Une fois encore, le djihadisme, bras armé de l’islam politique, a frappé.
Hier, c’est la patrie de Vélasquez et Lope de Vega qui a été touchée, douloureuse confirmation de ce qu’écrivait Arturo Pérez-Reverte il y a déjà trois ans.
A cette heure, 14 morts et plus d’une centaine de blessés, autant de drames impossibles à résumer en quelques chiffres ni en quelques lignes. Autant de tragédies qui nous émeuvent, mais l’émotion ne doit pas nous empêcher de réfléchir.
Il est beaucoup trop tôt pour prétendre tirer tous les enseignements nécessaires des attentats de Barcelone et Cambrils. Quelques remarques sont néanmoins possibles dès à présent.
Sur-attentat immédiat
Qu’il s’agisse d’attaques coordonnées ou que celle de Barcelone ait créé l’opportunité pour un second groupe de passer à l’action, les événements de la nuit confirment que le sur-attentat est désormais un mode opératoire normal pour les djihadistes. Ce n’est pas une surprise, c’était déjà le cas avec Charlie-Hebdo et l’Hyper Cacher, avec le Bataclan, les terrasses et le stade de France, et c’est ce que préconisent aussi bien l’autoproclamé État islamique qu’Al Qaeda depuis des années dans leurs publications.
En revanche, la distance importante entre les deux sites (120 km) et surtout le délai entre les attaques (environ 9 heures), bien qu’ayant déjà été envisagés, ne rentrent pas dans les schémas jusqu’ici considérés comme les plus probables. Ces 9 heures ne sont ni la quasi-simultanéité du 13 novembre 2015, ni le délai entre le 7 et le 8 janvier. 9 heures, c’est le temps qu’il faut pour que les forces de l’ordre et les décideurs ressentent pleinement la fatigue, mais n’aient pas encore été relevés par de nouvelles équipes. Si c’est voulu, c’est malheureusement habile.
Pour le reste, hélas, le mode opératoire est connu, et il y a fort à parier que la personnalité des terroristes ne sera une surprise que pour ceux qui refusent de voir l’évidence. En clair, la diversité de leurs parcours personnels et des raisons qui les ont conduits à adhérer au djihadisme ne doit pas masquer leur point commun, à savoir la dimension profondément religieuse de cette adhésion.
Ceci étant dit, que faire ? Avant tout, bien distinguer les multiples fronts de la guerre qui nous a été déclarée : sécuritaire à l’intérieur de nos frontières, guerrier à l’extérieur, et idéologique partout.
Non, les attentats ne sont pas une fatalité
A l’intérieur, nous sommes face d’une part à des réseaux structurés et hiérarchisés, d’autre part à des « franchisés » inspirés par une idéologie commune mais sans liens organisationnels entre eux.
Les méthodes à utiliser contre les premiers sont connues depuis longtemps : renseignement, surveillance, infiltration, observation, action. « L’union nationale » ne doit pas rendre tabou le retour d’expérience et la critique lucide des éventuelles erreurs, sachant que les services de sécurité ne pourront jamais empêcher tous les attentats, mais que tout attentat commis reste un échec. Sachant aussi que les services spéciaux ne peuvent pas être efficaces s’ils sont enfermés dans les règles applicables contre la délinquance de droit commun. Cet écart présente des risques pour l’Etat de droit, certes, mais les services concernés ne sont pas peuplés uniquement de tyrans en herbe ou de dangereux irresponsables, et leur raison d’être est justement de faire face aux menaces que les techniques policières classiques ne suffisent pas à traiter.
Contre les seconds, le problème est nettement plus compliqué, mais pas insoluble. En effet, ces « franchisés » ne sont autonomes qu’en tant que djihadistes, mais pas en tant qu’islamistes. Ils peuvent donc être repérés en amont de la commission d’attentats par la surveillance lucide des réseaux diffusant l’idéologie de l’islam politique. La difficulté pour les forces de l’ordre est l’ampleur de la tâche, tant nos élus ont laissé et laissent encore s’étendre cette idéologie délétère. Nous y reviendrons dans quelques lignes.
En matière de dissuasion, une évaluation franche du dispositif Sentinelle s’impose. Ses militaires, comme les policiers et les gendarmes, ne pourront jamais être « partout, tout le temps ». Or, les terroristes peuvent frapper « n’importe où, n’importe quand », et ils le savent. Montrer des uniformes pour rassurer les électeurs ou selon la douteuse théorie du « paratonnerre » n’est en rien une solution viable. Croit-on vraiment que les djihadistes vont se priver d’attaquer des civils vulnérables et sans défense sous prétexte qu’on agite sous leur nez des militaires aptes à se protéger et à riposter ? Sérieusement ?
Oui, il faut renforcer la présence dissuasive des forces de l’ordre. Mais il faut surtout éduquer tous nos concitoyens à un minimum de règles de sécurité et de vigilance, tout en sachant que, malheureusement, le risque zéro n’existe pas.
L’Arabie saoudite et le Qatar ne sont pas nos alliés
A l’extérieur, se pose la question de l’engagement militaire des armées occidentales. Vaste sujet, mais dont on peut résumer ainsi les grandes lignes :
– détruire l’État islamique est nécessaire mais ne sera de loin pas suffisant, et ne fera sans doute pas diminuer le nombre d’attentats ;
– on ne combat pas un ennemi parce qu’il est « méchant » mais parce qu’il est « dangereux ». A ce titre, Bachar Al-Assad n’est pas notre ennemi. Il est même probablement, à ce stade, la moins mauvaise option pour la Syrie. De même, le général Haftar pour la Lybie ;
– en revanche, l’Arabie saoudite et le Qatar ne sont pas nos alliés. Dans la mesure où le cœur de leur « soft power » est justement d’étendre au maximum l’idéologie qui inspire et justifie les attentats sur notre sol, ils sont même nos ennemis – ce qui ne veut pas dire qu’il faille les attaquer sans réfléchir !
– Vladimir Poutine est un allié beaucoup plus fiable que Donald Trump, et que ne l’aurait été Hillary Clinton. Le rapprochement sans naïveté entre l’Europe et la Russie doit se faire, même si l’Amérique s’emploiera à combattre ce qu’elle verra comme un pas en direction d’un « bloc eurasiatique », et réagira selon les vieux schémas opposant la thalassocratie à la puissance continentale – mais peut-être les Etats-Unis arriveront-ils un jour à tourner la page Brzezinski…
– enfin, il est urgent d’œuvrer avec l’aide de la Russie à un apaisement entre Israël est l’Iran, étape incontournable pour redonner à l’Iran la place qui doit être la sienne. N’en déplaise à certains, il faudra donc promouvoir pour Israël la solution à deux Etats, que la simple réalité démographique rend de toute façon indispensable à la pérennité d’un « Etat juif ».
Il faut être critique avec l’islam
Mais c’est sur le front idéologique que se joue l’essentiel. Il faut distinguer les musulmans de l’islam, et l’Islam-civilisation de l’islam-religion. Il faut appliquer la même rigueur critique à l’Islam qu’à l’Occident, et à l’islam qu’à toutes les autres religions, croyances et doctrines. Aux musulmans, il faut imposer de ne plus se vouloir supérieurs aux non-musulmans, et de reconnaître aux autres les droits qu’ils demandent pour eux-mêmes, en particulier dans les pays où ils sont dominants – c’est une condition de leur crédibilité.
A moyen et plus encore à long terme, seule l’éducation pourra enrayer la diffusion des multiples incarnations de l’islam politique.
Esclavage, croisades, colonisation: rétablir des vérités historiques
Sans opposer une propagande à une autre, il faut rétablir le plus objectivement possible la vérité historique. Par exemple, il n’est plus tolérable de lire dans des livres d’histoire pour enfants que les européens « ont conquis des territoires » alors que les musulmans « se sont étendus ». Il n’est plus acceptable d’entendre louer la tolérance d’Al Andalus en oubliant que Frédéric II du Saint Empire était au moins aussi tolérant envers ses sujets musulmans, tout comme les souverains des royaumes francs de Palestine et bien d’autres. Pourquoi ne jamais parler du sac de Rome par les Sarrasins en 846 ? Des raids barbaresques sur les côtes pour capturer des Européens et les vendre comme esclaves dans le Maghreb, ce qui dura tout de même jusqu’au XIXe siècle ? Pourquoi ne jamais dire que les croisades de Terre Sainte, contrairement aux croisades baltes, furent des guerres de reconquête et non pas de conquête ?
Qui, même parmi les musulmans, connaît encore le rôle du calife Jafar Al-Mutawakkil pour combattre le mutazilisme et, en faisant triompher au IXe siècle le dogme du Coran incréé, préparer la crise actuelle ?
Et comment peut-on prétendre que le djihadisme est une « réponse » à la colonisation, à la création d’Israël, aux bombardements américains ou à je ne sais quel problème socio-économique, alors que Ibn Abdelwahhab prêchait pendant la première moitié du XVIIIe siècle, qu’on connaît des djihad en Afrique de l’Ouest dès la fin du XVIIe siècle, qu’au XIVe siècle Ibn Khaldoun considérait le djihad comme un phénomène récurrent, et que la destruction du sanctuaire de Taëf date du VIIe siècle ?
Éducation, encore. Sans tomber dans l’excès d’une « légende dorée », il est néanmoins urgent de valoriser les très nombreux accomplissements des civilisations non-musulmanes – pas seulement de l’Occident – et de rappeler ce que l’Islam leur doit. Rappeler par exemple, si anecdotique que ce soit en apparence, que les fameux « chiffres arabes » et le système décimal viennent de l’Inde polythéiste !
Éducation toujours. La condamnation naïve et imprécise de « la violence » est contre-productive. Assimilant toutes les formes de violence, elle abolit toute distinction éthique et prépare des arguments fallacieux pour, justement, justifier les pires violences. Il est aussi malhonnête qu’immoral de mettre sur le même plan un jeune parti en Angleterre pour se battre contre le nazisme en 1943, et un jeune parti aujourd’hui en Syrie pour servir l’État islamique pour rétablir l’esclavage et la légalité du viol des captives. Il est faux et dangereux de ne pas distinguer des civils tués par accident lors d’une opération militaire, et des civils volontairement ciblés. Tous les combats ne peuvent pas être renvoyés dos à dos.
De même, plutôt que de refuser toute violence, il vaut mieux dire que même lorsque la violence est légitime elle ne l’est pas sous toutes ses formes. Même une cause juste ne justifie pas tout.
La « non-violence »? Quelle « non-violence »?
Sans ces nécessaires distinctions, tout appel à la « non-violence » n’est qu’un désarmement unilatéral. Pire, assimilant les victimes et les bourreaux, une telle « non-violence » dénie aux victimes le droit de se défendre, nie le fait que ce qu’elles ont subi n’est pas acceptable, et est donc à leur endroit d’une extrême violence.
En tant que religion, l’islam doit être critiqué, comme toutes les religions. Il serait rassurant de croire que « le terrorisme n’a rien à voir avec l’islam », mais ce mensonge ne nous protégera de rien. L’Islam-civilisation a bien souvent fait mieux que ce qu’enseignent certains préceptes de l’islam-religion, et de nombreux musulmans, ici ou ailleurs, ont un sens moral élevé, appliquent dans leur vie personnelle une éthique louable et se comportent avec humanité. Il n’en demeure pas moins que le terrorisme djihadiste a tout à voir avec l’islam-religion, pas forcément telle que cette religion est (ou a été) vécue et pratiquée, mais telle que ses textes sacrés la définissent.
La volonté d’imposer l’islam par la force est présente dans la sîrah, dans des hadiths considérés comme authentiques par toutes les écoles de jurisprudence, et même dans le Coran. Des passages appelant à la violence y sont disséminés, par exemple dans la sourate n°8 (« Le butin »). Surtout, la sourate n°9 n’est ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre au monde entier, et selon la règle d’abrogation sa position chronologique d’avant dernière sourate (la dernière étant une brève formule de conclusion) lui donne la prééminence sur tous les versets antérieurs qui pouvaient appeler à la tolérance.
De ce fait, tout islam qui refuse la critique du Coran prépare les esprits à prendre comme référence un texte qui justifie pleinement le djihadisme, et pousse à l’hégémonie absolue sur toutes les autres civilisations.
Seuls peuvent vivre en paix avec le reste du monde, des islams non seulement autorisant mais encourageant la prise de distance vis-à-vis de la lettre du texte coranique, et capables de reconnaître la légitimité d’autres religions et la validité d’autres modes de vie que le leur.
La résistance musulmane à l’islam politique existe
Bien entendu, les musulmans ne se résument pas à l’islam ! Les fanatiques religieux voudraient ne définir un être humain que par sa religion, afin qu’elle soit l’unique horizon de son existence. Mais fort heureusement les dogmes ne parviennent jamais totalement à emprisonner les êtres, comme le prouvent par exemple des femmes admirables, de l’Algérie à l’Iran. Des musulmanes admirables, il n’est pas inutile de le préciser.
Comme à chaque fois, nous allons entendre les refrains du « padamalgam », du danger de l’islamophobie et du « ce n’est pas ça…. » Face à tant de déni, de mauvaise foi et de refus des responsabilités, il est tentant de réagir sans nuance.
Eh bien non ! Prenons un moment pour nous souvenir que le combat contre l’islam politique, et toute lecture littérale du Coran, est depuis longtemps porté par des musulmans : Abdennour Bidar, Kamel Daoud, Michel Renard, Leïla Babès et d’autres.
Nous ne devons avoir aucune complaisance envers la doctrine de l’islam, ni envers ceux qui la diffusent sous une de ses formes conquérantes et intolérantes. Mais il y a des musulmans de bonne volonté, il y a des musulmans qui rêvent d’un islam apolitique, qui voudraient un islam s’appuyant sur un Coran inspiré par le divin et non plus prisonnier d’un Coran dicté par lui. Voilà nos alliés dans la guerre que nous livrons.
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