Grâces soient rendues à Sylvain Fort. Ce garçon, que je n’ai jamais vu mais avec qui j’ai eu quelques échanges écrits et téléphonés, plutôt amicaux au demeurant, fait partie des porte-parole d’Emmanuel Macron. Après nous avoir baladés pendant des semaines, Pierre Lamalattie et moi-même – lui pour un reportage, moi pour un entretien –, il m’a finalement fait comprendre que les articles plutôt vachards, et c’est un euphémisme, publiés sur causeur.fr, ne donnaient guère envie à son candidat de répondre favorablement à nos demandes. Blacklister les journalistes considérés comme trop critiques, n’est-ce pas un peu trumpiste sur les bords ? Peu importe, c’est sans doute mieux comme ça. Qui sait ce qui serait arrivé, si la rencontre avait eu lieu. Comme le dit drôlement Vincent Castagno, si ce gars pouvait serrer la main de tous les Français, il serait élu avec 100 % des voix.
Si ça se trouve, j’aurais été, moi aussi, touchée par la grâce et je serais présentement dans un meeting, à applaudir au signal de l’ambiance team avec un tee-shirt « Macron président ». Il y a un mystère Macron et le réduire à une création médiatique serait ne rien y comprendre. Si l’ancien ministre de Manuel Valls est à l’évidence le chouchou du parti des médias, il n’est pas seulement cela. La séduction qu’il exerce sur des gens très différents, allant de vieux briscards de la politique à de parfaits novices, ne repose pas seulement sur un marketing bien rodé, mais aussi sur un charisme réel dont on peine à comprendre pourquoi il enchante les uns et laisse les autres de marbre.
Macron voudrait plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos. Il risque, évidemment, de décevoir tout le monde.
Aussi étrange que cela soit, cet homme passé par nos meilleures écoles, par la banque privée et par le gouvernement de la France, apparaît un phénomène nouveau. Au rayon politique, Macron est incontestablement ce que nous avons de plus frais. Au moment où nous avons décidé de lui consacrer notre « une », la rédaction de Causeur comptait quelques fervents macronistes qui se sont fait passablement chahuter. Au terme de cette réunion chaotique et joyeuse, Gil Mihaely avait trouvé la clef de l’énigme : « Arrêtez de vous chamailler sur son programme, c’est lui le programme », lançait-il pour ramener le calme. Quelques jours plus tard, Macron déclarait au JDD : « La politique c’est un style. […] C’est une magie. » Le problème, avec les illusionnistes, c’est que, même quand on marche, on a du mal à oublier qu’il y a un truc. Sa voix éraillée de[access capability= »lire_inedits »] rock-star en fin de concert, ses manières de télévangéliste lassent un peu. On commence à trouver que ce folklore a des relents vaguement sectaires. Après tout, ce n’est ni un gourou ni un directeur de conscience que nous devons élire en mai.
Dans cette campagne pleine de rebondissements, on sait ce que valent les prédictions. Reste qu’après un début de campagne en fanfare, facilité par la déroute de Fillon, la magie Macron semble marquer le pas, y compris à Causeur. Peut-être ces ingrats d’électeurs ne trouvent-ils pas suffisant qu’on leur dise qu’on les aime, même d’une belle voix chaude.
Il faut dire qu’entre-temps, Macron a bien été obligé de sortir de l’ambiguïté et, comme le pronostiquaient les commentateurs en paraphrasant le cardinal de Retz, cela ne pouvait être qu’à son détriment. Son discours de Lyon, dans lequel il a décrété : « Il n’y a pas de culture française. Mais il y a des cultures en France », puis son faux pas d’Alger, où il a qualifié la colonisation française de crime contre l’humanité, ont montré les limites de la stratégie « une cuillère pour la gauche, une cuillère pour la droite » – ou « une cuillère pour Jeanne d’Arc, une cuillère pour Steve Jobs ». Macron voudrait plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos. Il risque, évidemment, de décevoir tout le monde.
Au fil des semaines, on a vu donc apparaître, derrière l’apparente nouveauté du costume un personnage pour le moins classique. Comme Ségolène Royal, Macron conjugue un ancrage décidé dans le cercle de la raison à un style New Age qui lui donne un petit air de prophète, mais de prophète du bonheur. Libéral sur le plan économique, libertaire sur le plan sociétal, immigrationniste, européiste et libre-échangiste, convaincu que toutes les questions identitaires sont solubles dans la croissance économique, Macron est, au fond, une incarnation très classique du bloc central de la société française – que Marine Le Pen avait, non sans finesse, baptisé UMPS.
Dans ces conditions, le jeune prodige de la politique française pourrait bien être le meilleur continuateur du président qu’il a abandonné. Bien qu’il regrette sans doute vivement de ne pas avoir tenté sa chance lui-même, François Hollande a, semble-t-il, pardonné la trahison du fils prodigue et en attendant de tuer le veau gras, il a laissé Ségolène Royal faire allégeance. Récemment, il a suggéré à l’un de ses amis, rappeur de son état, d’attendre encore un peu avant de rejoindre officiellement En Marche !. Mais Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, qui soutient officiellement Hamon, s’est dit prêt à voter pour lui dès le premier tour s’il fallait faire barrage à Marine Le Pen. Et quand Le Foll parle, c’est souvent Hollande qui pense. Bien sûr, une consigne de ce type pourrait libérer les plus légitimistes des électeurs socialistes qui hésitent à abandonner le candidat de leur parti. Toutefois, un soutien trop clair du président risquerait de rappeler au bon peuple que Macron, en dépit de sa jeunesse, n’est pas un perdreau de l’année, et qu’il n’est pas sorti tout armé des ondes mais de deux ans à Bercy. Surtout, promettre aux Français un second quinquennat Hollande n’est pas nécessairement le moyen de réenchanter leur vie comme tous les candidats promettent de le faire. Bref, si Hollande et Macron continuent à travailler main dans la main, ni l’un ni l’autre n’a intérêt à ce que cela se sache.
Le charme, l’intelligence, la culture et même la beauté : à l’exception, peut-être, de l’humour, dont on ne dirait pas qu’il est son point fort, mais je peux me tromper, Emmanuel Macron a toutes les qualités. Et pourtant, on a du mal à se départir de l’impression qu’il est le genre d’homme à vous glisser entre les doigts. Macron ne cesse de dire qu’il aime tous les Français. Fort bien. On aimerait être sûr qu’il aime aussi la France. [/access]
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