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New-York et ma mère


New-York et ma mère
Diane Keaton dans L'Usure du Temps, 1981.
Diane Keaton dans L'Usure du Temps, 1981. SIPA. REX43028925_000001

Deux femmes, la mère et la fille, arpentent les avenues de New York, changent de quartier comme on change de sujet dans une conversation de bruit de fond où tout se mélange. Le Bronx natal, Brooklyn, Williamsburg, Manhattan, Lexington, autant de cadres pour une mémoire commune, celle de Vivian et de sa mère, dont le prénom est absent, véritable héroïne de ces mémoires. « Nous sommes toutes deux prisonnières d’un étroit tunnel intime, passionné et aliénant. » La métaphore utérine est à peine voilée.

Vivian est sans pitié pour sa vieille mère juive, veuve inconsolée aux souvenirs redondants, rancuniers et parfois malicieux. Lorsqu’elle apprend que sa mère a été victime d’une tentative de viol, la fille accuse – peut-être tout haut – une « coquetterie scandaleuse, dépourvue de toute timidité. »

Les chiens font parfois des chats

Il est vrai que Mrs Gornick est une diva des quartiers populaires. D’abord seule représentante de la communauté juive d’Europe dans un quartier d’immigrés italiens, elle parle sans accent et juge les plaisanteries grivoises et racistes de ses voisins comme relevant d’un humour « sous-développé ».

Dans cette relation claustrophobique, indestructible où l’on dirait que mère et fille peinent tant l’une que l’autre à couper le cordon ombilical, s’exprime et se déploie l’ambivalence, état naturel des gens qui aiment vraiment. Chaque phrase, en exagérant un peu, écrite ou prononcée par la fille, est un oxymore balancé entre deux pôles d’amour et de haine extatiques.

Quand Vivian Gornick entre à l’université, sa mère vit cela comme une trahison et une source de fierté. Quand sa fille se met à employer des mots dont elle ignore le sens, la mère conclut avec orgueil qu’il s’agit d’un complot pour la faire se sentir inférieure.

Un parfum d’Annie Hall

Le même schéma ressurgit quand il devient question de sexualité. À la fois défi et conflit entre les deux femmes, le mariage, la présence ou l’absence des hommes, la séduction, sont phagocytées par l’ombre de la mère, que les amis et amants de Vivian reconnaissent toujours derrière une intonation ou une expression, malgré elle. Le jour du mariage de Vivian, sa mère déplore bruyamment que sa fille « épouse un merveilleux goy ». Toutes ces piques, ces maladresses tendres ou tendresses cruelles, Vivian Gornick parvient peu à peu à s’en détacher. Elle réalise dans Attachement féroce une petite révolution dans le genre des mémoires (révolution qui attendait sa traduction depuis 1987) : auto-analyse, apprentissage, constructions et déconstructions gravitent autour de la figure maternelle, point de chute de toutes les névroses.

On pense, devant la présence humanisée de New York, devant l’étalage des tourments affectifs, sexuels, familiaux, de la judéité problématique, de la psychanalyse infinie, de l’intellectualisme couronné, au Woody Allen d’Annie Hall et Manhattan, et Vivian Gornick, icône de la critique new-yorkaise, revêt alors sans peine les traits, le ton et l’insolence maladroite de Diane Keaton.

Vivian Gornick, Attachement féroce (Fierce Attachments, A Memoir, traduit de l’anglais par Laetitia Devaux) – Rivages.

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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