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L’euro va mal, merci pour lui!


L’euro va mal, merci pour lui!
Pièce de un euro. SIPA. 00804276_000002

En une semaine, les mauvaises nouvelles se sont accumulées pour l’euro. Ces nouvelles sont essentiellement politiques. On ne reviendra pas ici sur les problèmes économiques de la monnaie unique, qui ont été décrits et analysés, sur mon blog, dans plusieurs notes[tooltips content=’Voir la note du 29 juillet 2017 publiée sur Russeurope, sur les écarts de change réel (calculés par le FMI), celle du 30 juillet 2017 sur les fondements théoriques de l’Euro et celle du 11 août sur le déficit commercial de la France’]1[/tooltips].

Ces nouvelles viennent pour certaines d’Italie, ce qui n’étonnera personne vu la situation dans ce pays, que l’euro étrangle véritablement. Mais, le point important est aussi que ces nouvelles nous viennent d’Allemagne. Cela est plus intrigant, et mérite explication.

Les mesures de la BCE anticonstitutionnelles?

La cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui est en réalité l’équivalent de la Cour constitutionnelle, a reconnu que les mesures de la Banque centrale européenne (BCE) que l’on appelle le PSPP (ou Public Sector Purchase Program) pourraient constituer une violation de la Constitution allemande. La Cour de Karlsruhe a déclaré, dans ses attendus, que des « raisons significatives existaient pour que l’on considère que la BCE a outrepassé son mandat ».

Bien sûr, on ne doit pas s’exciter outre mesure sur cette décision. Si le président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a déclaré que, à son avis, ces mesures constituaient bien une violation de la Constitution, il a néanmoins renvoyé l’ensemble du dossier à la Cour européenne de Justice. L’arrêt qu’émettra cette dernière sera alors réexaminé par la Cour de Karlsruhe. On le voit, la procédure s’annonce longue. Elle durera au moins jusqu’au début de 2018, voire jusqu’à la fin du printemps. De plus, cette procédure a été initiée après la plainte déposée par Alexander Gauland, le dirigeant de l’AfD. Or, ce parti, qui s’est fait connaître par des prises de position anti-euro, est engagé, comme les autres, dans la campagne pour les élections législatives de septembre en Allemagne. Qu’il ait voulu réaliser une opération publicitaire est ici évident. Cependant, cette opération semble bien avoir touché un point sensible. La réaction de la Cour de Karlsruhe a été rapide, et positive.

Les dirigeants de la BCE ont rapidement réagi, en cherchant à rassurer les dirigeants européens. Ils ont affirmé que les opérations de la BCE étaient parfaitement légales et correspondaient bien à son mandat. Peut-être ; il est probable que la Cour européenne de Justice ne voudra pas mettre la BCE dans une situation plus que délicate. Mais, ce jugement pourrait sérieusement limiter les marges de manœuvres de la BCE[tooltips content=’Balazs Koranyi et Francesco Canepa, Reuters, op.cit.’]2[/tooltips]. C’est donc un coup d’arrêt, ou à tout le moins un coup de semonce. Le fait qu’il vienne d’Allemagne est ici particulièrement significatif.

La double monnaie de Berlusconi

Cela l’est d’autant plus que, dans le même temps, un événement important avait lieu en Italie. Dans le quotidien Libero, Silvio Berlusconi a publié une lettre ouverte le 19 août 2017, dans laquelle l’ancien président du Conseil propose rien de moins que d’instaurer deux monnaies en Italie : l’euro, qui ne serait plus utilisé que pour les transactions internationales, et la lire, eh oui !, qui serait utilisée à l’intérieur du pays. Ce n’est pas la première fois que l’ancien dirigeant italien fait ce genre de déclaration. Mais c’est la première fois qu’il le fait d’une manière aussi politiquement articulée. Cela lui a valu des critiques acerbes, et en particulier de Romano Prodi qui lui a conseillé d’aller « se faire soigner », mais aussi de Claudio Borghi, le responsable du département économique de la Ligue du Nord.

Pourtant, et avec toutes ses contradictions, la lettre de Silvio Berlusconi est importante. Il rappelle ainsi, dans cette interview, l’usage nécessaire des dévaluations en Italie dans les années 1980 et 1990. Il souligne le fait que de nombreux pays ont pu se sortir de grandes difficultés économiques – il cite à cet égard la Russie, la Chine ou la Corée du Sud – parce que ces pays disposaient de leur propre monnaie. Il en profite, et ici il convient de rappeler qu’en Italie aussi on est en période préélectorale, pour tendre la main à d’autres partis, à la Ligue du Nord mais aussi à des déçus du Movimento 5 Stelle (M5S).

Cependant, le projet de Berlusconi, et ceci contrairement à ce qu’il affirme, n’est pas compatible avec les règles de l’Union économique et monétaire (UEM) – voir l’article 128 du Traité de Lisbonne ou TFUE. Claudio Borghi a raison de le lui rappeler. Même s’il l’était, la complexité d’un système à deux monnaies dans le monde moderne fait que ces systèmes ont rarement duré plus de quelques mois, voire quelques années. Il faut entendre ce que dit Berlusconi comme une proposition, à peine voilée, de sortir de l’euro. Devant le désastre auquel ce pays fait face, un désastre accru par le fait qu’il est en première ligne devant la vague migratoire, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dire qu’il faut faire « autre chose ».

L’euro est un problème central

Cela fait sens en Italie. Cela fait sens aussi dans d’autres pays, de la France à la Grèce, en passant par l’Espagne, le Portugal et la Belgique. Il n’est donc pas si surprenant que cela que Berlusconi reprenne à son compte, certes de manière détournée, cette proposition. On sait que de nombreux économistes italiens, en privé, la tiennent pour indispensable et inévitable. Le principal reproche que l’on peut donc lui faire c’est de ne pas aller jusqu’au bout de sa cohérence.

Alors que le M5S s’en était détourné depuis le printemps, Berlusconi espère aussi prendre des voix au parti populiste de Beppe Grillo, un parti qui semble aujourd’hui en panne, faute de stratégie et de cohérence. Mais, le pourra-t-il sans clarifier encore plus sa position, cela reste à prouver.

On peut donc constater aujourd’hui qu’en Italie tout comme en Allemagne, les considérations électorales sont loin d’être absentes. C’est une évidence. Mais, on constate aussi qu’au-delà de ces considérations électorales, l’euro est bien un problème central pour les diverses forces politiques. Il est en surplomb sur l’ensemble des problèmes économiques et sociaux qui affectent ces pays. Il est donc illusoire de vouloir traiter ces problèmes en ignorant qu’ils sont largement issus de l’existence même de l’Euro.

Accepter l’euro c’est accepter les mesures iniques de Macron

Cette situation oblige ces forces politiques à se définir par rapport à lui, et à ses conséquences. Nul tour de magie ne le fera disparaître de l’horizon politique, et l’euro va continuer d’occuper le terrain et ce jusqu’à ce que l’on en soit débarrassé.

Dès lors, cette situation ne laisse aux forces politiques que trois solutions. Soit se ranger dans le camp des partisans de l’euro et assumer, qu’elles le veuillent ou pas, la totalité des conséquences désastreuses de la monnaie unique. Soit, chercher à finasser, critiquer ces conséquences mais sans remettre en cause l’euro, et alors sombrer dans une incohérence qui en écartera plus d’un électeur. C’est ce qui menace le M5S, et c’est ce qui est déjà arrivé aux partis de la « gôche » en France, qui ne cessent de parler d’un « autre euro », dont tout le monde sait qu’il est et restera une chimère. Soit, assumer des positions remettant en cause sérieusement l’euro, mais alors, en assumant tout ce que cela implique, et en particulier un système d’alliance, mais aussi un ensemble de mesures institutionnelles, qui sera nécessaire pour que la sortie de l’euro puisse être effective.

Alors qu’en France un mouvement de protestation contre les mesures économiques et sociales iniques du gouvernement se prépare, il faut donc comprendre que ces mesures sont en réalité cohérentes avec l’euro. Elles sont la traduction de l’existence de l’euro dans nos vies quotidiennes. On ne pourra efficacement lutter contre ces mesures qu’en mettant aussi en cause leur raison ultime, c’est à dire l’euro.

Retrouvez Jacques Sapir sur son blog RussEurope

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économiste, spécialiste de la Russie.

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