François Fillon ne mérite sans doute pas un premier prix de vertu. Ni la médaille du désintéressement. Mais s’il parvient à sortir du piège tissé par ses adversaires, il aura au moins prouvé qu’il possède la première qualité d’un boxeur : savoir encaisser les coups. Mieux, pour rester le champion de son camp– ce qui paraît probable à l’heure où nous bouclons, trois semaines avant la date limite de dépôt des candidatures –, il lui aura fallu défier une puissance à deux têtes d’autant plus redoutable qu’elle avance parée des atours de la faiblesse et des séductions de la pureté. La sainte-alliance des juges et des journalistes, comme l’appelait Philippe Cohen, promet de faire advenir un monde meilleur, une démocratie délivrée des turpitudes humaines. L’interminable chronique des affaires et des lynchages afférents fournissant un avant-goût de cet avenir radieux, on peut déjà affirmer qu’on n’y rigolera pas. Le spectacle de Plic et Ploc, surnoms affectueux donnés par Régis de Castelnau à Davet et Lhomme, procureurs au Monde et confidents du président – ou de leurs clones de Mediapart –, reçus sur tous les plateaux avec la déférence qu’on voue aux commissaires politiques qui peuvent vous faire guillotiner, est pourtant hautement comique. Surtout tant qu’ils ne le peuvent pas. Voilà pourquoi il faut que Fillon tienne. Pas parce qu’il est le champion de la droite – et encore moins pour son programme. Parce que, s’il devait céder, cela signifierait qu’une sorte de putsch médiatico-judiciaire a réussi à plomber l’élection présidentielle plus sûrement qu’une armée de trolls russes. Plenel au pouvoir, je demande l’asile politique à Poutine.
Tout cela devrait valoir un peu d’indulgence aux fautes de François Fillon – que pour ma part, quoique ultra-minoritaire, je persiste à trouver vénielles. L’obsession, si largement partagée, pour l’argent des autres, en dit plus sur le règne de l’envie et du soupçon que sur les pratiques illégales ou immorales présumées de nos gouvernants. On a raison de reprocher à Fillon d’avoir lui-même appuyé sur ce bouton – et avec une inélégance marquée à l’égard de Nicolas Sarkozy. Il serait cruel et frivole de voir dans la tempête qu’il traverse une forme de justice immanente – « bien fait pour lui », ça ne fait pas une politique.
A quand un « label propreté » pour tous les candidats?
À tout prendre, pensera-t-on peut-être, les juges et les journalistes ne sont pas les plus mal placés pour défendre un intérêt général malmené par l’abus des petits et grands privilèges que s’arrogent les gouvernants. Quand les décodeurs du Monde prétendent dire le vrai et le faux, et que personne ou presque ne s’en émeut, pourquoi les médias et la Justice ne décerneraient-ils pas un « label propreté » aux candidats, afin d’aider l’électeur égaré ? Admettons même – provisoirement –, qu’il n’entre dans les croisades respectives de ces deux pouvoirs aucune envie de se payer un puissant, aucun désir de jouer à Bernstein-et-Woodward. Ces belles campagnes d’assainissement n’en masquent pas moins une opération de basse police politique, dans laquelle juges et journalistes se sont, en quelque sorte, auto-instrumentalisés. « Les magistrats rêvent de condamner les politiques en exercice, qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche et en retour, les politiques en fonction rêvent d’assujettir les magistrats », écrivait Richard Malka dans le JDD en décembre, à propos de l’affaire Christine Lagarde. Quand les « politiques en fonction » et les magistrats tirent dans le même sens, ils peuvent faire de sacrés dégâts. Et quand, en prime, les médias jouent la même partition, la partie est jouée d’avance : l’enquête est menée à charge et au pas de charge, au rythme de[access capability= »lire_inedits »] fuites soigneusement distillées qui finissent par donner l’impression au public qu’on lui parle d’Al Capone.
Autant l’annoncer d’emblée, on n’apporte pas ici la preuve formelle que l’affaire Fillon est le fruit d’une opération politique : il faudrait pour cela disposer de contacts à haut niveau au sein de l’appareil d’État – brigade financière, parquet national financier, Bercy….. Or Causeur ne fait visiblement pas partie de la liste des receleurs agréés. Et on dirait bien que les gens de droite sont, en matière de réseaux et de coups tordus, des enfants de chœur. Trois semaines après la parution du premier article du Canard, l’entourage du candidat n’avait pas déniché la preuve irréfutable du complot dont il s’est dit victime. En l’absence de preuves, on dispose néanmoins d’un paquet d’indices sérieux et concordants qui excluent, à tout le moins, de classer l’affaire. Trois points, ça fait une ligne, qui permet de brosser un récit au moins aussi convaincant que la gentille bluette dans laquelle de courageux investigateurs rejoints par de vaillants petits juges déterrent avec leurs petits bras un immense scandale de corruption. Il flotte autour de cette affaire Fillon une sale odeur de cabinet noir et de basses œuvres qui laisse penser que le scandale n’est pas celui qu’on croit. D’ailleurs, Fillon n’a nullement cherché à cacher les faits qui lui sont reprochés. « Sentiment d’impunité », grondent les accusateurs. C’est peut-être, tout simplement, qu’il ne se pensait pas coupable. Ou alors, c’est qu’il ne se pensait pas coupable.
En général, quand on ose critiquer les juges et/ou les médias, les journalistes hésitent entre indignation et ricanement. « Haïr les médias, c’est haïr la démocratie », déclare pompeusement Edwy Plenel au Journal de Genève. Fillon s’en prend à la presse, c’est bien la preuve qu’il n’a pas d’argument. En somme, puisque les médias attaquent Fillon, celui-ci ne serait pas légitime à riposter car il serait partial. Face je gagne, pile tu perds : logique inepte destinée à nous faire avaler que les médias devraient, par principe, être soustraits à la critique, et plus encore à l’investigation. Comme s’ils étaient d’une autre essence. Comme s’ils n’étaient pas l’un des paramètres de l’équation.
Le 24 janvier au soir, le premier article du Canard enchaîné qui va lancer le Penelopegate agit dans les rédactions comme un bout de viande rouge lancé à une meute de piranhas. Chacun veut sa part du festin. Très vite, les éléments de langage se diffusent à l’ensemble de la profession, jusqu’aux soutiers des chaînes infos qui vont bravement relayer le message pendant deux bonne semaines. Il ne peut pas tenir. Il doit partir. Entre le 27 janvier et le 17 février, Libération, tout en assistant avec émerveillement à l’avènement d’une « gauche de gauche » (une gauche au carré, ça fait envie…), consacre à l’affaire pas moins de six unes, de plus en plus explicites, comme « Plombé ! » le 1er février, « Jusqu’à quand ? » le 2, « Laisse béton ! » le 4 et « L’acharné » le 7, au lendemain de la conférence de presse dans laquelle Fillon annonce qu’il continue. Sur le mode jésuitique qui est le sien – « Fillon peut-il tenir ? –, Le Monde, avec huit unes, pilonne sans relâche. Début février, l’affaire semble pliée. Un journaliste vedette se désole à l’avance de devoir interrompre ses vacances d’hiver pour revenir couvrir l’annonce du retrait, perspective ô combien excitante.
C’est la fête de la transparence. Le populisme médiatique bat son plein. On course des secrétaires, on traque des proches, réels ou supposés, on exhume avec une minutie policière des archives embarrassantes, on ressasse des chiffres d’autant plus mirobolants qu’ils sont agrégés et qu’on les compare au Smic plutôt qu’au salaire des vedettes de la télévision. On lance des équipes, micro et caméra au poing, dans les rues de Sablé ou les couloirs de l’Assemblée. Et si on évoque un climat de chasse à l’homme, les limiers répondent, en sautant comme les cabris du Général : Les faits, les faits, les faits !, oubliant que n’importe quel fait, dénoncé en boucle pendant des jours, peut devenir une affaire d’État – qu’on se rappelle l’affaire totalement bidon des diamants de Bokassa –, et surtout que, des faits de cet ordre ou d’approchants, on peut sans doute en trouver sur la plupart des candidats. Les humains sans part d’ombre, ça n’existe pas. Heureusement.
La profession oppose un tir de barrage groupé à toute tentative d’enquêter sur les enquêteurs. A croire que la sacro-sainte transparence doit s’arrêter à l’entrée des rédactions.
Mi-février, une partie de la profession semble néanmoins avoir la gueule de bois. À moins que, constatant que François Fillon est toujours debout et qu’on ne sait jamais, elle ne maquille sa prudence en examen de conscience. « En avons-nous trop fait ? » demande ainsi avec candeur un journaliste de BFM. Bien sûr, cette circonspection vaut surtout pour la troupe. Au Quartier général, on désarme d’autant moins que le Parti des Médias, ou plutôt sa fraction libérale, à ne pas confondre avec la tendance gauchiste, les deux convergeant dans le culte des droits et la détestation de la verticalité, a choisi son candidat. Et, quelle coïncidence, c’est à lui que profite le crime. En effet, si l’opération « Penelope » réussissait, elle aurait de bonnes chances d’aboutir à un second tour Le Pen/Macron que les partisans du second croient gagné d’avance. À tort d’ailleurs.
Que les journalistes aient des préférences politiques, fort bien. Ce qui est fâcheux, dans l’affaire Fillon, outre la pesante unanimité imposée par leurs prétentions morales (qui serait contre le Bien ?), c’est qu’ils servent un agenda édicté par d’autres avec des moyens mis à leur disposition par ces mêmes autres. « La presse fait son travail », ânonnent les petits soldats du journalisme. En l’occurrence ce travail a consisté, pour Le Canard Enchaîné, à réceptionner un dossier tout ficelé et, éventuellement, à procéder à quelques vérifications et, pour Le Monde, selon une scénographie rodée au fil des affaires, à publier, dix jours après l’ouverture de l’enquête préliminaire (EP) par le parquet national financier (PNF), des extraits bien choisis (pour enfoncer) des auditions des époux Fillon. À cette occasion, on a pu voir Gérard Davet (Plic) répéter, très content de lui : « Nous avons eu accès au dossier. » Avoir accès au dossier : une excellente définition du journalisme d’investigation. On pourrait aussi appeler ça du recel de délation.
Le plus extravagant, c’est que la profession oppose un tir de barrage groupé à toute tentative d’enquêter sur les enquêteurs. À croire que la sacro-sainte transparence doit s’arrêter à l’entrée des rédactions et que toutes les questions sont intéressantes sauf une : qui a fourni ses informations au Canard ? Dans l’équipe Fillon, on affirme que les erreurs du palmipède dans la répartition des sommes (entre salaire et indemnités de départ) montrent qu’il n’a pas eu accès aux fiches de paie, qui auraient désigné une source interne à l’Assemblée, mais à des documents fiscaux où figurent des montants agrégés.
Si on ne peut pas connaître le coupable avec certitude, le mobile, lui, ne fait guère de doute ; à trois mois de la présidentielle, on a voulu torpiller la candidature Fillon pour ouvrir un boulevard à Macron. Rien n’indique, bien sûr, que celui-ci ou son entourage aient été directement impliqués. Mais alors que de multiples signes montrent que François Hollande a décidé d’oublier l’affront et de soutenir son poulain (voir notre dossier), on aperçoit souvent, dans cette ténébreuse affaire, l’ombre du secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, dont on imagine qu’il se verrait bien rempiler auprès d’un jeune président dont il a été le mentor. Complotisme, dira-t-on. Ce n’est pas parce qu’il y a du complotisme qu’il n’y a jamais de complots.
S’il est battu, il faut que ce soit à la loyale
Quoi de plus innocent que des camarades d’école nourrissant de grandes ambitions pour eux et pour leur pays ? Dans la galaxie Jouyet, la promotion Senghor semble occuper une place spéciale : avec Macron, on croise Gaspard Gantzer, conseiller com à l’Élysée, donc particulièrement bien placé pour nourrir le feuilleton de la presse parisienne, Thomas Andrieu, dirccab de Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux. Il y a aussi Pierre Heilbronn (promotion Copernic), nommé numéro deux de la BERD à Londres et dont la compagne, Ariane Amson, brillante magistrate, a été exfiltrée du PNF pour être promue conseillère Justice à l’Élysée quatre mois avant la fin du mandat. Pour ce connaisseur des humeurs du monde judiciaire, c’est un excellent moyen, pour la présidence, d’être informée en temps réel des progrès et de l’ambiance de l’enquête. Éliane Houlette, est connue, semble-t-il, pour faire remonter avec parcimonie l’information sur les dossiers, et pas, paraît-il, les PV intégraux. « C’est une chieuse, mais avec tout le monde », résume une avocate. Au demeurant, personne ne semble soupçonner le PNF d’être à l’origine des fuites. En régime d’EP, où seuls les policiers et le parquet ont accès au dossier, le plus probable est qu’elles émanent de la Place Beauvau.
La célérité exceptionnelle avec laquelle le PNF « a ouvert », comme on dit dans le jargon, n’a cependant échappé à personne. « Six heures après la parution du Canard, souligne Me Antonin Lévy. Pour les Panama papers, cela leur a pris vingt-quatre heures et je suis sûr que, pendant ces vingt-quatre heures, pas mal de comptes ont été fermés. » Pour autant, on aurait tort d’accuser la Justice de partialité politique. Elle fait avec ce qu’elle a. C’est sans doute un hasard si elle a eu de quoi se faire Fillon. Sarkozy a été encore mieux servi : il a perdu la primaire, mais le coup était parti. Le juge Tournaire n’allait pas se priver du plaisir d’envoyer l’ancien président en correctionnelle. Et tant pis si Renaud Van Ruymbeke, également en charge du dossier Bygmalion, a refusé de signer l’ordonnance, renforçant le sentiment qu’il y avait un loup.
Éliane Houlette se voit volontiers en tombeuse de Fillon, mais si on lui apportait, via Le Canard, un dossier sur Macron, Hamon ou un autre des « gentils », elle ouvrirait sans doute aussi sec. C’est que Houlette n’est ni une juge rouge ni une juge aux ordres. C’est pire : elle est en mission. Elle veut participer au grand ménage, et peu lui importe que la séparation des pouvoirs ait à en souffrir. Sauf que celle-ci n’est pas une fanfreluche pour cours de droit, elle est la garantie que nous ne vivons pas sous l’emprise de juges que nous n’avons pas élus. L’activisme de Mme Houlette est d’autant plus effrayant que le PNF dispose de pouvoirs exceptionnels. Maître de sa saisine (qui dans les faits n’est pas susceptible de recours au stade de l’EP) et de son champ de compétences, il décide aussi de la procédure (comparution directe ou nomination d’un juge d’instruction) et surtout du calendrier. En l’espèce, il semble avoir choisi de prolonger le plus possible l’EP : outre l’effet « supplice chinois » (ou « épée de Damoclès », au choix), cela lui permet de garder la main sur un dossier auquel seuls la Justice, la police et les journalistes du Monde ont accès, à la différence des avocats.
Il faut rappeler que le PNF a été créé, dans la foulée de l’affaire Cahuzac, en théorie pour s’occuper des affaires complexes, en réalité pour s’occuper des affaires tout court – les dossiers Fillon n’ont rien de complexe et concernent des montants ridicules au regard des sommes habituellement brassées par le PNF. Si on ajoute que François Molins, le procureur de Paris, ne passe pas pour un homme de gauche, on peut imaginer que le pouvoir a voulu disposer d’une instance, sinon à sa main, du moins plus facile à truffer de sympathisants. De toute façon, dans le cas de Fillon, le pouvoir n’a pas vraiment besoin de manipuler la justice : elle court devant lui. Et ça, ça fiche la trouille.
Le chœur des vierges médiatiques, furieux de voir qu’on ne lui obéit pas, répète avec obstination qu’en Suède ou en Patagonie, Fillon eut été contraint de renoncer. Grand bien fasse aux Suédois et aux Patagons, si c’est ce qu’ils veulent. On aimerait être sûr qu’en France, ce sont les électeurs qui décident, et que le scrutin n’est pas confisqué par des intrigues d’arrière-boutique. Nous n’avons nullement décidé, à Causeur, de faire campagne pour François Fillon, mais s’il est battu, il faut que ce soit à la loyale. Finalement, l’enjeu de cette affaire est simple : il s’agit de savoir qui, du peuple ou de la sainte-alliance des juges et des journalistes, choisira le prochain président de la République. Autrement dit, si nous sommes toujours en démocratie.[/access]
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