoire entre ses murs. Notre brave cancre finira bien par obtenir son baccalauréat grâce à la « bienveillance » des jurys, grandement motivée par les injonctions ministérielles, au pire après un ou deux essais, si la chance joue vraiment contre lui. Il pourra bien entendu faire une croix sur les filières BTS ou IUT qui recrutent sur dossier et se montrent suffisamment sélectives pour recaler les élèves dont les bulletins sont garnis de remarques désobligeantes sur l’absence de travail et le mauvais comportement.
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Toutefois, pour éviter qu’ils se retrouvent sans institution susceptible de les accueillir, le système Admission post-bac[tooltips content=’APB est un dispositif d’orientation mis en place en 2009 attribuant de façon automatisée, grâce à un algorithme futé, une place dans l’enseignement supérieur en fonction de critères plus mystérieux qu’un rite d’initiation maçonnique et produisant des résultats plus incompréhensibles que la grille tarifaire de la SNCF. Pour les bacheliers, APB est à peu près l’équivalent d’une divinité versatile et colérique ou d’une bonne partie de roulette russe.’]1[/tooltips] (APB) impose, depuis décembre 2015, aux bacheliers la formulation obligatoire d’un vœu « pastille verte », c’est-à-dire une filière non sélective dans laquelle une place leur sera – supposément – garantie. Le résultat ne s’est pas fait attendre : dès la rentrée 2016 le système universitaire s’est trouvé partiellement engorgé, incapable d’offrir des places à tous ceux qui avaient fait leur choix « pastille verte », y compris à des bacheliers brillants qui avaient eu le malheur de postuler pour une université non sélective, dont ils étaient écartés par les vertus du tirage au sort et de l’alchimie algorithmique d’APB, tandis que des étudiants médiocres étaient autorisés à aller se ramasser en première année de droit, de SES ou de psycho, où, en dépit des multiples dispositifs de lutte contre l’échec, le taux de décrochage dépasse encore largement les 50 %. Quant à l’intégration au marché du travail, elle est tout sauf garantie, mais l’essentiel est d’éviter que les élèves sortent du secondaire sans aucun diplôme ni aucune place dans le supérieur. Après cela, qu’ils aillent pointer à Pôle emploi ne préoccupe guère les têtes pensantes de l’Éducation nationale, cela devient le problème du ministère de l’Enseignement supérieur ou de celui du Travail. En somme, les élèves passent d’une tyrannie statistique à une autre.
L’absurdité du pédagogisme
Voici, tracé à grands traits le portrait du système d’éducation français en 2017. Il n’est pas exagéré. La sacralisation du diplôme, ajoutée à la dépréciation de la voie professionnelle et au dogme du nivellement par le bas a fait du collège unique et du lycée qui lui succède une véritable fabrique à chômeurs. Le système a atteint, sous le « règne » de Najat Vallaud-Belkacem, un tel degré d’absurdité qu’on se raccroche à ce qu’on peut ici-bas, sur les terres arides de l’enseignement secondaire, balayées depuis trente ans par les vents desséchants du pédagogisme. Voilà pourquoi la tâche de Jean-Michel Blanquer s’avère très difficile, mais voilà pourquoi aussi ses déclarations ont rencontré dans le corps enseignant un accueil discrètement favorable. Il faut dire que la réforme du collège, décidée par la précédente administration, a été vécue comme une véritable guerre menée contre la transmission du savoir au nom de la religion de l’égalitarisme et, surtout en raison de préoccupations budgétaires moins avouables, pour le plus grand malheur des enseignants et des élèves. Entendre le nouveau ministre déclarer qu’il rétablit le redoublement, les classes bilangues et les sections européennes au collège et proclamer que grec et latin sont « à la base de notre langue et de notre identité » a forcément surpris le corps enseignant qui n’était plus habitué à un tel langage ministériel depuis longtemps.
Il est vrai qu’en la matière, les dix dernières années n’ont pas vraiment été fastes. Luc Chatel, de 2009 à 2012, affublé du joli surnom de « parfumeur », en référence à son passage chez L’Oréal dans les années 1990 et à sa parfaite maîtrise de l’enfumage, de la mesure cosmétique et de la langue de bois ; l’idéologue Peillon, qui a tenté sans succès de casser les classes prépas, au motif qu’elles étaient inégalitaires[tooltips content=’Sans équivalent en Europe, les « prépas » ne font pas payer de droits d’inscription et ont le défaut d’instaurer une sélection au mérite. Elles accueillent un tiers d’élèves boursiers dans l’ensemble de la France.’]2[/tooltips]; Benoît Hamon, ministre des vacances d’avril à fin août 2014 ; et, pour finir, la terrible Najat, jusqu’en 2017. La nouvelle génération qui arrive dans les salles des profs est confrontée à la grave crise qui touche le métier et, en conséquence, à la pénurie d’enseignants, en particulier dans les sciences et les mathématiques. Mais qui reprochera aux étudiants de ces disciplines de se tourner vers l’ingénierie ou la finance plutôt que vers un métier dont l’image sociale est dégradée, qui s’apparente à de la garderie dans les terres de mission des « quartiers sensibles » ou à une humiliante subordination face aux enfants-rois soutenus en toute occasion par des parents à peine plus supportables que leur progéniture ? Autant aller voir rapidement ailleurs si l’herbe est plus verte. Les élèves ne sont pas les seuls à fuir l’enseignement public…
La gauche est en train de perdre les profs
Un changement notable, cependant, est peut-être en train d’advenir chez les profs. S’il règne encore un fort consensus idéologique, les salles des profs ne sont plus des repaires de vieux soixante-huitards et de bisounours socialistes. Les premiers sont, en majorité, partis à la retraite et ceux qui restent en poste ne sont pas les derniers à déplorer la baisse du niveau, la fin de l’autorité et l’impéritie des réformateurs. Parmi les seconds, beaucoup voient s’achever le quinquennat Hollande avec soulagement. Parmi les déçus de la gauche, qui sont légion, une frange, minoritaire mais non négligeable, est discrètement passée du côté obscur et vote Front national. Les abstentionnistes et les ralliés à la France insoumise sont aussi nombreux. Cependant, dans la majorité, plutôt indécise, qui a voté Macron, le « dégagisme » qui a valu aux socialistes les raclées historiques d’avril et juin 2017 joue à plein. En clair, l’impensable arrive : la gauche est en train de perdre les profs.
Face à un monde éducatif en plein désarroi, le nouveau ministre a une carte à jouer. À en juger par ses premières décisions, qui visent à défaire les plus contestées de celle qui l’a précédé Rue de Grenelle et à remettre au goût du jour le discours de l’autorité et la conception « classique » de l’enseignement, il semble l’avoir parfaitement compris. Les syndicats enseignants ne s’y sont pas trompés et sont tout de suite montés au créneau pour dénoncer son profil « réac ». Mais qui écoute encore les syndicats enseignants ? De moins en moins de monde chez les profs en tout cas, à en juger par l’effondrement du taux de syndicalisation[tooltips content=’Toujours supérieur à la moyenne française de 7,7% en 2015 (OECE), le taux de syndicalisation des enseignants est passé de 45% au début des années 1990 à 18% en 2016. Source: http://stats.oecd.org/’]3[/tooltips]. On saura lors de cette rentrée quelle relation se crée entre le ministre et des profs qui hésitent entre désarroi et indifférence blasée. On saura surtout si nos gouvernants ont vraiment compris que le redressement de l’école est la première urgence du pays. Ou si l’on risque de voir encore des apprentis sorciers revenir aux manettes pour faire pire encore que les prédécesseurs.
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