En l’absence de concurrents, Paris accueillera vraisemblablement les Jeux Olympiques de 2024. Anne Hidalgo a promis d’y investir 145 millions d’euros. Problème : au vu de la situation financière de la ville, on peine à voir où elle trouvera une telle somme. La dette globale a presque doublé depuis son arrivée aux affaires en 2014. Dans le même temps, ses capacités d’investissement sont largement réduites, l’obligeant à mobiliser 50 années de ressources de l’office HLM pour boucler son budget (entre autres méthodes peu orthodoxes)… Des mesures de court terme dangereuses dont s’inquiétait un rapport de la Chambre Régionale des comptes publié il y a quelques mois.
Au sein de l’opposition, Alexandre Vesperini est aujourd’hui l’homme qui monte. Élu du VIe arrondissement, il dénonce la gestion de Paris par Anne Hidalgo. Entretien.
Lucien Rabouille. Il y a quelques mois, la Chambre régionale des comptes a pointé une gestion aventureuse des comptes de la ville. Est-elle exclusivement imputable à Anne Hidalgo?
Alexandre Vesperini. Depuis 2001 et son arrivée a l’Hôtel de ville, la gauche parisienne est fâchée avec les notions d’évaluation et de rationalisation, ce qui empêche toute mesure d’économie utile et durable. La chambre régionale des comptes n’est pas écoutée et l’inspection générale de la Ville de Paris est statutairement rattachée à la Maire de Paris, qui va jusqu’à y nommer d’anciens membres de son cabinet. Subventions aux associations, management, temps de travail des agents, empreinte carbone, perception du service municipal par les habitants, la mairie refuse d’évaluer l’efficacité des dépenses les plus importantes qu’elle engage.
Les aides aux associations sont passées de 130 millions en 2001 à plus de 300 millions d’euros aujourd’hui
Évidemment, la sobriété a été difficilement acceptée pour une administration comme celle de la Ville de Paris, qui est historiquement habituée, sous la gauche mais également avec Jacques Chirac, à débloquer des crédits de manière interventionniste, voire aventureuse et clientéliste, et à compter sur des recettes confortables (droits de mutation). Ces recettes compensent d’ailleurs aujourd’hui la baisse des dotations de l’Etat. Cependant, le virage culturel de la performance doit absolument être entrepris, sous peine d’entraver les projets d’avenir de la Ville. Nous en sommes loin. Aujourd’hui, la Ville refuse de réorganiser ses propres services, poursuivant une dérive des coûts engagée à l’arrivée de Bertrand Delanoë. Les aides aux associations sont passées de 130 millions en 2001 à plus de 300 millions d’euros aujourd’hui (près de 150 euros par habitant). Sans remettre en cause le bien fondé de ces subventions, on devrait davantage contrôler leur usage, notamment lorsqu’il s’agit d’organismes politiques ou para-politiques proches de la gauche (UNEF, Attac…).
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Pourquoi vous en prenez-vous également à la gestion du personnel municipal ?
La Ville de Paris embauche actuellement, entre les mairies et les sociétés d’économie mixte, 60 000 personnes. Malgré cela, les piscines et les stades ont fait grève pendant plus d’un an pour des questions essentiellement salariales, sans que la Ville puisse aboutir à un accord avec les syndicats. Il ne faut pas juger les fonctionnaires de la Ville, qui veulent bien faire dans leur écrasante majorité, mais plutôt leur organisation décidée en haut lieu. Ce management est aujourd’hui dépassé, la mairie gère ses agents à la petite semaine.
Le montant cumulé de la dette s’élèverait à 6,5 milliards d’euro. Ce chiffre a presque doublé depuis l’arrivée d’Anne Hidalgo. Les capacités d’autofinancement de Paris sont-elles réduites à néant ?
L’explosion du taux d’endettement depuis 2001 ne semble pas préoccuper Mme Hidalgo. Si l’endettement public doit être encouragé pour financer des projets d’avenir, il faut reconnaître que la Ville n’emprunte pas pour construire le Paris du XXIeme siècle, mais plutôt pour gérer un vieux service public aujourd’hui inadapté. La mairie dit vouloir dépenser 10 milliards d’euros sur la mandature pour créer 200 000 emplois et créer »les conditions de la reprise ». Je doute néanmoins que les dépenses d’investissement issues du budget participatif du type « jardins partagés », malgré leur effet positif pour nos quartiers, nous rapprochent du plein emploi. En confondant dépenses d’avenir et saupoudrage, Mme Hidalgo est bien loin du keynésianisme municipal. Elle mène une politique de gribouille dont il est difficile de percevoir les priorités.
Mme Hidalgo sacrifie l’avenir sur l’autel de la gestion de la petite semaine
La ville a recours, dit on, à des subterfuges plus ou moins légaux : mobilisation des ressources des HLM… afin de financer l’investissement.
La Ville de Paris est en effet la seule collectivité à pouvoir négocier presque d’égale à égale avec l’Etat et à imposer sa loi sur son territoire, excepté sur la sécurité. Elle s’autorise donc toutes sortes de manipulations comptables, certes valables juridiquement, mais politiquement condamnables. L’exemple des loyers des HLM capitalisés sur 50 ans en constitue l’une des meilleures illustrations. J’ajoute que là encore, avec cette mesure, c’est l’avenir qui est sacrifié sur l’autel de la gestion de la petite semaine d’un vieux système à la renverse.
L’Etat laisse-t-il faire ce genre de pratiques ?
L’Etat lui-même cultive certaines manœuvres coupables, notamment face à Bruxelles! Il est donc mal placé pour donner des leçons budgétaires à la Ville. Ce qui est clair, c’est que les relations entre la Ville et l’Etat n’ont jamais été aussi instables et infructueuses que sous Francois Hollande. Ce dernier ne s’intéressait pas au défi du Grand Paris, pourtant majeur pour l’économie française. La loi sur le statut de Paris, « octroyée » par le gouvernement de Manuel Valls, par l’exécutif s’est révélée être un moyen de calmer Anne Hidalgo et non comme un nouveau cadre stable des relations entre l’État et les Parisiens. Emmanuel Macron semble beaucoup plus déterminé sur cette question et affiche une lecture assez positive des enjeux parisiens, notamment du fait métropolitain. Espérons que cette évolution se poursuivra. Dans ce domaine, on ne peut que progresser!
Anne Hidalgo a procédé à une hausse spectaculaire des tarifs municipaux!
Anne Hidalgo assure pourtant ne pas avoir augmenté les impôts. Si les médias et les politiques ont les yeux rivés sur la taxe d’habitation, dont le niveau reste inchangé, qu’en est il des autres taxes et prélèvements ?
Anne Hidalgo s’est engagée à ne pas augmenter les impôts locaux. Ce serait une promesse réellement tenue si dans le même temps, elle n’avait pas procédé à une hausse spectaculaire des tarifs municipaux! Stationnement, conservatoires, cantines… parallèlement à ce coup de fusil subi par les Parisiens des classes moyennes et favorisées (qui,au passage, constituent souvent sur le plan national, les 2% de contribuables représentant 40% des recettes de l’impôt sur le revenu…), la mairie de Paris est outrageusement clémente avec certains acteurs (mise à disposition de la Tour Eiffel pour permettre au PSG de promouvoir l’arrivée de Neymar, gratuité de l’occupation du parc Monceau pour une filiale de Kering, autorisation gracieuse donnée à Accor de renommer le mythique Par Omnisports Paris Bercy en « Accor Hôtels Arena »…).
On ne peut pas passer sous silence le gouffre financier laissé par Autolib
Enfin, on ne peut pas passer sous silence le gouffre financier laissé par Autolib, ou là encore, la mairie, face au Groupe Bolloré, ne s’est pas comportée comme un opérateur privé avec des exigences financières (près de 180 millions d’euros de perte d’ici 2023 dont une large majorité sera supportée par les contribuables parisiens).
Dans ce contexte, est ce bien raisonnable de vouloir organiser les Jeux olympiques ?
Les Jeux Olympiques représentent une opportunité de développer et promouvoir nos infrastructures, de faire rayonner le monde depuis la capitale. Les olympiades ne peuvent plus verser dans le gigantisme qui aggrave les factures des contribuables et surtout l’empreinte carbone. La Ville de Paris de Paris et l’Etat devront être très vigilants, d’autant que la culture de l’efficacité budgétaire n’est pas vraiment le cœur de l’ADN institutionnel français… Personnellement, je regrette qu’au regard des dépenses engagées, la mairie de Paris n’ait pas consulté nos concitoyens. D’un point de vue démocratique, c’est une faute.
Que faire pour redresser la situation ?
Premièrement, la Ville doit dégager de nouvelles recettes. Certaines activités nouvelles doivent être encouragées afin qu’elles génèrent des redevances nouvelles (meublés touristiques, infrastructures technologiques, production d’énergie décentralisée…)
Deuxièmement, la mairie doit se concentrer sur ses missions essentielles et confier au secteur privé comme à l’économie solidaire et au monde associatif certaines compétences, au moins à titre expérimental. Par exemple sur les cantines scolaires, on pourrait envisager que des associations de parents définissent et gèrent l’alimentation de leurs enfants dans les écoles. Dans l’entretien des parcs et jardins, ne-devrait on pas tester l’autogestion effectuée par les riverains ? Dans le domaine de l’hébergement d’urgence, il y a aussi des pistes à explorer comme par exemple la mise en relation avec les Parisiens qui souhaiteraient offrir un toit aux personnes en difficulté ou faire de la location sociale comme le font certains grands groupes d’hôtellerie économique.
La droite parisienne ne s’est jamais remise de sa défaite historique de 2001.
Vous semblez avoir un boulevard devant vous. Dans ce contexte, pourquoi l’opposition n’est elle plus audible ?
Depuis 2001, La municipalité parisienne a parfois pris des mesures qu’une majorité des électeurs Parisiens approuvait et appelait de ses vœux depuis de nombreuses années, comme la réduction de la place de la voiture.
La droite parisienne ne s’est jamais vraiment remise de la défaite historique de 2001. Elle ne parvient pas à surmonter ses divisions, qu’elles soient personnelles ou liées à des questions de fond. Pis encore, la sélection des talents, notamment dans la société civile, et le travail de réflexion sont insuffisants. À sa décharge, la droite parisienne s’est aussi longtemps retrouvée dans une situation inconfortable : contester des décisions de la municipalité allant dans le sens des aspirations d’une grande partie des Parisiens (Vélib, fermeture des voies rive gauche, Paris Plage…) notamment dans des arrondissements électoralement stratégiques tels que les 12ème et 14eme.
Aujourd’hui, le temps fait son œuvre. La mairie est contestée pour son immobilisme et son idéologie. Par exemple, sur le plan de la circulation, la paralysie des grands axes et la saturation des transports publics exaspèrent beaucoup de nos concitoyens. Sur la propreté, l’entretien de la voirie, la sécurité ou le coût de la vie parisienne en général, le bilan de la municipalité est largement critiqué. C’est donc l’occasion pour l’opposition de se réveiller!
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