La plupart des bureaux sont déjà déserts, rendus à l’anonymat qui semble avoir été la première ambition de leurs constructeurs. Seules les affiches encore scotchées aux murs – celles de Fillon, intactes, celles de Macron agrémentées de toutes sortes de malices – rappellent que l’ensemble du bâtiment, planqué dans une petite rue du XVe arrondissement, était, la veille encore, une ruche bourdonnante mobilisée pour une victoire que tous, jusqu’au dernier moment, ont voulu croire possible. « Les gens du digital nous ont gonflés avec Filteris, alors on y croyait », murmure une conseillère qui suit Fillon depuis longtemps. La jeune femme évoque en se marrant les manigances des uns et des autres pour être sur l’image lors des meetings ou des débats télévisés. En même temps, on comprend : pour se fader trois heures de palabres sur une chaise en plastique, il faut que ça serve à quelque chose.
« Entre sarkozystes et fillonistes, on était en famille »
Ce mardi 25 avril, deux jours après le premier tour, il règne au QG de la campagne Fillon l’atmosphère très particulière des lendemains de défaite. L’excitation teinte la déception, et le bonheur d’être encore ensemble se mêle à la nostalgie de devoir se quitter bientôt. Malgré son air juvénile, Jean-Baptiste Doat en est à sa quinzième ou seizième campagne. Directeur de cabinet de Bruno Retailleau au Sénat et au Conseil régional des Pays de la Loire, ce garçon discret et d’un calme qui doit faire merveille dans les circonstances les plus électriques a donc participé dès le début à la longue marche de Fillon. Au QG, il a dirigé le pôle numérique, une vingtaine de jeunes gens qui passaient des heures, souvent en nocturne, rivés à leurs écrans pour diffuser la parole et forger la statue du candidat. Dans la « war room », les petits tas de canettes de bière, l’odeur de tabac et de pizza froide, sans oublier le dernier cubi de rosé tiède qu’on verse dans les gobelets en plastique, racontent l’histoire de ces semaines passées les uns sur les autres, dans une ambiance hésitant entre la salle de garde et la chambrée. « C’est comme ça une campagne, observe Doat. Des gens qu’on ne connaît pas deviennent vos meilleurs amis. »
Pour la dernière fois, toute la petite troupe va déjeuner chez les Portugais du coin où l’aristocratie, qui avait un accès direct au patron, en l’occurrence Myriam Lévy, l’omnipotente conseillère politique, et Igor Mitrofanoff, la plume, est attablée de son côté. Ce jour-là, beaucoup veulent encore imputer la défaite à la violence de la presse et à la félonie des juppéistes. « Ils ont été tellement violents sur les affaires qu’on était contents qu’ils partent, raconte Anthony Bressy, un autre jeune de l’équipe numérique. Non seulement ils ne nous donnaient aucune info, aucun fichier, mais ils essayaient en sous-main de gauchiser le propos. Un jour on a arrêté un tract qu’ils préparaient sur la diversité. Après le Trocadéro, quand ils ont lâché, ça s’est très bien passé entre sarkozystes et fillonistes, on était en famille. »
Fillon est tout sauf un manager
Au sommet du parti, c’était un peu moins le cas, observe Christophe Billan, le patron de Sens commun.
