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France 1900, année zéro?


France 1900, année zéro?
L'Exposition universelle, 1900
Belle Epoque Dominique Kalifa Mythes Réalités
L'Exposition universelle, 1900

L’histoire est joueuse, taquine même. Au fil des années, elle distord le temps, le réinterprète à l’infini. La nostalgie, le bien le mieux partagé par les peuples malheureux, s’amuse à réécrire le passé, lui donnant un éclat, une lumière ou un voile d’ombre selon son humeur du moment. La vérité n’est qu’une illusion de la réalité. Les Hommes se nourrissent d’images souvent fausses. Peu importe que nos constructions soient de fragiles châteaux ou d’incertaines habitations. On sait que les fondations, surtout imaginaires, s’avèrent, à la longue, de résistantes forteresses. Elles protègent, elles rassurent, elles soutiennent quand les catastrophes nous tombent sur la tête. C’est pourquoi, en France, on préférera toujours les enchanteurs, les romances, les chimères aux froides statistiques et chronologies figées dans le marbre. Prenez le terme générique, sorte de besace à souvenirs dite Belle Époque, un fourre-tout joyeux et vous voyez déjà débouler toute la mythologie du début du siècle dernier.

Quand Paris était la capitale du monde

Ils sont tous là, dans un Paris qui lève la jambe, à danser sur l’autel de la modernité. La République triomphante et les arts majeurs tiennent le haut du pavé. Quelle belle époque assurément, l’Expo Universelle guide le progrès, une monnaie solide rassure les rentiers, la fée électricité illumine l’avenir, l’Art nouveau se propage dans les couloirs du métro, Apollinaire, Diaghilev, Sarah Bernhardt, Toulouse-Lautrec et consorts font de la capitale, le phare du monde. Créer en dehors de Paris serait une hérésie. Ça se passe là et nulle part ailleurs ! Ce tableau flamboyant éclairé par une lampe Tiffany a des airs de French cancan, piquant, canaille et entraînant. Cette époque insouciante et frivole met des papillons dans le ventre pour de nombreuses générations suivantes.

L’historien Dominique Kalifa, professeur à la Sorbonne, tente de démêler le vrai du faux, dans son dernier essai La véritable histoire de la « Belle Époque » aux éditions Fayard. Un document très plaisant à lire, nuancé dans son propos et subtil dans son approche intellectuelle où les multiples références aux films, livres, spectacles donnent de la chair à son propos. A travers des romans, des chansons populaires ou des pièces radiophoniques, Kalifa prend véritablement le pouls de notre Nation. Il démontre notre inlassable capacité à recycler les moments de bonheur, fussent-ils éphémères ou inventés. Cette supposée « belle époque » qu’il prend soin d’encadrer entre guillemets est difficile à situer, ses étudiants en ont fait l’expérience en interrogeant des passants dans la rue. Pour certains, elle se situerait dans les années folles, pour d’autres, elle s’inscrit dans les Trente Glorieuses. Chacun place le curseur à son bon vouloir. Le lamento du « C’était mieux avant ! » n’est pas nouveau. Notre aptitude à s’appuyer sur l’histoire, béquille psychologique de l’âme, est un trait saillant de notre identité. L’expression Belle Époque arrive, en fait, assez tardivement, précisément sous l’Occupation allemande dans une émission de Radio-Paris puis dans une revue à Bobino. La Belle Otero n’avait pas conscience de vivre dans une époque formidable. Quarante ans plus tard, les Parisiens, plongés dans une longue nuit, se souviennent avec émotion de leur jeunesse, des airs d’alors et de ce paradis perdu.

« Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus »

Dans une France à terre, il s’agit donc de se remémorer le bon vieux temps, de trouver un refuge douillet et croquer une Madeleine de Proust pour oublier le triste quotidien. L’idée qu’en 1900, la vie était plus douce, fait son chemin dans les têtes. Au lendemain de la guerre, « l’esprit de la « Belle Époque » ne tarde pas à se ré-acclimater au contexte de la Libération » analyse l’auteur. La persistance de cette expression, cette éternelle chronique des jours heureux, perdure. La réouverture du Moulin-Rouge en 1951 contribue à sa diffusion sourde comme le décor immuable du restaurant Maxim’s. Entre 1943 et 1968, Kalifa a recensé plus d’une soixantaine de films consacrés à la Belle Époque. Parmi lesquels, Paris 1900 de Nicole Védrès, Le Plaisir de Max Ophüls, Casque d’or de Jacques Becker, Les Grandes manœuvres de René Clair, La famille Fenouillard de Yves Robert, Le Voleur de Louis Malle ou Jules et Jim de François Truffaut. Rêveurs impénitents, les Français vivent par procuration. Ils cherchent perpétuellement dans leur histoire des sources d’émerveillement ou de dégoût. Alors même si la belle époque n’était pas aussi belle, qu’elle véhiculait son lot d’injustices et d’incertitudes, elle sonne comme Le Sacre du printemps.

La véritable histoire de la « Belle Époque » de Dominique Kalifa – Editions Fayard Histoire

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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