Que s’est-il passé ? Tout au long de la campagne, à l’exception d’une brève accalmie entre les deux tours, Marine Le Pen est allée de déconvenue en semi-échec, à l’image de son score de second tour, 34%, à comparer aux 18% de son père en 2002 mais loin des quatre électeurs sur dix que lui prédisaient les enquêtes d’opinion. « Quatre candidats à 20%, c’est du jamais vu. Tout le monde a triangulé tout le monde. Macron a piqué l’antisystème, Mélenchon le social et Fillon le conservateur. », soupire un proche de Marion Le Pen déçu du résultat final.
Zemmour porte l’estocade
Malgré deux beaux coups de com’, lorsqu’elle a refusé de porter le voile devant le grand mufti libanais et qu’elle a consolé les ouvriers de Whirlpool, Marine Le Pen n’aura jamais su retourner durablement la tendance en sa faveur. Outre des décennies d’antilepénisme médiatique, les explications ne manquent pas. Il y a d’abord ce qui relève de l’évidence : par sa prestation désastreuse lors du débat d’entre-deux-tours, Marine Le Pen s’est aliéné des millions d’électeurs accablés par son impréparation économique et ses banderilles ad hominem contre Macron.
Sitôt le résultat connu, les augures se sont empressés d’interpréter cette contre-performance. Eric Zemmour, fidèle à ses amitiés buissonnières, dénonce le « fiasco intégral » d’une campagne mariniste menée à contre-courant : des débats à n’en plus finir sur l’euro et le remboursement des lunettes de vue, mais pas un mot plus haut que l’autre sur l’immigration massive et son corollaire islamiste. A se tordre de rage : à force d’invoquer le ni droite ni gauche, la présidente du Front national a perdu sur tous les tableaux. Pensant séduire l’électorat mélenchoniste par sa forfanterie dégagiste, Marine Le Pen ne s’est finalement agrégée que 7% des électeurs de la France insoumise, contre 20% des fillonistes. Le tout assorti d’une performance calamiteuse chez les retraités, apeurés par la sortie de l’euro et la perspective de perdre leurs bas de laine.
L’impossible union des droites?
C’est dire si Marine Le Pen aurait réussi à mordre sur Les Républicains par un discours oubliant l’euro et franchement ancré à droite, en tenant une ligne plus identitaire et moins marxisante, plaident les tenants de l’alliance des droites. Un proche de Marion Le Pen-Maréchal concède que « la droite catho continue pour moitié de préférer réparer la toiture de son manoir, donc de conserver l’euro, que de régler les problèmes identitaires. » Dans le même registre, le soir du premier tour, Paul-Marie Coûteaux me glissait dans l’oreille que Marine Le Pen perdrait à droite ce qu’elle ne gagnerait jamais à gauche, ne pouvant espérer atteindre les 40% que par des appels du pied aux Républicains. Patatras, la prophétie s’est réalisée.
Mais faut-il pour autant donner raison au club de l’Horloge, où Alain Juppé siégeait naguère aux côtés d’un certain Henry de Lesquen, rêvant jadis de fusionner UDR, RPR et FN ? Aujourd’hui, dans l’esprit du maire de Béziers et de quelques autres, il est question de récupérer la frange nationale-bonapartiste des Républicains pour élargir le socle électoral du Front et enfin percer le plafond de verre. Pas évident. Deux secondes et demi après l’annonce de son élimination, François Fillon, bientôt suivi par les caciques LR, a appelé à voter Emmanuel Macron, non sans charger son fidèle allié Sens commun de tous les maux de la terre. Adieu veaux, vaches, cochons et couvées cathos ! Si « droite des valeurs » il y a à LR, il faut la chercher loin, peut-être du côté de Thierry Mariani et de quelques autres élus méridionaux excédés par la dérive centriste de leur parti, prétendent certains. A voir. L’acte de bravoure des Wauquiez et Mariani s’est borné à prôner l’abstention. En l’occurrence, son crypto-mélenchonisme économique a servi de repoussoir.
Misère de l’économisme
Admirateur de Patrick Buisson, le brillant essayiste François Bousquet fustige à raison « l’économisme » échevelé qui a fait capoter les campagnes de Fillon et Le Pen. Ordolibéral pour l’un, étatiste forcenée pour l’autre. Avec une grande absente : la France, à la fois dans ses grands desseins et ses petits tracas quotidiens, sur lesquels le Front national a longtemps fait son beurre. Comme l’expliquait Bousquet à nos confrères de TV Libertés, l’épouvantail du « banquier Rothschild » n’évoque pas grand-chose aux relégués de la France périphérique bien plus sensibles aux nuisances de leurs voisins « cas soces » vivant des aides sociales. Là-dessus, pas un mot des cadres frontistes, qui lorgnent le quart-monde. La doctrine Buisson consiste à fusionner électorats conservateur et populaire autour des questions morales et identitaires, comme Sarkozy y parvint en 2007 et dans une moindre mesure en 2012. Pour l’heure, le Front national ne s’y essaie pas, sauf peut-être dans quelques fiefs du Midi que ses maires gèrent tant bien que mal.
Pour résumer, deux grandes options stratégiques s’opposent au sein du Front. L’aile économiste, qui a longtemps tenu la barre, s’inspire des travaux de Jacques Sapir sur la fin de l’euro et le souverainisme. Entre les deux tours, l’économiste n’en démordait pas : « Marine Le Pen a fait une campagne de second tour relativement consensuelle dès le premier. Elle a perdu sur ses franges radicales. Cette stratégie risquée a failli buter sur la remontée de Mélenchon mais anticipait le duel avec Macron, ligne contre ligne sur l’économie. » Mais n’est pas Florian Philippot qui veut. Sans vouloir enfoncer le couteau dans la plaie sur le terrain de l’incompétence, force est d’admettre que le passif du FN et son image faussent l’affrontement. Bien que Marine Le Pen et Emmanuel Macron aient surjoué le clivage société ouverte vs. enracinement, multiculturalisme vs. républicanisme, libéralisme vs. dirigisme économique, nombre de souverainistes en accord avec le programme du Front ont préféré aller à la pêche. « Marine ne rêvait que du second tour contre le « petit trader » Macron », me confirme un conseiller de Marion Le Pen… mais la sauce n’a pas pris. Jusque chez les électeurs de Nicolas Dupont-Aignan, pourtant rallié entre les deux tours au prix d’un reniement sur l’euro. La stratégie ultra-économiste du FN mariniste a donc tout d’une impasse.
Hénin-Beaumont n’est pas la France
A l’appui de la stratégie Philippot, Jacques Sapir sort les cartes électorales qui « confortent Guilluy. Toutes les régions d’anciennes industries, en pleine crise industrielles, ont basculé en faveur de Marine Le Pen. Inversement, Macron a marché dans des villes moyennes très connectées au reste du monde, comme Blois, et sur le littoral Atlantique, qui emploient une main d’œuvre immigrée non-négligeable. » A la division de la France en deux suivant une ligne est-ouest, se superposent d’autres clivages culturels et géographiques. Ainsi l’échelon stratosphérique de Christophe Guilluy ne dit pas tout des fractures françaises, autant économiques que culturelles et identitaires.
Toute une frange des électeurs urbains d’En marche !, plus ou moins aisés et employés du secteur privé, n’ont rien contre l’enracinement et une dose de conservatisme moral. Mais la diabolisation pavlovienne du « banquier Macron » a paradoxalement servi le nouveau chef de l’Etat en rangeant Marine Le Pen du côté des perdants systématiques de la mondialisation. Au cours des débats de premier tour, Marine Le Pen n’a pu donner de définition positive de la France, là où Macron rivalisait d’optimisme, d’espérance et proclamait sa foi – certes naïve – dans le Progrès. Pour élargir sa base, encore faut-il prendre conscience qu’Hénin-Beaumont n’est pas la France. « Il faut parler aux urbains, faire monter une nouvelle génération qui tient un discours positif et audacieux », préconise un quadra ex-mégrétiste. En bref, plutôt que de rejouer Fort Chabrol, lancer un long travail de fond pour renouer avec ce que le néo-fasciste Giorgio Almirante appelait la « nostalgie de l’avenir ». « Dans le futur, le camp dit des « patriotes » se doit de porter une vision de la France de demain et non plus se contenter de pleurer celle qui a disparu », souhaite un élu frontiste de l’Ouest qui se dit « républicain et libéral ». En privé, ce cadre appelle son parti à une vaste autocritique : « le FN a parfois laissé la sensation d’un parti déconnecté, uniquement focalisé sur sa communication », réduisant la stratégie au marketing électoral. Le tout à l’image des tweets navrants de Jean Messiha, énarque d’origine égyptienne auto-enfermé dans son emploi victimaire de Taubira frontiste criant au racisme à la moindre critique.
La montée du vote FN a libéré la parole raciste … de la gauche ! https://t.co/S5hZ4dpgE8
— Jean MESSIHA (@JeanMessiha) 12 mai 2017
Macron écoutant le chant des partisans c’est Martin Luther écoutant l’hymne des confédérés
— Jean MESSIHA (@JeanMessiha) 8 mai 2017
La « droite hors les murs » dans le mur
Depuis une petite dizaine d’années, Marine Le Pen a savamment construit un appareil idéologique s’appuyant sur une refonte complète de son vieux parti. Et cette refondation ne se résume pas au fait d’exclure tel ou tel vieux briscards nostalgiques de l’OAS et autres skins fans de la division Charlemagne. Au fond, ainsi que l’analyse Nathalie Krikorian-Duronsoy, Marine Le Pen a réussi à réconcilier la nation et la République, séparées depuis l’Affaire Dreyfus, en forgeant un programme cohérent – sinon réaliste. S’il est une mutation indéniable que sa présidente a engagée avec succès, c’est la transformation du Front national en parti aspirant à l’exercice du pouvoir. Grâce à l’abandon du peuple par la gauche multiculti et au reniement de la nation par la droite européiste, le FN a théoriquement un boulevard devant lui.
Mais depuis quelques jours, une force centrifuge explose sur son passage tous les grands partis, des socialistes éparpillés façon puzzle aux Républicains amoureux transis du nouveau président. En mal de projet et d’alternative, a fortiori depuis le retrait provisoire de sa nièce, Marine Le Pen a promis une refondation. D’ores et déjà, Florian Philippot a créé son association, « Les Patriotes », chaperonnée par le noyau de ses proches. Est-ce un premier pas vers l’extérieur ? Le vice-président du FN s’est engagé à claquer la porte si le FN renonçait à quitter la zone euro. De l’autre côté du Front, sur son flanc droit, les Collard et Ménard rêvent d’une grande jonction entre l’aile gaulliste des Républicains, un FN identitaire et catholique, les militants de Debout la France, et quelques électrons libres. « Mais la droite hors les murs va dans le mur ! », ironise un ex-mégrétiste sidéré par l’échec du colloque de Béziers l’an dernier.
Vers un Front… républicain?
Nul ne sait quelle voie pourrait mener le Front national au pouvoir en 2022. Le mouvement devrait s’appliquer à lui-même ses propres préceptes : de l’avis de nombreux militants, les doléances et observations de la base ne remontent pas au sommet du parti. Depuis que le Front des Le Pen a changé de prénom (Marine et Marion), beaucoup de néo-militants s’investissent sur le terrain sans tambours, Twitter, ni trompettes. Leur parti gagnerait à les entendre.
Et puisqu’il faut hélas parler tactique publicitaire, si les communicants du FN optaient pour une stratégie audacieuse apte à déstabiliser l’adversaire, ils le rebaptiseraient… Front républicain.
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