Les récentes déclarations du ministre de l’Intérieur français, convoquant la psychiatrie dans la lutte contre le terrorisme, montrent le désarroi intellectuel dans lequel se trouvent nos gouvernants face au terrorisme islamiste. En effet, nous devons avoir à l’esprit que les dits terroristes se vivent comme des combattants, au service d’une cause. Ils poursuivent un but politico-théologique clair : l’instauration d’un califat salafiste, c’est-à-dire wahhabite, sur les terres actuellement islamisées, ou qui le furent un temps, comme l’Espagne avant la Reconquista, ou la Narbonnaise en France.
Perversion n’est pas synonyme de maladie
En premier lieu, l’attitude du ministre se heurte à deux écueils principaux au plan de la branche de la médecine qu’est la psychiatrie.
Tout d’abord les couples normal/pathologique et bonne santé/maladie ne se recouvrent pas toujours dans cette discipline. En médecine somatique, c’est-à-dire du corps, je puis avoir une maladie, comme une angine, qui signe un état pathologique de ma gorge. Mais si je prends l’exemple d’un grand pervers, il peut être considéré comme pathologique, mais sa perversion n’est pas une maladie au sens propre du terme, c’est en effet sa structure mentale, sa construction psychique, qui est ainsi faite. D’où la grande difficulté à concevoir des soins pour de tels individus, on ne change pas la nature même d’une personne en quelque sorte.
Tous les délinquants ne deviennent pas terroristes
Le deuxième écueil est celui des critères discriminants qui indiqueraient un risque de passage à l’acte de type terroriste. Si le profil du délinquant qui trouve une cause et une justification à ses actes de violence dans l’islamisme est fréquent, les auteurs des attaques de septembre 2001 à New-York étaient loin d’un tel profil. Même si j’avais alerté l’ensemble de mes collègues députés du groupe UMP en 2012 sur l’islamisme en prison, tous les délinquants ne deviennent pas terroristes. Quant aux patients, ils sont majoritairement pacifiques et le risque majeur des maladies de l’esprit reste le suicide et non pas l’hétéroagressivité[tooltips content=Conduite agressive envers les autres’]1[/tooltips].
Le précédent wahhabite
Il serait souhaitable que nos dirigeants aient un peu plus de connaissances historiques. Le wahhabisme est né dans la péninsule arabique, plus exactement dans le Nejd, au XVIIIème siècle comme une vision encore plus rigoriste de l’école juridique dite hanbalite dans le sunnisme. Les massacres perpétrés alors et les destructions de tombeaux de saints n’ont rien à envier, dans l’horreur, aux exactions de Daech ou d’Al-Nosra au Levant aujourd’hui. Les jeux de la CIA et de feu Brezinski, associés à celui des Saoud, puis du Qatar, ont financé le monstre contre l’armée rouge en Afghanistan, puis en Europe, où l’ex-Yougoslavie se souvient bien des exactions des unités islamistes. Sans rappeler ici le rôle du grand mufti de Jérusalem et des Frères musulmans pendant la deuxième guerre mondiale dans le Caucase et les Balkans.
Un terrorisme redoutablement efficace
Ils devraient également intégrer un élément essentiel qu’ils ne veulent pas entendre. À savoir que l’humain peut agir de manière irrationnelle au nom d’un endoctrinement ou d’une foi dévoyée. Pour cela, dans une Europe sécularisée, au point de perdre toute transcendance, le wahhabisme a répandu depuis vingt années, grâce aux pétro-dollars, peut donner une explication simpliste mais efficace du monde, et un but dans l’existence aux âmes fragiles ou incultes. Le terrorisme islamiste est plus efficace que celui qui se prétendait marxiste, comme en Italie lors des années de plomb, car il s’adresse à l’humanité entière et non pas, in fine, pour le bien du prolétariat seul. Il est aussi plus redoutable que le localisme basque d’ETA, puisque le but est international et non pas régional.
L’économisme n’explique pas tout
Les dirigeants européens doivent faire le deuil d’une explication du monde où seul l’économisme compte. La mort, le mal, la maladie restent des questions structurantes quel que soit notre niveau de vie, même avec les courants transhumanistes. Si la catastrophe de l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et la vision des néo-conservateurs, sont une cause majeure, tout comme les questions du développement économique, elles n’expliquent pas tout.
Non, monsieur le ministre, le terroriste n’est pas un malade, ou alors, il faut admettre que Che Guevara, Trotsky, Pol Pot ou la Fraction armée rouge, pour ne citer qu’eux, étaient tous des malades au sens médical du terme. S’il peut y avoir, comme dans toute communauté humaine, des personnes qui souffriraient de troubles mentaux parmi ceux que l’on nomme terroristes, ils doivent être considérés, dans leur ensemble, comme responsables de leurs actes et comme des ennemis. C’est ce que nous devons aux victimes et à la civilisation humaine qu’ils veulent détruire.
Pour avoir personnellement constaté en Syrie, dans le village de Maaloula, l’œuvre des rebelles dits modérés d’Al-Nosra, ceux qui faisaient « du bon boulot » pour l’un de nos ministres des Affaires étrangères, cette déclaration est de même nature : l’incapacité à nommer et à penser l’ennemi.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !