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Adversaires de Fillon, appliquez-vous!


Adversaires de Fillon, appliquez-vous!
Graffiti anti-Fillon sur un mur de Marseille, mars 2017. SIPA. AP22034452_000032
Graffiti anti-Fillon sur un mur de Marseille, mars 2017. SIPA. AP22034452_000032

Le fortin Fillon résiste toujours sur son socle de 17-18 %. Les assiégés tentent une contre-attaque et, pour récupérer leurs électeurs perdus, ils tirent à boulets rouges sur le château de l’Elysée. C’est de bonne guerre. Naturellement les alliés du château se mettent à faire feu sur la contre-attaque des Républicains. C’est aussi de bonne guerre, sauf que les arguments employés me paraissent plutôt pourris.

La semaine dernière, sur BFM TV, Laurent Neumann nous balance une belle tirade pleine de lyrisme : en accusant François Hollande de comploter sa perte, François Fillon ébranle l’exécutif, saccage le législatif déjà mal en point et détruit la justice ! Laurent  enchaîne les phrases enflammées et patriotiques, on dirait Cicéron accusant Catilina de vouloir tuer la République romaine. Du calme, Laurent, du calme ! Pour François Fillon, il ne s’agit pas de détruire la justice, dont la majorité des magistrats reste honorable, il s’agit seulement de dénoncer quelques brebis galeuses regroupées sous la houlette de la très suspecte bergère qui préside le Parquet national financier.

Jeudi 30 mars, je découvre la couverture de Charlie Hebdo : « Cabinet Noir, l’espion qui venait de Tulle ». Le dessin montre l’intérieur d’un canon de fusil vrillé et la cible : un François Hollande suant de peur. Cet argument-là : comment voulez-vous que ce pauvre président qui a tout raté soit assez malin pour monter un complot aussi sophistiqué ?, je l’ai déjà trouvé sous la plume de Sophie Coignard dans Le Point. C’est assez retors : pour prouver que le président est innocent, on surfe sur son impopularité et on le déclare trop bête pour une telle machination. On nous a vendu pendant des années un François Hollande très intelligent mais velléitaire, on veut nous vendre maintenant un François Hollande innocent de village. Et merci pour les Tullistes qui passent pour des ploucs incapables de coups fourrés.

Critiques faciles

C’est l’expression elle-même de « cabinet noir » qui est trompeuse. Les sbires de Richelieu s’enfermaient dans un cabinet sombre pour lire la correspondance que s’adressaient les grands du Royaume, puis la recachetaient et la laissaient parvenir à leurs destinataires. Bref, Richelieu faisait de l’Alexandre Dumas avant la lettre. D’où la critique facile qu’on adresse aux défenseurs de Fillon : vous faites du roman, vous imaginez un bureau dans les caves de l’Elysée, des barbouzes passant leur temps à élaborer de ténébreuses machinations, quelle imagination délirante ! Mais ce n’est pas ainsi qu’il faut imaginer un cabinet noir à l’âge du numérique. L’organisation s’est digitalisée, les complots se font en quelques clics, et d’autant plus facilement que ce sont toujours les mêmes cheminements informatiques qui sont mis en œuvre. Même un espion venu de Tulle peut activer le processus.

Entendons-nous bien : que l’exécutif soit tenu au courant via la police et le ministère de l’Intérieur de tout ce qui arrive en France, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Que François Hollande sache une heure après les faits que le fils de Valérie Pécresse a été arrêté par la police en possession de quatre grammes de cannabis, passe encore. Mais que le président ou un de ses collaborateurs télécharge ensuite sur l’application « prévenir la presse », c’est là un abus intolérable. Prévenir toute la presse, non, mais les quelques correspondants habituels au Monde, à Libération, au Canard enchaîné. Une partie des dirigeants et des rédacteurs de ces journaux ne sont peut-être même pas au courant de ces discrets circuits. Françoise Fressoz prend des mines de vierge effarouchée chaque fois qu’on attaque dans un débat la vertu du Monde, et elle est peut-être sincère.

Il sera très difficile de prouver qu’il y a eu effectivement un complot contre François Fillon, et les auteurs de Bienvenue Place Beauvau reconnaissent qu’il est impossible de prouver l’existence d’un cabinet noir comme de prouver sa non-existence, parce que tout repose sur la connivence. La métaphore du cabinet noir embrouille la compréhension et je crois qu’il vaudrait mieux utiliser l’image du fonctionnement en réseau des neurones du cerveau. Dès qu’une connaissance a été acquise, en maths, en langues étrangères ou en n’importe quoi, il s’établit par les synapses des correspondances immédiates entre les cellules concernées, et chacun de nous retrouve tout de suite l’information dont il a besoin. Le réseau de neurones exécutif-ministère de l’Intérieur-pouvoir judiciaire-presse (du moins le très petit nombre de personnes concernées dans chacune de ces entités) a eu beaucoup d’occasions de faire des travaux pratiques au cours des 13 procès intentés à Nicolas Sarkozy. On a pu tester ce qui marchait, ce qui ne marchait pas, on a pu éloigner les fonctionnaires, juges, journalistes ou policiers qui ne voulaient pas manger de ce pain-là.

>> A lire aussi: Affaire Fillon: Canard qui s’en dédit… Quand un journaliste de l’hebdo satirique se dément lui-même

On a ainsi éloigné Bernard Muenkel, qui dirigeait le service informatique de l’Elysée. Un article du Figaro en date du 31 mars, intitulé « Ces curieuses manœuvres qui visaient déjà Sarkozy » révèle pourquoi il a été écarté de son poste. La « promotion Corrèze », un groupe de militaires et de chefs de cabinet travaillant au palais présidentiel, a exigé de lui qu’il fasse des recherches compromettantes sur Sarkozy, en toute illégalité. Bernard Muenkel a refusé et a été éloigné de son poste. Le caillot qui aurait pu entraver le bon fonctionnement du réseau a été dissous.

La connivence favorise l’immédiateté du fonctionnement. Un peu d’imagination : Tracfin découvre que les Fillon ont pioché dans l’argent public. Il active la synapse Canard enchaîné, qui active la synapse Parquet national financier. Tous ceux qui nous répètent qu’il n’est pas question de Fillon dans Bienvenue Place Beauvau se moquent de nous. Un clic va plus vite que l’édition d’un livre. La connivence implique le demi-mot : François Hollande, la veille de la fameuse parution du Canard enchaîné, a peut-être rencontré Eliane Houlette dans une cérémonie officielle, il lui a peut-être dit sur un ton blagueur : « L’hiver est froid, les candidats feraient bien d’éviter les rhumes. J’espère que Fillon a un manteau bien épais ». La connivence permet même que l’un des neurones en réseau ne soit pas activé lors de la circulation de l’information. On peut supposer que Hollande n’a pas donné l’ordre de dégommer Fillon. L’information du Canard a intéressé Mme Houlette, elle a tout de suite convoqué François Fillon pour le 15 mars. Le neurone Hollande s’est réveillé ensuite et a entériné ce passage d’influx nerveux. La connivence est difficile à traquer, difficile à prouver. Si un ministre parle d’alerter « le monde », quel inspecteur de police démêlera s’il s’agit du journal ou de la planète ?

Inutile de noircir le tableau : tous ces gens-là ne sont pas des canailles, ils peuvent être parfaitement honnêtes dans le reste de leurs activités. Mais ce sont des gens de gauche, persuadés d’agir pour le bien du progrès et de l’humanité. Quand on a de tels idéaux, on peut bien se passer de la common decency chère à Alain Finkielkraut, on peut mentir, manipuler, truquer tout en gardant sa conscience parfaitement tranquille. Terrible dérive morale contre laquelle il semble difficile de lutter.

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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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