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Belmondo et moi (6/8)


Belmondo et moi (6/8)
Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo dans Un Singe en hiver, d'Henri Verneuil (1962)

Le cinéroman de notre Bebel national


Les Mariés de l’An II (1971)

Julia a la même attitude bravache que Marlène Jobert en 1971 dans Les Mariés de l’An II. C’est assez rare chez une blonde cuivrée. Elle porte une large paire de lunettes en écaille qui lui durcit le visage et la rend inoubliable. Julia me plait autant que Marlène Jobert. J’aime la façon dont elle m’écoute parler et me rabroue sévèrement quand j’appelle à la rescousse dans une conversation anodine un écrivain Hussard de mon cheptel ou que je délire sur la cuisson des rognons. Je ne m’en prive pas, pour une fois qu’une fille semble intéressée par ma personne, je me lance, je dis n’importe quoi, je change de sujet, je fais le beau, enfin je suis amoureux. Julia a les mêmes failles que les tempétueuses Christine de Rivoyre et Geneviève Dormann : une fierté de façade et un orgueil d’apparat. Belmondo n’est pas tombé amoureux de Marlène Jobert en 1971. Les techniciens peuvent en témoigner. L’ambiance était électrique.

Une chance sur deux (1998)

Belmondo et Delon avaient l’air de s’amuser en 1998, le spectateur un peu moins. Patrice Leconte s’est laissé piéger par le phénomène Vanessa Paradis. Elle sera toujours pour moi cette adolescente paniquée, prise dans le feu des projecteurs, on avait honte de la voir lâchée si jeune en pâture dans les sales mains du show-biz. Tant d’autres ont succombé à cette gloire soudaine, à ce déballage indigeste, pas elle, elle avait de la ressource. J’ai trompé Julia avec une fille qui ressemblait à Vanessa Paradis, une brindille, affreusement plate, faussement naturelle et aguicheuse à souhait. J’en avais très envie, et trois heures après, vous maudissez la terre de vous être gavé comme un goinfre. Julia ne me pardonnera jamais.

L’Inconnu dans la maison (1992)

Je déconseille à tous ceux qui viennent d’être quittés de regarder L’Inconnu dans la maison. Surtout si vous avez une caisse de Menetou-Salon à portée de main, notamment les flacons « Les Renardières » de Philippe Gilbert. Belmondo a l’alcool plus amer que dans Un singe en hiver. Le feu d’artifice de Tigreville n’éclaire plus les nuits normandes. Trente ans séparent ces deux films. Belmondo s’accommode mal du chagrin, il est plus sourd, plus saoul, à soixante qu’à trente. À bientôt quarante-et-un ans, que me reste-t-il ? Un boulot fantoche et cinquante films de Belmondo pour ne pas tomber en dépression. Julia a eu raison de partir. Belmondo n’a jamais ce genre de problème dans ses films, qui oserait le quitter ?

Paris brûle-t-il ? (1966)

Alain Delon incarne Chaban-Delmas dans Paris brûle-t-il ? Chaban était général à 29 ans. Nous ne sommes pas égaux devant l’existence.

Classe tous risques (1960)

L’adaptation de Classe tous risques a été écrite par Claude Sautet, José Giovanni et Pascal Jardin. Jardin, un nom qui circule parmi les initiés, un code d’entrée pour faire croire que l’on appartient à la même famille. Jardin aura été le meilleur représentant de son œuvre, il la supporte à bout de bras. Nous avons tous une fascination pour sa réussite et ses multiples aventures bottées. Les écrivains ne sont pas ces intellectuels torturés, qui imaginent et qui pensent leurs œuvres, hermétiques au monde extérieur. Ce sont des inventions de maisons d’édition pour refourguer leurs bouquins à des professeurs. Les écrivains sont comme les autres. Ils rêvent de filles inaccessibles, de voitures chromées, de soirées de gala, d’argent facile et de conquêtes d’un soir. La légende Jardin fonctionne sur le même modèle que celle de Françoise Sagan. Il faut absolument lire ou relire cet écrivain cristallin, il parle tellement bien de l’atroce légèreté des sentiments. On aimerait tous lui ressembler un peu. En 1960, tous les acteurs portaient des cravates à l’écran. Pour reconquérir Julia, j’ai fait le serment de me cravater tous les jours et de me replonger dans l’œuvre de Paul Guimard.

Un singe en hiver (1962)

Au-delà de la rencontre entre Belmondo et Gabin, Un singe en hiver m’évoque ce crachin normand qui colle aux vêtements et ce vague à l’âme qui entête sur les plages du Débarquement. Je repense aussi à Blondin, à l’imprimerie de Mayenne, la bouche pâteuse, le regard éteint, le cœur en vrac, quand il corrigeait les épreuves de Monsieur Jadis et se souvenait de son amitié légendaire avec Roger Nimier. Un singe, c’est un film sur l’amour perdu, le plus douloureux de tous, sur une Reconquista sans rédemption, sur l’ivresse qui nous bloque pour avancer. Le cinéma raconte tout le temps des histoires d’amour, il n’y a rien d’autre qui intéresse le public. Les gens se foutent éperdument du cadre, du suspense, ils veulent juste un homme et une femme. Belmondo appelle l’Espagne, n’ose répondre, raccroche et se met à boire. Gabin l’imite. Et les deux partent sur les rives du Yang-Tsé-Kiang.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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