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Pays-Bas: Shirin Musa, la femme voilée « islamophobe »?

Entretien avec la militante associative néerlandaise


Pays-Bas: Shirin Musa, la femme voilée « islamophobe »?
Shirin Musa, Rotterdam. Les affiches de la campagne interpellent les passants : "Choisissez vous-même votre partenaire. Vous sentez-vous libre de choisir ?"

On le sait depuis l’assassinat de Théo Van Gogh en 2002 : les Pays-Bas sont l’autre pays du djihadisme européen. Grâce aux travaux de Thierry BaudetMaarten Zeegers et Paul Scheffer, les lecteurs de Causeur connaissent la proximité des situations française et néerlandaise sur le front du multiculturalisme. Dernièrement, une campagne d’affichage lancée par l’association batave Femmes for freedom dans les rues de Rotterdam promeut les mariages mixtes à destination de la communauté musulmane. Pour avoir osé montrer une jeune femme en hijab embrassant un juif en kippa, son animatrice Shirin Musa, elle-même musulmane voilée, se fait aujourd’hui taxer d’islamophobe par les élites relativistes. Entretien avec la principale intéressée.


 

Daoud Boughezala. Militante de l’association Femmes for freedom, vous êtes à l’origine d’une campagne d’affichage qui fait scandale à Rotterdam. On y voit notamment une femme musulmane voilée embrasser un juif orthodoxe. Quel message voulez-vous faire passer ?

Shirin Musa. J’ai lancé cette campagne d’affichage pour promouvoir la liberté sexuelle des femmes par rapport au mariage. Il y a plusieurs affiches : la première montre une femme musulmane en train d’embrasser un juif, la deuxième une musulmane qui embrasse un européen, la troisième une femme de type indien embrasser un noir. Cette campagne ne concerne pas seulement les musulmans mais la liberté dans son ensemble. J’avais à cœur de montrer que dans les pays développés, l’emprise des communautés patriarcales sur les individus – et particulièrement les femmes – entraîne de nombreux problèmes : violence conjugale, oppression…

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Shirin Musa (droits réservés)

Beaucoup de musulmans néerlandais vous ont accusé d’islamophobie, vous reprochant de montrer du doigt leur communauté. Ne rejettent-ils pas ultra-majoritairement la polygamie et les mariages forcés ?

Quand on interroge les musulmans néerlandais, ils vous répondent tous qu’ils s’opposent bien évidemment aux violences. Pourtant, lorsqu’on leur demande si les femmes ont le droit d’embrasser qui elles veulent et de disposer de leurs corps comme elles l’entendent, beaucoup vous opposent un non catégorique. Leur réponse est bien souvent la suivante : « Ce n’est pas autorisé par l’islam. » A partir de ce constat, j’ai souhaité engager un travail de sensibilisation en direction des Néerlandais de culture musulmane.

Ne craignez-vous pas d’être assimilée à l’extrême droite néerlandaise ?

Pas du tout. Mon combat s’inscrit dans la continuité du mouvement de libération des années 1960 et 1970. A l’époque, les femmes n’étaient pas autorisées à disposer librement de leur corps et de leur sexualité. Cela fait plusieurs années que je mène tout un travail de lobbying en direction des citoyens de culture musulmane pour qu’ils jouissent pleinement du droit d’embrasser qui ils veulent et d’être maître de leur propre vie. Ni plus ni moins. Il est regrettable que nous soyons pris entre deux feux : d’un côté, l’extrême droite qui voudrait se débarrasser des musulmans, de l’autre la gauche relativiste qui voit du racisme dans le simple fait de montrer une musulmane embrassant un juif !

Au fond, pourquoi rejetez-vous si violemment Geert Wilders et son parti PVV, en pointe dans le combat contre le radicalisme islamique ?

Geert Wilders et le PVV dénigrent systématiquement l’islam et les musulmans. Aux antipodes de ma cause, il exècre les femmes musulmanes plus qu’aucun autre groupe. Par exemple, Wilders voudrait imposer une taxe spécifique aux musulmanes qui portent le voile. Notez qu’il attaque seulement les femmes voilées musulmanes, et non les hommes sikhs, juifs, chrétiens et musulmans qui se couvrent parfois les cheveux par tradition religieuse. Sa haine contre les femmes musulmanes et les Marocains révèle sa conception du monde : à l’en croire, tout le monde mérite le même traitement… à l’exception des musulmans ! Bref, Wilders divise la société au lieu d’aider tout un chacun à y apporter sa pierre.

Votre mise au point a le mérite d’être claire. Sans doute rejoignez-vous davantage les positions du maire travailliste de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb. Ce partisan de l’intégration est réputé très ferme à l’égard des immigrés qui rejettent les valeurs de la société néerlandaise. Approuve-t-il votre action ?

Le maire de Rotterdam ne s’est pas exprimé publiquement sur cette campagne mais je pense qu’il y est favorable. En tout cas je l’espère car Ahmed Aboutaleb avait publiquement admis l’existence de problèmes dans le traitement des femmes musulmanes. Quelles que soient les difficultés économiques réelles que rencontre la communauté musulmane, il faut que la législation change pour favoriser l’émancipation des femmes qui en sont issues. C’est pourquoi je poursuis mes activités de lobbying, notamment auprès du Parlement européen.

Quelles questions voulez-vous faire avancer ?

Dans la plupart des pays musulmans, les femmes ne sont pas autorisées à demander le divorce sans l’accord de leur mari. Or, les mariages arrangés sont la norme. La loi islamique et le droit de la famille leur sont défavorables. Au Maroc, une femme peut écoper de deux ans de prison pour demander le divorce sans l’accord de son mari ! Il faut donc agir sur les lois pour que la pratique du mariage arrangé change. Des pays comme l’Inde, le Pakistan ou la Malaisie ne reconnaissent pas en tant que telles les violences faites aux femmes. Je ne nie pas que les femmes blanches soient aussi victimes de violences, par exemple lorsque certaines se font battre ou abuser sexuellement, mais certaines communautés sont plus concernées que d’autres. Nous devrions nous battre pour nos femmes, d’autant que cela aboutit à des progrès : la Grande-Bretagne a pris des dispositions légales pour mettre fin aux mariages arrangés.

Vue de France, votre posture paraît paradoxale : musulmane d’origine pakistanaise, vous portez le voile mais critiquez les aspects liberticides de l’islam. N’est-ce pas contradictoire ?

Je suis née au Pakistan avant d’arriver à l’âge de six mois aux Pays-Bas. Si je porte le voile, évidemment de mon plein gré, et que je pratique ma religion, cela ne signifie pas du tout que je renonce au combat pour le droit des femmes. Bien au contraire. Regardez Malala, cette jeune Pakistanaise agressée par les talibans : elle n’a renoncé ni à sa foi ni à son voile ni à sa lutte émancipatrice. Il y a dans l’islam des éléments hérités du judaïsme, du christianisme et même de l’humanisme.

En tant que musulmane pratiquante, comment conciliez-vous votre foi avec la défense des droits des homosexuels ?

Ce sont les chefs religieux qui rendent la religion intolérante. Personnellement, je considère les droits fondamentaux de l’être comme la base de ma religion. N’oublions pas que les homosexuels sont les enfants de Dieu. Leur existence même signifie qu’ils méritent de bénéficier des mêmes droits et du même traitement que les autres. C’est d’ailleurs en tant que femme musulmane que je me bats pour l’égalité. Aussi, je ne comprends pas les mauvais procès qui me sont faits. Ceux qui à gauche dénoncent « l’islamophobie » de cette campagne devraient revendiquer le droit pour une musulmane d’épouser un non-musulman !



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est journaliste.

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