Kaoutar Seghrouchni Idrissi. Dans votre livre Mosquées Radicales (éditions Dominique Morin, 2017), vous recensez les principales mosquées radicales sur le territoire français. Vous relevez, derrière le qualificatif de « radicalité », plusieurs tendances des mosquées dont certaines sont connues (fréristes, salafistes, saoudiennes) tandis que d’autres le sont moins (malikites, turques). A quoi ressemblent ces différentes mouvances ?
Joachim Véliocas [tooltips content= »Joachim Véliocas a publié en 2006 une première étude sur L’islamisation de la France (éditions de Bouillon). Son essai Ces maires qui courtisent l’islamisme (Tatamis 2015) s’est vendu à plus de douze mille exemplaires »]1[/tooltips]. Les Turcs sont nationalistes et communautaristes et le public qui fréquente leurs mosquées est homogène. C’est leur différence majeure avec les autres. Les Frères musulmans, les tablighis et les salafistes sont transnationaux. Les salafistes puisent leur idéologie dans des universités islamiques saoudiennes comme Médine et Riad, mais les fidèles sont de toutes les nationalités. D’ailleurs, on a vu des mosquées marocaines basculer dans l’escarcelle des salafistes, résultat de l’entrisme pratiqué par ces derniers. Les tablighis, eux aussi très inclusifs, sont en progression et contrôlent 147 mosquées. Contre 120 pour les salafistes et 200 pour les Frères musulmans de l’UOIF. A titre de comparaison, la Mosquée de Paris contrôle, elle, 700 mosquées.
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Les mosquées turques ont l’air très politisées. Elles créent des écoles, des institutions et une espèce de nationalisme s’en dégage. Sont-elles totalement alignées sur les positions de l’AKP, le parti au pouvoir à Ankara ?
Maintenant que l’AKP est au pouvoir depuis dix ans en Turquie, le réseau de mosquées qui était lié au ministère des Affaires religieuses turques se rapproche en effet de la doctrine du Millî Görüş. Il s’agit d’un projet similaire à celui des Frères musulmans : le califat politique. Ce réseau permet la diffusion en Europe – surtout en Allemagne – d’ouvrages traduits dans lesquels on peut lire par exemple que chaque fidèle est un soldat qui doit propager l’islam[tooltips content=’brochures internes du mouvement traduites par le sociologue turc Mustafa Pekoz dans son livre Développement de l’Islam Politique en Turquie les Raisons Economiques Politiques et Sociales‘]2[/tooltips]. Il ne s’agit pas uniquement des idées mais aussi de la pratique d’un séparatisme culturel. Autour de ces mosquées se structurent des communautés qui vivent en vase clos. Dans les plus grandes mosquées turques, il y a des commerces et même des associations sportives ! Que ce soit dans leurs activités extra-scolaires, le soutien scolaire, la mosquée, les jeunes restent dans le cercle de la diaspora ; ils sont politisés, et considèrent Erdogan comme un modèle à suivre. Depuis qu’il a déjoué le coup d’Etat l’année dernière, il est encore monté dans l’estime de la diaspora.
Les tablighis ont également le vent en coupe. Qui sont-ils
La doctrine des tablighis se rapproche plus du salafisme. Ils sont littéralistes et suivent à la lettre les hadiths, faits et gestes du prophète. Ils sont dans le mimétisme et l’application du mode de vie musulman du VIIe siècle. Mais ce qui les caractérise, c’est leur structure centralisatrice. Leurs universités, les « markaz », sont basées au Pakistan et en Inde, des stages obligatoires y sont programmés pour les cadres qui sont en France, tous les cinq ans environ. Quand ils reviennent, ils encadrent les fidèles tablighis qui doivent partir en mission en France, comme les Témoins de Jéhovah. Ils peuvent partir plusieurs semaines dans des régions reculées de France : la gendarmerie a même repéré des tablighis arpentant des zones rurales de l’Auvergne en groupes de dix habillés comme les salafistes (barbe et qamis) à la grande surprise des riverains.
Les mosquées malikites sont officiellement d’une obédience modérée. Comment se fait-il que le malikisme soit radical dans les mosquées ?
Parce que les principaux ouvrages de cette école, traduits en français, pourraient inciter au passage à l’action violente. L’Epitre d’Ibn Abî Zayd par exemple, une synthèse du bon comportement du musulman, ordonne de tuer les homosexuels et ceux qui insultent Mahomet… Dans la traduction de l’Institut du Monde arabe, il est écrit qu’il ne faut pas faire de prisonniers parmi les blancs, et donc qu’il faut tous les tuer. Amine Nedji, l’imam marocain de la mosquée de Nancy et président du Conseil régional du Culte musulman (CRCM) Lorraine, insiste sur cette prescription de la tradition de tuer les prisonniers de guerre. Certains textes comme la Muwatta de l’imam Mâlik posent problème car il y est dit que les hommes peuvent violer les prisonnières de guerre devenues esclaves. Sur le site du ministère des Habous (Affaires religieuses marocaines), ces livres étaient recommandés comme base pour apprendre le malikisme…
Que faire face aux radicalismes qui se propagent ? Créer de nouveaux instituts qui soient entièrement contrôlés par le gouvernement français ?
Il faut être ferme contre les courants qui posent le plus de problèmes et adapter nos méthodes aux circonstances. Par exemple, les salafistes n’ont pas d’école d’imams, mais les Frères musulmans, via l’UOIF, en ont une. Dans leurs « master classes », ils ont déjà fait intervenir Youssef Al-Qaradawi qui prône le meurtre des apostats et des homosexuels. Cette école, il faut la fermer ! Les autres écoles d’imams sont liées à la Grande Mosquée de Paris. Sauf que Lina Murr Nehmé, une libanaise qui écrit sur l’islam en France, a repéré des ouvrages d’auteurs radicaux comme Al-Qaradawi et Az-Zouhayli de la mouvance des Frères musulmans, dans la base documentaire de la Mosquée de Paris. Pour tout vous dire, je suis pessimiste.
Au-delà de la menace terroriste, l’islamisme pose le problème du séparatisme car il propose un système de vie complet et alternatif en totale rupture avec la culture française. Que peut-on faire pour lutter contre ce phénomène pas forcément illégal mais dont les conséquences peuvent être graves ?
Nos services de renseignement doivent établir un diagnostic via des perquisitions dans le cadre desquelles ils doivent étudier tous les livres qui sont disponibles dans les mosquées. Très souvent, elles ne cachent pas leur obédience salafiste ou frériste ; la plupart du temps, il suffit d’aller sur leur page Facebook ! Ensuite, il ne faut pas hésiter à fermer les mosquées salafistes et fréristes : ça créera des remous mais c’est gérable. On l’a vu dans les dernières fermetures, que ce soit à Lagny-sur-Marne, à Ecquevilly, à Torcy, à Villiers-sur-Marne ces six derniers mois : il n’y a pas eu d’émeute. Il faut faire comme en Tunisie où, il y a quelques années, plusieurs mosquées salafistes ont été fermées d’un coup.
Je préconise ce qu’avaient proposé François Fillon et Marine Le Pen : interdire les Frères musulmans et les salafistes. Ces dernières années, les Frères musulmans ont cautionné des crimes tels que l’assassinat du penseur réformiste égyptien Farag Foda. Ce crime a été légitimé par Mohammed al-Ghazali, un homme qui a très bonne presse en France : tous ses livres sont traduits en français et disponibles dans toutes les librairies et mosquées de l’UOIF ! Il faut aussi fermer les mosquées malikites radicales, même si ça crée des tensions avec la communauté marocaine. Même si cela provoquera, un déport des fidèles vers les autres mosquées, un problème supplémentaire qu’il faudra gérer. Mais déjà, si on ferme les 120 mosquées salafistes, les 147 tablighis, et les 200 de l’UOIF, ce sera un bon début.
Vous faites état de menaces de guerre civile entendues dans les mosquées du courant wahabbite saoudien après l’interdiction du voile, vécue comme une agression. Est-ce que vous voyez d’autres indices d’une volonté d’en découdre avec la société française ?
Oui. La loi de 2004 c’était vraiment leur cheval de bataille, mais même des frictions bien moindres sont utilisées pour créer des tensions. Quand les écoles musulmanes hors contrat n’obtiennent pas d’agrément, comme à Toulouse, ça peut aussi être une source d’énervement. On peut aussi parler des mosquées – comme à Clichy – qui étaient dans des locaux municipaux, et dont le bail avec la mairie était terminé. Les directions de ces mosquées ont jeté de l’huile sur le feu en criant à la persécution. Se poser en victime, crier à l’injustice et insinuer que des débordements risquent de suivre s’ils n’obtiennent pas satisfaction est une stratégie courante. Ce sont des scénarios qu’on retrouve dans toute la France et qui engendrent des tensions fortes voire de la violence qui restent, pour le moment, au niveau local.
Votre livre met en avant l’influence des mosquées dans la propagation de l’islamisme et du séparatisme musulman. Quel est donc le rôle d’Internet et des réseaux sociaux dans la radicalisation ?
YouTube et les mosquées sont liés ! Internet est un vecteur et un catalyseur pour les prédicateurs les plus charismatiques, qui arrivent à se constituer un auditoire de centaines de milliers de personnes, comme l’imam Rachid Abou Houdeyfa de Brest. Mais souvent, ça commence dans ou autour d’une mosquée. C’est ensuite qu’internet rend les prêches très accessibles. C’est un accélérateur de radicalité. Sans parler des prédicateurs étrangers ultra-radicaux qui, souvent, voient leurs discours traduits en français, comme par exemple, les savants saoudiens comme Al-Outheymine, Fawzane ou Haytham Sarhan. Ça peut donc toucher tous les musulmans. Le salafisme est « boosté » par ces prédicateurs qui officient à la fois dans des lieux physiques et sur la toile. C’est un ensemble qu’il serait erroné de séparer.
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