
En février 2016, un homme écopait de deux ans de prison pour avoir, quelques jours plus tôt, brûlé et défenestré Griffin, le chat de sa compagne, un crime odieux qui avait embrasé les réseaux sociaux. La presse, les associations et les comptes twitters déchaînés applaudissaient ce châtiment exemplaire (révisé à la baisse en appel). Le 4 avril 2017, Sarah Halimi, 65 ans, résidente d’une HLM de Belleville depuis trente-cinq ans, était torturée et défénestrée aux cris de « Allah Ouakbar ». Le meurtrier, son voisin Kobili Traoré, était déclaré inapte à la garde à vue et interné en psychiatrie, où il se trouve toujours. Il ne sera peut-être jamais jugé. Bien sûr, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’état mental de cet homme – un type qui commet un tel acte ou qui roule sur une foule ne donne pas toutes les garanties d’équilibre. On peut au moins s’étonner que le procureur de Paris n’ait pas retenu la circonstance aggravante de l’antisémitisme, fût-ce pour l’écarter au cours de l’instruction. Il est en revanche certain que le calvaire de Sarah Halimi a suscité moins d’émotion et moins de mobilisation que celui de Griffin. Et que la justice a été beaucoup plus prudente pour une paisible retraitée juive que pour un chat. Il faut croire que les victimes nous importent moins que de tenir les « bons coupables ». Si Sarah Halimi avait été massacrée par un skinhead, l’entre-deux tours aurait été une Sarah Pride. Chacun serait allé voter contre la haine en arborant fièrement son nom et son visage. On se serait vautrés dans les amalgames les plus éhontés, en se félicitant de ne pas céder face au fascisme. Seulement, dès qu’il s’agit de la haine islamiste, qu’elle s’exprime par la violence, la détestation affichée de la liberté française ou le harcèlement des femmes, bref dès qu’il s’agit de la haine concrète, réelle, celle qui pourrit la vie de gens ici et maintenant, toute cette énergie résistante se confond en précautions, chichis sémantiques et promesses d’accommodements : faut faire attention des fois qu’on irait confondre un brave dealer avec un vrai barbu.
Certains nous expliquent qu’on ne voit pas ce que l’on voit
À l’époque, même les institutions communautaires juives, souvent trop promptes à dégainer, n’ont pas voulu gâcher la fête électorale. Il ne fallait pas faire le jeu du Front national. Et puis, on n’était pas sûrs. Si ça se trouve, le gars fréquentait la mosquée de la rue Jean-Pierre Timbaud mais c’était une couverture. Ce silence – dont nous sommes également coupables quoi que moins longtemps que d’autres – désarme les sociétés européennes plus sûrement que les manquements de nos services de sécurité. Comment pourrions-nous lutter contre un fléau qu’on refuse de voir, contre un ennemi qu’on ne veut pas nommer ? C’est donc d’abord ce silence qu’il faut combattre aujourd’hui. Malgré l’acharnement de la journaliste Noémie Halioua (dont nous publions l’enquête pages 46-49) et de l’avocat Gilles-William Goldnadel, la partie est loin d’être gagnée si on en juge par celui, à peine poli, qui a accueilli la pétition signée le 2 juin par nos plus éminents intellectuels
