La course à la moralisation des fonctions publiques électives est un petit jeu éminemment pervers. Eh oui par ce que s’y applique le fameux proverbe tropical : « Quand on veut monter au cocotier, il vaut mieux avoir le derrière propre. »
Ferrand, deux poids…
Richard Ferrand en fait aujourd’hui l’amère expérience et se retrouve dans une drôle de nasse. Ce n’est pas le premier et il ne sera sûrement pas le dernier. Le problème est qu’à ce petit jeu tout le monde est perdant. Le nouveau pouvoir qui avait fait de la probité un de ses chevaux de bataille comme le montraient les inénarrables tweets du même Ferrand illustrant de façon caricaturale l’adage : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Les médias distraits de leurs spasmes d’adoration macronien, obligés qu’ils sont de parler du sujet qui fâche. Et l’opinion publique, gavée de ce genre d’histoires, qui commence à rêver de piques avec des têtes au bout.
Nous veillerons à ce que nos candidats aux législatives n’aient pas de conflits d’intérêts, et n’embauchent pas de membres de leur famille.
— Richard Ferrand (@RichardFerrand) 23 février 2017
Nous demanderons aux investis @enmarchefr de ne pas embaucher, une fois élus, des membres de leur famille. #E1Soir #E1
— Richard Ferrand (@RichardFerrand) 29 janvier 2017
Nous interdirons aux parlementaires d’embaucher un membre de leur famille et d’exercer une activité de conseil. #BourdinDirect
— Richard Ferrand (@RichardFerrand) 12 mai 2017
Sur la base des informations fournies par le Canard enchaîné, j’avais, non pas pris la défense de Richard Ferrand mais donné mon avis sur ce qui m’apparaissait une opération banale. L’immobilier et le crédit facile, sont des moyens de gagner de l’argent sans beaucoup travailler, ce n’est pas une nouveauté. Le problème est que chaque jour amène de nouvelles informations qui se révèlent préoccupantes. Sur le plan politique et éthique d’abord pour un nouveau ministre grand donneur de leçons de morale, mais désormais sur le plan juridique aussi. Jusqu’au judiciaire où les positions du Parquet national financier (PNF) et du parquet de Brest enfermés dans le refus d’une enquête préliminaire, commencent à devenir intenables.
Un avocat balance dans Le Parisien
Explications. Un avocat aujourd’hui retraité pensant peut-être que ce statut lui permettait d’être relevé du secret professionnel, a fourni au Parisien quelques informations assez déplaisantes. Rappelons que la compagne de Richard Ferrand a acquis un bien immobilier par l’intermédiaire d’une société civile en obtenant un financement bancaire de 100 %. Et ce grâce à une promesse de location de ce bien signée avec les Mutuelles de Bretagne dirigées par le même Ferrand. Le bail prévoyant que le preneur (la mutuelle) effectuerait les travaux de rénovation pour un montant de 186 000 euros. Les loyers courants permettant probablement le remboursement de l’emprunt. Résultat la famille Ferrand serait devenue propriétaire d’un bien d’une valeur importante sans avoir dépensé directement un euro et sans prendre le moindre risque. Cela n’a rien a priori d’anormal, ni d’inhabituel chacun sait qu’en régime capitaliste, l’immobilier et le crédit sont les moyens de devenir riche sans trop se fatiguer. Jusque-là, je maintiens mon analyse précédente.
Malheureusement, avec l’interview de l’ancien bâtonnier, il y a un après qui pourrait faire changer d’avis. La promesse d’achat du bien immobilier en question, aurait initialement été signée par Richard Ferrand lui-même ! Et comportait une condition suspensive, non pas comme c’est habituel d’obtention d’un financement bancaire, mais de la signature d’un bail avec les Mutuelles de Bretagne ! C’est-à-dire que l’acheteur était celui chargé d’établir les besoins en locaux de la mutuelle. Effectivement, Richard Ferrand était idéalement placé pour savoir quel était le type de locaux dont avait besoin la structure qu’il dirigeait. Le terme à la mode de « conflit d’intérêts » trouve là une belle illustration. Il est probable que ladite promesse comportait également, ce qui est là aussi habituel, une clause de substitution permettant de la céder à sa compagne ou à la SCI constituée pour la circonstance. Et c’est à partir de là que quelques questions se bousculent et mériteraient réponses.
Le mal est fait
Tout d’abord, pourquoi les Mutuelles de Bretagne n’ont pas envisagé l’achat du local dont elles avaient besoin ? Était-ce leur intérêt de se contenter de louer, au lieu par une acquisition d’augmenter la valeur de leur patrimoine ? Ensuite, est-ce qu’en contrepartie des 186 000 € de rénovation, les Mutuelles ont bénéficié d’un différé ou d’un allègement de loyer ? Il faut en effet pouvoir établir le bilan coûts/avantages du contrat de bail pour vérifier son caractère équitable. Vérification qui mettrait Richard Ferrand à l’abri de l’accusation d’avoir privilégié ses intérêts personnels au détriment de ceux de son employeur. Parce que sa propre signature sur la promesse de vente l’y expose dangereusement.
Il y a aussi l’application de règles classiques en matière de convention passée entre des personnes morales et leurs dirigeants à titre personnel. En la circonstance, c’est l’article L.114-32 du code de la mutualité qui les organise. Il faut savoir si elles ont été respectées, en particulier si les commissaires aux comptes de la mutuelle ont été consultés sur cette opération, cette consultation étant obligatoire. À défaut, l’affaire prendrait un tour pénal caractérisé. Je ne peux pas penser que cette procédure n’ait pas été respectée ce qui aurait constitué une énorme imprudence. Dans ce cas-là, sous des dehors un peu acrobatiques et déplaisants, cette affaire ne devrait pas prospérer jusque devant un tribunal correctionnel.
Le problème c’est que le mal est fait et qu’il est absolument impératif de répondre rapidement à toutes les questions qui se posent. « La femme de César ne doit pas être soupçonnée. » C’est la raison pour laquelle ce refus obstiné du Parquet national financier (PNF) d’intervenir dès qu’un dossier touche de près ou de loin Emmanuel Macron, au contraire de l’incroyable célérité utilisée contre François Fillon est une mauvaise action. Comment démontrer encore, et sans état d’âme, la partialité de cette institution d’exception ? Le parquet de Brest n’est pas en reste, alors qu’une enquête préliminaire aurait permis de répondre clairement à toutes les questions et d’éteindre ainsi la polémique.
Le mal est fait. Qui est le prochain sur la liste ? Le venin de l’affaire Fillon avec l’absence de vergogne dans l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques et la confiscation de la présidentielle, va continuer à infuser longtemps.
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