François Fillon a annoncé la semaine dernière que contrairement à ce qu’il avait proclamé, il se maintiendrait candidat à la présidentielle même s’il était mis en examen. Aurait-il enfin compris ce qui lui arrive ? Pas complètement, mais il semble faire des progrès. On l’avait vu pendant sa campagne pour les primaires assembler minutieusement un joli tas de verges pour se faire battre. Puis lors du déclenchement au signal du Canard enchaîné de l’opération « emplois fictifs familiaux », se précipiter au-devant du Parquet national financier (PNF), en présentant son cou à celui qui tenait la hache. Ça n’a pas traîné, le déferlement médiatique s’est accentué et le travail des enquêteurs s’est retrouvé dans la presse en temps réel. Il semble en effet qu’existe désormais une nouvelle règle dans le Code de Procédure Pénale, celle de la transmission préalable de toutes les pièces d’un dossier sensible aux duettistes du Monde. Le revirement et la mise en cause, par le candidat LR et ses conseils, des agissements du PNF au regard des règles de procédure, et du principe de la séparation des pouvoirs témoigne du retour d’une certaine sagesse. Mais ses adversaires ont beau jeu de souligner ces palinodies.
La marmite ne désemplit pas
La semaine qui vient de s’écouler a vu la livraison de trois nouveaux fagots destinés à alimenter la marmite. D’abord le Canard balance sur le député des Hauts-de-Seine et porte-parole du candidat de la droite, Thierry Solère, pour un problème fiscal, pschiiit tout le monde s’en fout. Des fuites nous annoncent ensuite la livraison de la synthèse policière des premières investigations au PNF, et le public attend avec gourmandise sa publication dans les colonnes du Monde. Ah non, pas cette fois-ci, ce serait un peu trop voyant, car au stade de l’enquête préliminaire, comme l’a expliqué Éric Dupont-Moretti, les auteurs de la violation du secret de l’enquête et par conséquent de la loi, sont soit les policiers, soit les magistrats du Parquet.
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Alors comment, sans prendre trop de risques, continuer à pousser les feux sous la marmite pleine de glu dans laquelle François Fillon et LR se débattent ? On se passera donc de Plic & Ploc et le troisième fagot sera un communiqué du PNF assez savoureux, dans lequel on lit : «en tant qu’autorité de poursuite il est de mon devoir d’affirmer que les nombreux éléments déjà recueillis, ne permettent pas en l’état un classement sans suite de la procédure ». En français familier : « le dossier de François Fillon est tout pourri, et on a les crocs dans la viande, personne ne doit s’imaginer qu’on va la lâcher. » Et au cas où on aurait eu des doutes, le communiqué d’ajouter : « les investigations vont se poursuivre dans le strict respect des règles qui gouvernent le code de procédure pénale. La seule mission du PNF est d’appliquer la loi fondement du pacte démocratique ». Cela va sans dire, mais dans les circonstances, cela va mieux en le disant n’est-ce pas ?
J’avais écrit il y a un an et demi dans ces colonnes mon étonnement devant la passivité du PNF à propos de la publication dans le Canard d’informations sur les pressions faites par des collaborateurs de l’Élysée sur le ministère du budget pour éviter à Médiapart de rembourser (principal et pénalités se montant à 4 millions d’euros quand même !) ce qu’il devait à l’État après un détournement de TVA. Les qualifications pénales très sérieuses ne manquaient pas, et je posais la question en ces termes : « on ne lit pas le Canard enchaîné au Parquet Financier ? » Eh bien si, nous voilà rassurés, finalement ils s’y sont mis.
Que peut-il se passer désormais?
Cessons d’être taquin, et revenons au chemin de croix de François Fillon, cette incise était simplement destinée à rappeler que l’hypothèse d’une opération organisée à partir de l’Élysée et dont le PNF serait l’un des outils ne mérite pas le qualificatif de fantaisiste.
Que peut-il se passer désormais ? En ce qui concerne la suite de la procédure, le PNF a deux solutions : soit une citation directe devant le tribunal correctionnel de Paris d’un certain nombre de protagonistes, dont bien sûr François et Pénélope Fillon, voire deux de leurs enfants ; soit l’ouverture d’une « information judiciaire » c’est-à-dire la nomination d’un ou plusieurs juges d’instruction du pôle financier chargés de reprendre, dans un cadre différent et contradictoire, les investigations. On peut raisonnablement penser que c’est la deuxième solution qui sera choisie. Refiler la pomme de terre chaude au juge d’instruction présente plusieurs mérites. Tout d’abord mettre le PNF à l’abri des accusations de partialité et d’être intervenu dans la campagne électorale qui fusent des quatre coins de l’échiquier politique. Et ce d’autant plus que c’est bien le juge d’instruction qui a le pouvoir d’appuyer sur le bouton de l’arme nucléaire dans notre démocratie d’opinion dévoyée : la mise en examen qui vaut brevet de culpabilité et passeport pour le lynchage. Et astucieusement, il est probable que le PNF demandera l’ouverture d’une information judiciaire contre personnes dénommées, ce qui rend la mise en examen quasi automatique. Parce que tout le monde oublie que cette mesure est protectrice pour les personnes poursuivies. Elles ont droit dès ce moment à l’assistance d’un avocat, accès au dossier et peuvent demander au juge d’instruction, magistrat du siège qui doit instruire à charge et à décharge, toutes les mesures qu’elles jugent utiles pour leur défense. C’est la raison pour laquelle dès lors qu’existent : « des indices graves et concordants » la mise en examen s’impose légalement. Or le communiqué du PNF malgré sa rédaction alambiquée nous a bien confirmé qu’ils existaient, ces indices graves et concordants. Le juge d’instruction désigné, probablement d’ici quelques jours, n’aura donc pas d’autre choix que de prendre cette mesure sauf à vicier sa procédure.
Je ne connais pas le dossier pénal concernant François Fillon et ses proches, mais de ce que j’ai pu en apprendre par la presse et à partir des connaissances juridiques liées à une longue pratique de ces questions, je dirai sagement que j’en ai connu de meilleurs…
Le problème de François Fillon et de ceux qui l’ont choisi à la primaire est aujourd’hui directement politique. On assiste à une opération pour priver la droite républicaine de son candidat, ouvrant ainsi un boulevard à Emmanuel Macron au premier tour. Mais ce sont les Républicains eux-mêmes qui se sont mis dans cette nasse, dont il sera difficile de sortir. Et même s’il battait Marine Le Pen au deuxième tour, la légitimité de François Fillon président de la République serait faible.
Seule bonne nouvelle pour LR la semaine dernière, il semble qu’Emmanuel Macron ait traversé le miroir, et soit maintenant persuadé qu’armé de son génie, il est « l’homme du destin » et non pas un produit marketing lancé comme une savonnette par un système qui voit en lui son dernier recours. Comme le lançait Gabin à son fils dans les grandes familles : « un héros ? Non mais il y croit ma parole ! ». Oui oui, il y croit, se veut christique et sa femme le compare à Jeanne d’Arc. La baudruche serait-elle en train de se dégonfler ? Cela nous éviterait un deuxième tour Le Pen/Macron ou la dirigeante frontiste, renforcée par une partie de l’électorat de droite n’aurait pas grand mal à ne faire qu’une bouchée du télévangéliste.
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