Ne jamais se fier aux apparences ? Malgré une rhétorique chancelante et des carences de charisme certaines, Nicolas Maduro a réussi son pari.
Grâce à sa nouvelle Assemblée constituante, Maduro a le champ libre pour une réforme constitutionnelle qui va lui donner tous les pouvoirs – refusée par référendum à l’époque de Chavez.
De toute façon, il a eu huit millions de voix, clame-t-il. Qu’importe si Smartmaric, l’entreprise chargée du vote électronique au Venezuela depuis 2004 estime cette fois que la participation a été surestimée d’un million de voix. Qu’importe si des employés du secteur public, fussent-ils ouvriers, furent congédiés pour s’être abstenus de donner les pleins pouvoirs à leur président tout puissant. Dans un pays où le secteur public est dominant, pas besoin d’être un expert pour mesurer l’importance d’un tel moyen de pression sur ses fonctionnaires.
L’opposition sonnée, L’Huma applaudit
Quoi qu’il en soit, l’opposition a été sonnée, comme s’en est réjoui L’Humanité. Et si l’Amérique du Sud a carrément suspendu le paradis bolivarien du Mercosur, ou que même l’Uruguay ou le Chili de Michelle Bachelet ont pris leurs distances avec le régime, rien n’a semblé pouvoir arrêter l’homme fort du Venezuela dans sa quête insatiable de « la paix et de la réconciliation », selon ses mots doux. D’ailleurs, après qu’un officier dissident a raté une tentative d’attaque sur une base militaire, le petit père du peuple se félicitait d’avoir neutralisé « quelques terroristes venus de Miami et de Colombie », et promettait d’aller, avec son armée, « de l’avant, avec de l’amour ».
Incarcérations et tortures
De l’amour, Nicolas Maduro en distribue à qui veut. Sitôt la nouvelle assemblée constituée, la chasse aux sorcières a commencé. Outre le limogeage de la procureure générale Luisa Ortega, chaviste des débuts qui a eu le toupet d’oser émettre des critiques sur son propre camp, cinq maires ont déjà été condamnés à des peines de prison ferme pour ne pas avoir réprimé les manifestations. On doit admettre que depuis le coup d’éclat du père Maduro, les manifestants, qu’ils soient pacifistes ou de jeunes casseurs à capuches assoiffés de sang et de larmes, se sont faits discrets. Il faut dire que quand il s’agit de les mater et de faire régner l’ordre, l’apprenti dictateur ne lésine pas sur les moyens. Outre les désormais rituelles « bavures » des milices chavistes, qui sont venues gonfler jour après jour le nombre des victimes, l’usage banalisé de la torture au sein des geôles est évoqué non seulement par l’organisation droit de l’hommiste yankee Human Right Watch, mais aussi par l’ONU ou Amnesty International. Décharges électriques, suspensions par les pieds et par les mains etc, tous les moyens sont bons pour qui veut aller de l’avant (et vers la paix). Et selon le Forum pénal vénézuélien, outre les 5051 arrestations arbitraires, le nombre de prisonniers politiques s’élevait en juillet à 620. De quoi désespérer l’opposition ? Que celle-ci se reprenne, elle pourra participer aux régionales en octobre. Pour y présenter des candidats, ces derniers ne devront remplir seulement qu’une condition : présenter une attestation de bonne conduite, c’est-à-dire n’avoir jamais soutenu les manifestants. Décidément, la démocratie chaviste, voilà qui devrait encore plus inspirer les humanistes bien de chez nous !
Résultats : il est bien dur pour le Vénézuélien moyen de concocter son sancocho (la soupe nationale), du moins à un prix correct ; neuf Vénézuéliens sur dix déclarent ne pas pouvoir acheter la nourriture dont ils ont besoin ; certains doivent parfois faire la queue toute la journée à la superette pour une bouteille d’huile. Vous imaginez vous devoir prendre des jours de congé pour faire la queue toute la journée devant Franprix ? Moi non. Mais sans doute est-ce le prix à payer de l’éternelle révolution « bolivarienne ».
«Nous allons émerveiller le monde entier»
S’il paraît évident que le contrôle des changes instauré par Chavez – qui pourrit la vie des entrepreneurs comme des particuliers – couplé à la corruption endémique des fonctionnaires de l’Etat à tous les niveaux, est le grand responsable de ce marasme, les empêcheurs de penser en rond ont trouvé le vrai coupable. Il s’agirait de la « guerre économique » menée discrètement par les yankees, avec ces collabos de Colombiens.
Introduit par le polytechnicien Bernard Esambert, ce concept est invoqué par Luis Salas, un enseignant également essayiste à ses heures. Dans un drôle de livret rédigé spécialement pour le paradis bolivarien, il dénonce « la réaction du système capitaliste pour conjurer le germe socialiste qui le menace », entreprise par « la bourgeoisie parasite ». Quant à l’inflation, elle n’est en fait que « le corollaire économique du fascisme politique [..] et n’est pas provoquée par le gouvernement (chaviste) ». C’est simple comme bonjour. Pour rendre la vie du bon peuple agréable, il faudrait encore plus nationaliser, augmenter encore plus les dépenses publiques, faire encore plus la guerre aux chefs d’entreprises, qu’il qualifie de « tumeurs économiques ». Avec un tel tableau, on ne s’étonnera guère que les entrepreneurs privés aient décampé depuis longtemps, et que ceux du public ne rêvent que de les rejoindre. Visiblement jugé trop farfelu même par son chef Maduro, le professeur fut congédié de ses fonctions de ministre de l’Economie après seulement un mois de services l’année dernière. Le gouvernement des Lumières aurait-il enfin compris que la solution au chaos économique ne se trouve pas sur cette voie ? Que les Vénézuéliens reprennent espoir, en tous cas : le génie Maduro va bientôt révéler sa solution. Devant les membres du Conseil national de l’économie productive, il a prévenu : « Nous Vénézuéliens, allons émerveiller le monde grâce au nouveau modèle économique que nous mettrons en œuvre avec l’Assemblée constituante. Nous allons émerveiller le monde entier »[1]. Vivement l’émerveillement donc. Pour les Vénézuéliens certes, mais d’abord pour nous !
Une opposition aux mains du grand capital?
C’est l’argument brandi par ceux qui soutiennent bec et ongles le régime de Maduro face à une opposition qui serait avide de billets verts et aux mains des gringos. L’ancienne procureure générale, qui vient de gagner le Brésil, après un bref séjour en Colombie, affirme avoir des preuves de l’implication de Maduro dans le scandale de corruption du constructeur brésilien Odebrecht. Nous verrons bien. Mais déjà, faut-il rappeler qu’il y a un an, le Miami Diario révélait que la plus grande fortune du Venezuela n’était autre que celle de Maria Gabriela Chavez, la fille de l’ « enfant du peuple », avec des comptes planqués en Andorre et… aux Etats-Unis. J’entends déjà rétorquer que, pour proférer de telles calomnies, ce Miami Diario ne doit être, comme son nom l’indique, qu’un torchon capitaliste rédigé par des anti-chavistes tout autant excités qu’exilés. Et alors ? D’ici-là que L’Humanité révèle ce genre d’information, les grenouilles auront des cheveux, comme on dit au Venezuela.
Des politicards peu fréquentables
Penchons-nous un peu sur les fameux opposants. Henrique Capriles Radonski, pour commencer. Ce sportif inséparable de sa casquette de baseball a de nombreux défauts. D’abord, s’il a rencontré Jésus très tôt, il est d’origine juive – ce qui valait bien de se faire traiter d’« apatride » et de « porc » par Chavez en son temps. Ensuite, il est né dans une famille très aisée – ce qui ne l’a pas empêché de faire construire des maisons de santé gratuites et de nombreuses écoles lorsqu’il était gouverneur de Miranda (une région qui comprend la moitié de Caracas). Enfin, sa vie sentimentale mouvementée lui a longtemps valu des soupçons d’homosexualité de la part de Chavez, puis de celle de Nicolas Maduro -qui brille toujours par sa finesse d’esprit. L’opposant honni a eu sa revanche en officialisant sa relation avec un mannequin dénommé Caterina Valentino. Mais quand elle n’est pas occupée à poser en tenue légère, la belle balance des tweets à l’encontre du gouvernement. Vous concéderez qu’Henrique n’a donc pas démérité ses quinze années d’inéligibilité, officiellement infligées pour corruption. Quant à Leopoldo Lopez, l’autre figure majeure de l’opposition, incarcéré trois ans, puis placé en résidence surveillé trois semaines avant d’être remis en prison… pour ensuite être remis en résidence surveillée, il a aussi bien cherché ses noises. Déjà, quand Trump a été élu, sa femme –exilée depuis peu à Miami – fut l’une des premières personnalités étrangères à le rencontrer. Ensuite, comme l’a souligné L’Humanité, assigné à résidence, il n’a pas respecté son interdiction de « prosélytisme politique ». De quoi se plaint-il, ce bougre ? Qu’on ne l’y reprenne pas ! Ou lors d’un possible nouveau séjour en prison, il pourrait peut-être goûter aux sévices de la torture, à l’instar de Rosmit Mantilla, député de centre gauche. Oui, oui, de gauche. L’opposition aurait beau être aux mains de la droite et de l’extrême droite, elle ne réunit pas moins de 28 partis (de gauche à droite)
Balayer la démocratie
Entre deux parties de golf, Donald Trump s’est ému de la misère généralisée au Venezuela et a évoqué la possibilité d’une intervention militaire. La famille de Maduro allait-elle faire montre d’un peu plus de finesse ? Nicolas Maduro junior, le fiston, a prévenu que dans ce cas, « les fusils arriveraient jusqu’à New-York et que le peuple prendrait la Maison Blanche ». Rien que ça. On ne s’étonnera guère qu’un discours aussi grossier ait du mal à séduire au-delà des rangs de ses groupies. Car c’est bien là le problème. Si certains ici défendent encore, de bonne foi peut-être, Maduro père, le fait est qu’il est très impopulaire dans son propre pays (aux dernières nouvelles, huit Vénézuéliens sur dix ne lui font pas confiance). On pourra donc ressasser en boucle que les manifestants sont d’affreux casseurs aux mains des yankees, ou, plus farfelu, que l’opposition n’est qu’une bande de nazillons qui n’ont rien à envier au général Pinochet, les Vénézuéliens ne veulent plus de leur Maduro. D’ailleurs, même le Nouveau Parti Anticapitaliste, qui l’a jusque-là toujours défendu contre vents et marées, a exprimé ses réserves sur la nouvelle assemblée. La fin de l’aveuglement ? Restons prudents. Chez Maduro en tous cas, cap sur les pleins pouvoirs, en balayant bien ce qu’il reste de démocratie au passage. Vendredi dernier, il a officiellement privé le Parlement de ses pouvoirs –pour les transférer à l’Assemblée constituante. L’incapable ayant décidé de rester au pouvoir coûte que coûte, si la situation du pays empire encore plus, il en restera le principal responsable.
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