Christian Jacob a piqué une belle colère hier. Et on ne peut pas franchement donner tort au président du groupe LR à l’Assemblée. Une tradition, vieille de plusieurs décennies, accordait au plus important groupe d’opposition un poste de questeur sur les trois que compte l’Assemblée nationale. La questure constitue un lieu stratégique au Palais-Bourbon puisqu’elle a la haute main sur le budget de la Chambre. L’usage voulait donc que l’un des trois questeurs soit désigné parmi les députés opposants, afin qu’il puisse contrôler la majorité dans ces missions d’importance. Ainsi, lorsqu’on votait pour les questeurs, les députés de la majorité s’abstenaient de participer au scrutin pour celui réservé à l’opposition. Mais hier, rien ne s’est passé comme d’habitude.
L’opposition façon puzzle
Eric Ciotti a obtenu 146 voix, 46 de plus que les effectifs de son groupe, agrégeant certainement des voix d’autres groupes d’opposition. Cela aurait dû suffire à son élection. Mais un grand nombre de députés de la majorité a influé sur le résultat, choisissant un opposant plus commode, Thierry Solère. Ce dernier est désormais connu pour avoir créé le groupe au nom hilarant de « constructifs ». C’est aussi un proche du Premier ministre et du ministre de l’Economie. Qui n’a pas caché son intention de voter la confiance au gouvernement. Autant dire qu’il est dans la majorité.
Christian Jacob a donc logiquement pris à témoin le président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, qui semblait gêné du haut de son perchoir.
Christian Jacob: « Les droits de l’opposition… par BFMTV
Il est peu imaginable que les députés LREM aient pris seuls l’initiative de piétiner une si ancienne tradition parlementaire. Les sergents Ferrand et Castaner ont bien dû mobiliser quelques troupes pour dégager l’épouvantail Ciotti et promouvoir le moderne Solère, à qui on devait renvoyer l’ascenseur après avoir amorcé la déflagration de l’opposition de droite. Et à qui obéissent donc Ferrand et Castaner sinon à celui qu’une presse en pâmoison surnomme « Jupiter » ?
On comprend donc la décision du groupe LR de ne pas participer au bureau de l’Assemblée nationale. Nuit chaude dans l’hémicycle. Suspension de plus deux heures avec un Rugy introuvable. Et les six vice-présidences qui reviennent au groupe LREM faute de candidats de l’opposition. Deuxième jour de la législature, première crise parlementaire. Jupiter fait très fort !
Sarkozy? A côté, ce n’était rien
Le même jour, Gérard Larcher annonçait que le président avait l’intention de réunir le Congrès à Versailles la veille de la déclaration de politique générale de son Premier ministre. On nous avait promis le retour du président qui préside au-dessus de la mêlée, laissant le chef de gouvernement gouverner et diriger la majorité parlementaire. On retrouve un hyperprésident vibrionnant, s’occupant de tout, écrasant son assesseur, s’asseyant sur les usages parlementaires et piétinant les droits de l’opposition. Nicolas Sarkozy, qui s’y connaissait en hyperprésidence vibrionnante, n’aurait pas pu faire le quart de la moitié de ce qu’Emmanuel Macron ose depuis quelques semaines sans être taxé de dérive poutinienne.
Cette histoire de questure peut paraître anecdotique, elle n’en est pas moins révélatrice d’un état d’esprit. Mais évidemment, pas un mot sur cette histoire au journal de 20h de France 2. Service public oblige… Défendre les droits de l’opposition, la séparation des pouvoirs, le contrôle du budget de l’Assemblée nationale, pourquoi pas ? Mais quand même pas avec Eric Ciotti et Christian Jacob ! Ainsi va le petit monde politico-médiatique en ce début d’été 2017. Comme me le souffle un bon esprit : « jusqu’ici, tout va bien ! »
Retrouvez tous les articles de David Desgouilles sur son blog Antidote
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