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Paris outragé, Paris brisé, Paris piétonnisé…


Paris outragé, Paris brisé, Paris piétonnisé…
"Journée sans voiture" à Paris, septembre 2015. Photo: Mustafa Yalcin

Fermeture des voies sur berges, restrictions de circulation sur les grands axes, rues piétonnes à gogo: tant pis pour les embouteillages et la pollution, Anne Hidalgo est fière de sa ville super cool, paradis des touristes, des rollers, et des marchands de mojitos…


C’est un fait historique, la place accordée aux piétons dans la capitale a toujours posé problème. Des siècles durant, l’absence de trottoir les a livrés aux voitures, animaux et détritus au milieu d’une rue violente et anarchique, dure aux faibles, aux étourdis et aux plus pauvres, puisqu’un peu d’aisance permettait de circuler à l’abri des coups et de la saleté dans une chaise à porteur. Cet environnement crasseux et encombré demeura jusqu’au second Empire et aux travaux du baron Haussmann qui prétendaient moraliser en même temps qu’assainir. Force est cependant de constater que le conducteur parisien a toujours eu l’insulte facile et que les embouteillages, qui perdurent depuis le XIIe siècle, n’arrangent pas son caractère. Et pourtant, le Parisien a toujours marché. De François Villon à Léon-Paul Fargue en passant par Louis-Sébastien Mercier, la traversée de Paris a toujours pu se faire librement, c’est-à-dire hors des chemins balisés et malgré les voitures, au plus grand bonheur des esprits curieux. Or la politique d’éradication de LA voiture dans les rues de Paris est en passe de modifier le rapport que les habitants ont toujours entretenu avec leur cité. Ce qui est bien plus grave encore que le fait qu’elle n’atteigne pas ses vertueux objectifs d’une ville plus propre, d’un air plus sain et d’une vie meilleure.

« Dans le sens de l’Histoire » ?

La piétonnisation des voies sur berges rive droite, à l’automne 2016, fut décidée pour « rendre aux Parisiens » cette délicieuse promenade le long de la Seine, et bouter la voiture hors des boulevards des maréchaux. Pour ce faire, nos édiles ont inscrit dans leur politique le mépris des banlieusards qui, pour se rendre au travail, doivent emprunter matin et soir cet axe traversant au cœur de la capitale. Candidat, Emmanuel Macron regrettait « les conséquences pour les moins parisiens » mais Ségolène Royal affirmait que cette mesure allait « dans le sens de l’Histoire », saluant au passage le « courage » d’Anne Hidalgo. Courage… le mot est faible. Pour réaliser ce projet historique, la Mairie de Paris a très officiellement décidé de passer outre un avis défavorable donné par une commission d’enquête, a refusé de reconnaître les embouteillages (jamais vus dans certains quartiers) que générait la suppression de ces voies, a commandé ses propres études sur la qualité de l’air pour prouver qu’en quelques semaines celui-ci était devenu pur et, face aux revêches, a expliqué sans sourciller que s’il y avait encore de la pollution, c’était de la faute de Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, qui n’avait pas imposé la circulation d’autobus électriques. Ne circulez pas, y a rien à voir.

Certes, on a encore peu de recul pour apprécier l’impact de cette mesure. Toutefois, on peut déjà avancer que le problème de la pollution liée à la circulation n’a été que déplacé, comme le pointe un rapport d’Airparif. Si la piétonnisation a entraîné « une amélioration globale sur les quais bas » (normal, il n’y a plus de voitures !), l’organisme de surveillance relève une augmentation de 5 à 10 % des niveaux de dioxyde d’azote dès « la fin des zones piétonnisées » ainsi que sur les « itinéraires de report », tels le boulevard Saint-Germain, les quais hauts et le périph’, où « la congestion s’est accrue ». L’Hôtel de Ville n’étant pas à un paradoxe près, il refuse toujours de faire circuler les vélos sur ces quais bas devenus respirables, préférant faire pédaler ses administrés sur des voies plantées au milieu des nuages de pots d’échappement, sur des quais hauts saturés.

Trottoirs élargis  et « ville pacifiée »

Et pendant ce temps, qu’en est-il DU piéton ? Il se ballade en amoureux le long du fleuve, boit des mojitos aux sons d’orchestres de salsa, et ses enfants s’initient à l’escalade… Quand il ne pleut pas et qu’il ne fait pas froid. Autant dire pas si souvent que ça. À croire qu’en voulant faire vivre les Parisiens au grand air, la municipalité n’a pas pensé au climat qu’il fait ici depuis quelques millénaires. Mais il en faut plus pour faire reculer Anne Hidalgo. Aussi, soucieuse d’imposer cette convivialité au reste de la capitale, notre maire entend avoir achevé la piétonnisation de six grandes places d’ici la fin de son mandat.

Sur le modèle de la place de la République (réussite d’aménagement urbain aux seuls yeux des skateurs, des organisateurs de Nuit debout et des associations de sans-papiers), Nation, Italie, Fêtes, Madeleine, Gambetta et Bastille (la place du Panthéon ayant été retirée de la liste à la suite de la bagarre de la maire du Ve arrondissement) verront bientôt leurs voies de circulation réduites, leurs trottoirs élargis et de vastes pans « végétalisés » pour « donner plus de place à celles et ceux qui ont envie de vivre dans une ville plus pacifiée, avec moins de voitures et moins de stress », selon les termes de la mairie qui espère ainsi offrir 50 % d’espace supplémentaire aux Parisiens. Pour faire quoi ? Personne ne le sait, aussi des « collectifs de quartier » ont été mis sur pied pour penser la ville-super-sympa de demain en « concertation » avec les habitants. « L’espace redonné aux piétons est une page blanche : tout reste à inventer, co-élaborer et co-construire dans les prochains mois avec toutes celles et ceux qui le souhaitent. », promet le site officiel Réinventons nos places !, mais à travers une grille de pensée qui ne semble pas laisser beaucoup de place, justement, à l’originalité ou au simple bon sens qui plaide souvent pour un certain conservatisme.

Un budget bien obscur

Ainsi, aux quatre coins de la ville, des projets d’aménagements promettent « sport », « détente » et « mobilier innovant » où l’on pourra pique-niquer. Autant dire qu’il faut se préparer à voir et à vivre la même chose que l’on se trouve dans le Ve, le XIXe ou le VIIIe arrondissement.

Il demeure pourtant un problème : l’argent. Avec une enveloppe globale d’un peu moins de 30 millions d’euros, coût de la réfection de la place de la République (hors entretien quotidien), la municipalité entend mener à bien ces six nouveaux chantiers monumentaux. Comment y parviendra-t-elle ? C’est un mystère et un énième sujet d’inquiétude pour tous les riverains qui n’ont pas envie de réinventer leur ville pour aller manger une salade de nouilles sur un coin de gazon au milieu des embouteillages. Les ingrats.

Adieu Paris

À ces projets déclarés « emblématiques », sans doute parce qu’ils pourrissent la vie de tous, s’ajoutent une multitude de rues qui sont peu à peu fermées à la circulation par des arbres en pot pour être, elles aussi, « offertes » aux piétons. Lorsque ces bras d’artères négligés ne deviennent pas des veines mortes, ils s’uniformisent à une vitesse étonnante. Ces rues pavées de granit lisse comme en province, ornées d’un mobilier urbain faisant fi de tout héritage artistique et architectural parisien, et longées d’enseignes de cafés ou de friperies interchangeables, deviennent banales « à crever », comme dit la chanson.

Quant aux piétons de Paris, les vrais, pour qui les rues ne sont pas des espaces ludiques mais les maillons d’un ensemble urbain kaléidoscopique propre à alimenter la découverte, ils ne peuvent que pleurer la perte irréversible de cette richesse insondable qui constituait, il y a peu encore, l’identité de Paris.

Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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