Accueil Politique Cette France a la campagne présidentielle qu’elle mérite

Cette France a la campagne présidentielle qu’elle mérite


Cette France a la campagne présidentielle qu’elle mérite
Emmanuel Macron en campagne, Paris, mars 2017. SIPA. AP22034345_000016
Emmanuel Macron en campagne, Paris, mars 2017. SIPA. AP22034345_000016

Cette campagne a le fumet du désastre. Nous y sommes, Fabrice à Waterloo, arpentant ahuri un champ de bataille où se propage jusqu’à nous bien plus le bruit de la fureur que la fureur elle-même, effrayés que nous sommes par la seule idée du combat. Sans voir, sans comprendre, nous y voilà : perdus, démunis, dessaisis du destin que nous espérions y trouver… Nous pensions échapper au hollandisme solférinesque et c’est son double, spectre de toutes les bien-pensances sédimentées depuis trente ans qui nous guette. Cette époque est stendhalienne : la nostalgie de la grandeur s’y enfonce dans le marécage de la médiocrité. Vigny et la description de sa génération souffreteuse  au regard de celle de ses pères y prolongent leur écho.

Cette élection exacerbe tous les maux d’un processus qui vient de loin: un demi-siècle à vrai dire de mensonges, de faux-semblant, d’aveuglement… Le mensonge tout d’abord, hérité de l’esprit de 1968, qui veut qu’une société puisse vivre sans autorité à partir du moment où le dialogue assure du lien, du lien social. Les petits sauvageons qui défient les maîtres dans les écoles des banlieues irrédentistes de la République ne sont rien d’autres que les enfants monstrueux de nos renoncements. Le politique, censé incarner l’autorité légitimée par le peuple, est l’ultime victime de cette lente décomposition d’un demi-siècle de lâche abdication. Il n’y a plus de pouvoir, si ce n’est un magma polycentrique où s’affrontent des forces libérées de toute inhibition. L’offensive judiciaire, au nom d’une moralisation grossièrement pharisienne de la vie publique, peut ainsi donner cours à sa furie militante au mépris de la séparation des pouvoirs, de la violation banalisée du secret de l’instruction, de la neutralité de la justice dont la politisation est un secret de famille que l’on ne chuchote qu’à voix basse de peur de déclencher des ires vengeresses… C’est ainsi que « le mur des c… » peut tranquillement s’ériger pour clouer au pilori celles et ceux qui ne partagent pas une idéologie dominante devenue religion d’Etat… médiatique.

Chimères du « vivre-ensemble »

Car le faux-semblant a aussi infiltré jusqu’au fondement de ce qui enracine l’Etat. Celui-ci, ouvert à tous les vents du politiquement correct, n’est plus qu’une vague interprétation de l’intérêt général. La République n’est plus dans la République : balkanisée, elle est un agrégat d’intérêts communautaires, de minorités vociférantes, de revendications sociétales… Les médias mainstream, appareils de production et de diffusion de cette culture hégémonique, imprègnent de leur Weltanschauung les leviers de l’Etat : c’est ainsi que le CSA, gardien jaloux de la novlangue du moment, traque la sémantique « incorrecte »; c’est ainsi que les lois mémorielles visent à figer la lecture de l’histoire pour nous culpabiliser et nous maudire jusqu’à la fin des temps ; c’est ainsi que le Conseil d’Etat peut, sans sourciller, dispenser un arrêt imposant des conditions restrictives à  l’installation des crèches de Noël dans les mairies. La laïcité française, amnésique de ses inspirations chrétiennes, préfère nier les racines ancestrales du pays afin de ne pas froisser des idéologies qui lui sont pourtant ontologiquement opposées. La tartufferie d’Etat est désormais le stratagème des élites de la débâcle toutes acquises aux chimères d’un « vivre-ensemble » plus enclin à la soumission qu’au respect des principes et de l’histoire.

Des pros de la dénégation du réel

Cette campagne aboutit, en fin de compte, à propulser et à perpétuer contre toute attente les professionnels de la dénégation du réel, les héritiers de l’esprit de Munich, ces nouveaux Daladier dont la souplesse de l’échine est inversement proportionnelle au courage qui consisterait à regarder en face les malheurs qui viennent. Au moins Daladier, à son retour de Munich, avait-il compris que les acclamations qui saluaient son accord ne sauraient dissimuler trop longtemps l’immense duperie de celui-ci. Le monde que nous promettent ces nouveaux agents du bonheur est tout de précarité : économique par l’ubérisation, sociétal par la reconnaissance de tous les droits, y compris ceux qui réduisent la personne à un objet de consommation, civilisationnel par le clientélisme communautaire. Cette nouvelle société qui, bientôt, ne fera plus société est portée par le produit de la technocratie débarrassée de toute conscience historique et du libertarisme soixante-huitard. Rien d’étonnant donc à ce que l’icône de 1968, le jubilant Cohn-Bendit, revenu depuis longtemps de tous ses rêves révolutionnaires mais toujours accroché à ses fantasmes libertariens, nonobstant l’outrage des ans, ait vu le premier dans le jeune inspecteur des finances en marche la matière fongible à toutes les aventures susceptibles de poursuivre la liquidation de la vieille société abhorrée… La séquence Macron – car ce n’est qu’une séquence tant elle obéit aux canons standardisés d’une filmographie communicante – porte jusqu’à l’incandescence les artefacts de la déconstruction au service d’un individu consommateur, diverti, post-historique, naïvement béat dans des croyances qu’il estime irréfutables : l’Europe de Maastricht, l’identité heureuse, l’individualisme déraciné… Au fur et à mesure du déploiement d’un tour de passe-passe communicationnel non dépourvu d’astuce on en vient à convaincre des peuples hébétés que leurs problèmes sont leurs solutions, que leurs souffrances constituent leur horizon de bonheur. « Le viol des foules par la propagande », tel que l’avait disséqué en son temps Serge Tchakhotine, est, décidément, en marche… Il pourrait bien être la figure atrophiée d’une campagne pour rien.

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Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire. Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne.

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