Dans le numéro de décembre de Causeur magazine, Jean-Pierre Chevènement répond ainsi à une question d’Élisabeth Lévy : « Un seulement et un seul a rejoint le FN, Bertrand Dutheil de la Rochère, qui a oublié que 1789 séparait la droite de la gauche. Il a sans doute une circonstance atténuante : trop d’aïeux, de trop haut lignage… »
Loin d’avoir oublié 1789, je me rappelle la campagne de Jean-Pierre Chevènement en 2002 : « Au-dessus de la droite, au-dessus de la gauche, telles qu’elles sont devenues, il y a la République ! » Dix ans après, ce mot d’ordre est toujours vrai. Puisqu’il veut aujourd’hui « faire bouger les lignes » de la gauche, limitons-nous à celle-ci. Face à la crise, François Hollande veut seulement renégocier le futur traité européen afin de permettre l’émission d’« euro-obligations, pour mutualiser au moins une partie de notre dette » ainsi que celle des autres. Son objectif demeure le fédéralisme européen, pudiquement rebaptisé: « fédéralisme des projets ». Par ailleurs, si le candidat socialiste atténue les propositions les plus délirantes de l’accord entre sa première secrétaire et les Verts, il ne le récuse pas. Les amis d’Eva Joly évitent ainsi la faillite financière et espèrent disposer d’un groupe à l’Assemblée nationale, comme ils en ont reçu pour Noël le cadeau au Sénat. François Hollande reste donc ce qu’il a toujours été : derrière l’air bonhomme d’un candidat « normal », un européiste aussi convaincu que dogmatique.
Loin d’avoir oublié 1789, je me remémore que, fin août, quelques semaines après le Quatorze-Juillet, les députés se placèrent à droite du président de l’Assemblée constituante quand ils étaient partisans du veto royal, et à gauche quand ils souhaitaient limiter le monarque à un rôle symbolique. Les notions de droite et de gauche évoluèrent jusqu’au 9 novembre 1989, quand, à Berlin, s’est clos l’ère historique des Révolutions. Avec la chute du Mur, la différence entre droite et gauche n’a pas totalement disparu, mais elle se limite à ces questions de société qui servent aux deux candidats jumeaux, mais néanmoins rivaux, à essayer de se distinguer. Avec le développement des transports et des communications, la nouvelle ère historique est celle de la mondialisation. Pour la première fois dans l’histoire, toutes les nations, toutes les civilisations sont confrontées les unes aux autres. La question est de savoir si cette mondialisation se fait sans ou avec frontières.
Loin d’avoir oublié 1789, je me souviens que les Constituants étaient convaincus de l’ascendance franque de la noblesse et de l’origine gallo-romaine du peuple. En 1788, dans Qu’est-ce que le Tiers État ?, Sieyès avait repris cette thèse de Boulainvilliers, qui a traversé tout le XVIIIe siècle. Peu importe qu’elle soit fausse, l’important est que les hommes du Quatre-Août pensaient qu’en abolissant la noblesse et ses privilèges, ils supprimaient une communauté ethnique, envoyant la généalogie de chacun dans son domaine particulier. Rompant avec cette séparation entre espace public et sphère privée, qui permit plus tard la laïcité, Jean-Pierre Chevènement explique mon soutien à Marine Le Pen par un « trop d’aïeux, de trop haut lignage ». Cette interprétation évite tout débat de fond et rejoint l’indigence des sempiternels procès d’intention à l’encontre de la candidate patriote. Alors, je l’affirme : Marine le Pen ne pratique pas la taqiyya mais annonce la « révolution bleu marine » si nécessaire à la France.
De 1789, il reste le couple fusionnel entre souveraineté et citoyenneté, reposant sur la démocratie pour constituer la République. Or, la souveraineté du peuple français, déjà bien démantelée, est menacée par le futur traité européen qui arrachera au Parlement sa raison d’être : le libre consentement à l’impôt. Or, la citoyenneté est mise à l’encan avec la volonté d’accorder le droit de vote aux étrangers, la discrimination positive sur des bases ethniques, sinon raciales, la parité par laquelle les femmes ne sont plus des citoyens comme les autres. Or, la démocratie est bafouée quand l’UMPS se réunit en congrès, le 4 février 2008, pour imposer le texte rejeté par référendum, le 29 mai 2005. Il y a bien péril pour la République. Parce que la République est le dernier rempart contre la mondialisation sans frontières, la droite et la gauche « telles qu’elles sont devenues » la combattent.
L’explication de Jean-Pierre Chevènement à mon sujet montre la difficulté de sortir d’une conception politique a-historique, quasi ontologique, frisant une métaphysique selon laquelle la droite et la gauche seraient des catégories incréées pour l’éternité. Ce fixisme, quasi créationniste, oublieux du contexte de 1789, conduit à une position aussi marginale qu’impuissante qui, loin de subvertir le système, le conforte en lui permettant de prétendre au pluralisme et à la tolérance. La gauche et la droite vivent dans l’amalgame béat de l’européisme et du mondialisme au sein d’un bipartisme unique, dont l’horizon indépassable se trouve au FMI et à l’OMC. De François Hollande, Jean-Pierre Chevènement n’obtiendra au mieux que quelques mots dans une déclaration qui n’engagera que ceux qui voudront y croire, et une poignée de circonscriptions difficilement gagnables, voire perdues d’avance, comme en 2007. La seule solution est d’avoir l’audace de sortir du système pour le combattre. Marine Le Pen et le courant qui se lève derrière elle répondent à cet objectif.
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