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Roland Jaccard, virtuose ironique


Roland Jaccard, virtuose ironique
Roland Jaccard
Roland Jaccard. SIPA. 00477110_000001

Station terminale, de Roland Jaccard, est un roman coquin et joueur. Comme le regard de son auteur et le ton de son écriture. Est-ce bien un roman d’ailleurs ? N’en doutons pas, le mot « roman » est mentionné sur la couverture. Un roman mais qui n’en est pas un, tout en étant un roman. Car Station terminale raconte une histoire que l’on peine à quitter avant d’être parvenu à son terme.

On croise Houellebecq et Beigbeder

Un écrivain décède, un suicide sans doute. Son frère vient à Paris, et dans l’appartement : « Un manuscrit déposé sur son bureau m’intrigua. Il portait pour titre : Station terminale. Sur la couverture, il avait écrit : « Impossible à publier pour des raisons juridiques. Aucune envie de le modifier ». Ce frère s’attable et décide de lire le manuscrit, crayon en main, ajoutant ses commentaires plutôt désagréables au fil des pages. Son projet étant de l’envoyer au musée des manuscrits perdus, il commentera donc sans gêne. Le texte en forme de notes et de journal intime conte plusieurs semaines de l’existence d’un écrivain mort, écrivain que les bonnes âmes qualifieraient de débauché.

Il aime les jeunes femmes japonaises, le sexe ne l’effraie pas outre mesure, n’a pas de goût particulier pour la fidélité en amour, adore jouer et dormir seul dans des palaces. Certains diront que cet antihéros ressemble un peu à Roland Jaccard. C’est évidemment très exagéré. Son frère ne semble guère l’apprécier, considérant le défunt comme un « pitre » pathétique ayant fait de l’érotomanie un fonds de commerce. L’écrivain décédé dans Station terminale admire Cioran, auquel le texte fait parfois de beaux clins d’œil quant à l’inconvénient de la naissance. On croise la figure de Gabriel Matzneff. Houellebecq passe la tête par l’embrasure, Beigbeder est dans le coin. L’autodérision est jouissive. Jubilatoire. L’objet livre que le lecteur tient en main est dédicacé avec « admiration » à un frère. Le manuscrit est quant à lui dédicacé avec « affection » au frère du roman.

Le chapitre 13: un des grands moments littéraires de ce début d’année

Jaccard joue avec le réel. Toute la drôlerie du cynisme et du nihilisme considérés comme de beaux-arts. Humour, cynisme, pessimisme, jolies femmes et détachement. Autobiographie fictive alors ? On croirait entrevoir le regard égrillard de Jaccard. L’écrivain décédé a en effet bien des centres d’intérêt communs avec ce dernier, à commencer par les femmes (« J’avais été un parfait salaud, mais c’est la seule manière de survivre avec les femmes ») : Nao, Prune, Marie… Jeunes femmes sans tabous, dansant sur son lit, avec lesquelles il fait l’amour. Capricieuses, féminines mais surtout pas féministes, jeunes femmes dont l’auteur ou le narrateur, du moins l’auteur du manuscrit, dresse des portraits sensibles. Marie, Prune, Nao, magnifiques personnages. Elles ne quittent plus le lecteur. Il y a beaucoup dans la beauté de ces jeunes femmes. « Les filles passent, le matelas reste : tout est bien ».

Cet écrivain qui a choisi de se suicider, ce dont une certaine presse doute, L’Hebdo suisse en phase terminale peut-être, est l’auteur de livres aux titres qui tinteront amicalement aux oreilles de nombre de lecteurs. Flirt en automne ou Des femmes apparaissent. Lisant le manuscrit, le frère s’énerve quand il croise des idées politiques ou des conceptions du monde. Sur le masculin/féminin, le féminisme, la liberté, la mort, l’islamisme (« Il pensait que les sociétés arabes carburaient à l’antisémitisme, que c’était la seule forme d’érotisme qui leur était accordée. Et que l’islamisation de l’Europe présageait le pire »), la France, la civilisation… Le chapitre 13, clin d’œil, est à ce titre un des grands moments littéraires/ politiques de ce début d’année 2017, en forme de j’aime/je n’aime pas, de « je n’aime pas » surtout. L’écrivain mort de ce roman montre alors en quoi nous ne sommes plus une civilisation.

Ne pas confondre le narrateur et l’auteur est la moindre des choses. Le manuscrit posé sur le bureau est inédit. Des propos qu’il contient tomberaient sous le joug des lois françaises mises en place par une police de la pensée devenue maîtresse en délit d’opinion. L’écrivain décédé risquerait d’être catalogué « néo-réac », ce qui connote plutôt négativement en terres littéraires parisiennes. Cioran et Nabokov subiraient de lourdes amendes aujourd’hui en France. Roman, autobiographie, fiction, peu importe. Station terminale est un texte ironique et jouissif, avec cette pointe de tristesse sans laquelle il n’est pas de cynisme véritable : avoir le sentiment de ne jamais être « enfin chez soi » mais demeurer debout, malgré tout. Même à la fin de l’histoire.

Station terminale, Serge Safran éditeur, 2017, 150 pages, 15,90 €

Station terminale

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Matthieu Baumier est l'auteur d’essais (<em>L’anti traité d’athéologie,</em> Presses de la Renaissance, 2005 ; <em>La démocratie totalitaire. Penser la modernité post-démocratique,</em> Presses de la Renaissance, 2007 ; <em>Vincent de Paul,</em> Pygmalion-Flammarion, 2008) et de romans (<em>Les apôtres du néant,</em> Flammarion, 2002 ; <em>Le Manuscrit Louise B,</em> Les Belles Lettres, 2005). Il collabore à <em>La Revue des Deux Mondes.</em>

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