J’aurais sûrement aimé être avocat mais pas tous les jours. En passant des heures sur les bancs des tribunaux en attendant mon tour d’être jugé, j’ai pu saisir l’abîme qui sépare l’idéal de justice poursuivi par l’étudiant en droit de la pratique de l’exercice au quotidien. Là où on espère des salauds magnifiques ou de dignes innocents, on voit défiler à la chaîne de minables coupables. On gâche sa jeunesse dans l’étude d’un Code pénal rébarbatif pour sortir Alfred du bagne et on se retrouve à Évry ou à Bobigny à conseiller Enguerrand et Godefroi[1. Les prénoms ont été modifiés] pour qu’ils échappent au quart de cellule individuelle qu’ils méritent. On entre dans la carrière pour défendre la veuve et l’orphelin de l’ouvrier amianté, et on finit par mouiller sa robe pour des voleurs, des violeurs et parfois même des traders. Heureusement, il arrive qu’au milieu de la racaille souvent en jogging et même pas toujours endimanchée pour l’occasion qui vient répondre de ses crapuleries en tous genres, un homme mérite d’être défendu. Et nous allons tenter de le faire. Qui ça nous ? Bah moi et l’avocat qui se réveille en moi.
Le mois dernier, à Saint-Étienne-du-Rouvray, un homme de 59 ans a été condamné à trois mois de prison avec sursis pour « sévices sexuels envers un animal domestique ou apprivoisé » après avoir été surpris par sa femme et sa fille aînée dans son garage et dans une poule avec laquelle il avait une relation sexuelle. Soupçonné par la cadette, les deux femmes avaient monté un stratagème pour le confondre, et le dénoncer. Au tribunal, la présidente a déclaré qu’« il y avait eu des constatations sur le gallinacé ». La procureure a demandé trois mois ferme pour « que l’accusé comprenne la gravité des faits ». L’avocate de la conjointe a demandé 1 000 euros de dommages et intérêts pour sa cliente, pour adultère ou pour négligence dans l’exercice du devoir[access capability= »lire_inedits »] conjugal, nous l’ignorons, la presse locale ne le précise pas. Les sept poules et la chèvre familiales ont été retirées du foyer et confiées à une association de protection des animaux.
Le recours à la zoophilie
De cette affaire, nous ne savons rien de plus mais il n’est pas interdit d’en imaginer le contexte. Voici un homme, un père de famille a priori honnête, travailleur et méritant, qui dans la misère sexuelle d’un mariage un peu trop durable et la pénurie de partenaires sexuelles en milieu rural s’est débrouillé en toute discrétion pour assouvir un des besoins les plus naturels qui soient sans acheter, contraindre, brutaliser ou traumatiser personne. Est-il vraiment coupable cet homme qui, tenaillé par ces pulsions dévastatrices qui nous traversent tous comme des ouragans, a renoncé aux tentations du viol, même conjugal, de la prostitution ou de la pédophilie ? Le viol est un crime impardonnable et lourdement puni, même quand dans une relation conjugale une des deux moitiés manque à tous ses devoirs. Le recours à la prostitution est une faute grave que la morale d’une société délicate réprouve et que des parlementaires de tous les bords criminalisent un peu plus à chaque loi pour qu’advienne un homme nouveau qui peut bien mourir d’envie mais qui ne paie pas, même quand sa demande trouve une offre libre et consentie. L’abus d’enfants est un drame et nous voyons tous les jours de ces grands dadais quadragénaires et en larmes qui font la une et les délices de médias férocement anticléricaux à une époque où le clergé est moribond, pour avoir été tripotés au catéchisme. En choisissant une poule pour objet de son plaisir à défaut d’être celui de son désir, mon client aura peut-être épargné à ses filles et à leurs camarades de classe invitées à dormir après des soirées pyjama le traumatisme et le ressentiment, la haine des hommes et les dérives d’un féminisme vindicatif résolument casse-bonbons. Les dommages psychologiques que cause l’inceste produisent parfois des écrivaines enragées et dérangées. Par ces écarts zoophiles, mon client aura su éviter à ses enfants un destin aussi peu enviable. Et à la littérature des accidents mortels d’ennui.
Une époque féminisée
Voilà donc un mâle qui aura évité de commettre les crimes parmi les plus graves que notre époque féminisée condamne et qui s’est retrouvé, par une conjuration femelle, traîné dans la boue et devant les tribunaux par une magistrature du beau sexe qui n’a eu aucun mal et aucun doute à trouver un coupable. Mais y a-t-il seulement, dans cette affaire, une victime ? Le témoignage de la poule nous aurait aidé à juger plus sûrement cette affaire, mais à défaut, que peut-on en penser ? Comment une société qui produit et abat ses volailles comme à Auschwitz, qui broie ses poussins en surnombre, qui extermine des élevages entiers au premier symptôme grippal peut-elle sérieusement nous faire croire à la sincérité de sa compassion pour la partie civile ? Comment l’accusation entend-elle nous prouver qu’une poule habituée à pondre des œufs de tous calibres ait eu à souffrir d’une pénétration occasionnelle, ou même quotidienne ? Mon client n’a rien d’un âne, même d’un point de vue anatomique sinon il ne se serait pas retrouvé assis et honteux sur le banc des accusés mais serait resté couché et fier dans le lit d’une femme luxuriante, ou de deux.
Une légende urbaine nous raconte qu’avant, quand on demandait à un scout bizuté de témoigner de son expérience de la sodomie passive, il disait : « Ça fait mal. » Et puis quoi ? Et puis rien. C’était avant que les psy suivis par les juges expliquent aux jeunes à quel point ils sortaient traumatisés de ces expériences. Avant qu’une pédopsychiatrie aux accents puritains et américains règne sur nos esprits influençables, la sodomie, ça faisait mal et puis c’est tout. La partie adverse tenterait-elle de nous convaincre que la prétendue victime, qui ne peut raisonnablement pas nous prouver que ça fait mal, est aujourd’hui traumatisée ? Est-il sérieux alors d’inculper un homme pour des sévices sexuels qui ne causent ni douleur, ni humiliation, ni traumatisme ? Nous voyons donc apparaître la vraie nature de ce procès. Il s’est agi là moins de défendre un animal innocent que de rendre coupable un malheureux. Une assemblée exclusivement féminine qui me rappelle un peu mon divorce s’est évertuée à criminaliser une sexualité par elle incomprise, la sexualité masculine, et à réprimer les besoins élémentaires d’un de ceux qui, en amour, ne sont pas croyants mais qui ne peuvent s’empêcher de pratiquer. « Un homme ça s’empêche », nous rappelle régulièrement notre philosophe préféré et monogame comblé citant Albert Camus, mais le philosophe polygame auteur de la formule a-t-il seulement, en la matière, donné l’exemple ?
Que reste-t-il alors dans ce dossier sinon le dégoût que cette histoire banale, si l’on s’en remet aux mémoires de légionnaires, nous inspire ? Pas de quoi faire pendre un homme en tout cas. Aimerions-nous les uns et les autres, être jugés en place publique pour celles de nos pratiques qui ont le mauvais goût d’en dégoûter certains ? De plus, si l’on pense que c’est sa propre femme, la mère de ses enfants, l’amour devenu inaccessible et ingrat de sa vie qui l’a dénoncé, le couvrant de honte pour tous et pour longtemps, il y a peut-être un autre procès, moral celui-ci, à instruire. Céline écrivait que « l’homme est humain à peu près comme la poule vole ». Il se pourrait que la femme aussi. [/access]