L’arrivée au gouvernement le 26 août 2014, d’Emmanuel Macron, parfait inconnu et tous les événements qui ont suivi montre que ce dernier est un parfait veinard. Une furieuse et interminable campagne médiatique en sa faveur et des parrains timides (mais généreux) qu’il refuse de nommer, lui permettent de mener sa grande marche.
Le conte de fées du camp du Bien
Les organes de contrôle de la régularité, de l’égalité et de la sincérité de la campagne présidentielle se trouvent brusquement atteints d’une forme grave de la maladie du sommeil. Plusieurs autres facteurs jouent en sa faveur : un président de la République qui laisse la place en faisant savoir qu’il se verrait bien présider l’UE, tous ses copains de promo de l’ENA occupant des postes judicieux, qui lui préparent le terrain. Et la justice pénale qui a adopté un tempo particulièrement bien ajusté qui lui ouvre un boulevard.
Je sais ce que je vais recevoir pour ne pas marcher dans le conte de fées que nous sert le camp du Bien. Ce sera la nouvelle injure disqualifiante : complotiste ! Critiquer Macron et l’invraisemblable opération qui vise à en faire le futur président de la République, c’est considérer que l’Histoire n’est qu’un complot judéo-maçonnique-illuminati-reptilien.
Je propose quand même d’essayer de mieux comprendre ce phénomène à l’aide de la méthode qu’employait Lawrence Durrel dans son fameux « quatuor d’Alexandrie » : raconter la même histoire sous quatre points de vue différents.
Commençons par l’affaire Fillon, qui a éclaté avec les informations gênantes du Canard enchaîné, provoquant en pleine campagne présidentielle un lynchage médiatico-judiciaire géant quoique routinier. La primaire de la droite a choisi un candidat dont le degré de solidité devrait poser question aux bourgeois de province qui l’ont plébiscité. Les reproches qui lui sont faits sont en partie justifiés, sa défense initiale a été calamiteuse, tandis que la justice alimentait les gazettes comme de bien entendu.
Fillon pris à son propre piège
Et comme François Fillon avait imprudemment placé sa candidature sous l’égide de la probité et de la rectitude, quitte à égratigner certains de ses adversaires, il se prend le boomerang en pleine face. Dans un climat politique tendu, il n’y a aucune surprise à voir la clameur se déchaîner. Si la droite républicaine se retrouve aujourd’hui dans la nasse, elle doit s’en prendre à elle-même pour avoir choisi un cheval fragile et lancé l’épreuve présidentielle n’importe comment. Tout ceci est difficilement réfutable. Mais quand même, la droite ne doit-elle s’en prendre qu’à elle-même ? Voire.
Parce que si l’on raconte l’histoire en changeant de focale pour diriger l’objectif vers Emmanuel Macron apparaît une autre réalité. Finalement très inquiétante.
J’avais été frappé par le sourire radieux de Jean-Pierre Jouyet lorsque, sur le perron de l’Élysée, il annonça la nomination d’Emmanuel Macron en remplacement d’Arnaud Montebourg. Ce concentré de la haute fonction publique oligarchique était trop content du tour qu’il jouait à la France avec la promotion de son poulain qu’il eut sous ses ordres entre 2005 et 2007 à l’Inspection des finances. La fusée était lancée, mise en orbite prévue mai 2017, soit comme Premier ministre d’un François Hollande reconduit, voire d’Alain Juppé, soit carrément président. Cet objectif stratégique une fois défini, les différentes mises en œuvre tactiques sont très simples. Nul besoin d’un groupe occulte et secret pour animer le déferlement. Une stratégie marketing onéreuse à base d’argent à l’origine obscure, de promotion médiatique grossière, de ralliements spectaculaires, le soutien de tous ceux qui, accrochés à leurs privilèges, ont une peur panique du changement, et la machine s’alimente toute seule. Mais en plus, il y a l’appui d’une partie de l’appareil d’État. Comme par exemple Madame Ernotte qui semble ne voir aucun inconvénient à ce que le service public radiotélévisé qu’elle dirige ait depuis longtemps abandonné le pluralisme que son statut exige . Ou le président du CSA inerte devant le formidable déséquilibre des temps de parole, le président de la Commission Nationale des Comptes de Campagne qui regarde ailleurs et le président du Conseil constitutionnel qui assiste sans broncher à la confiscation de l’élection présidentielle. Il y aurait pourtant l’occasion de quelques remarques à propos du financement particulièrement réglementé de la campagne électorale d’Emmanuel Macron. L’origine des fonds, l’implication des services de l’État dans l’organisation de la campagne , ce mutisme qui commence à ressembler à un parti pris est particulièrement grave.
Justice pour tous?
Mais il y a pire : l’instrumentalisation, comme souvent durant ce quinquennat, de la justice à des fins politiques. Qui peut croire que c’est par hasard, ou grâce à la sagacité de ses « enquêteurs », comme on appelle désormais les journalistes sans que cela ne les gênent, que la presse s’est trouvée alimentée d’informations sur des faits parfois vieux de vingt ans ? Qui peut croire que c’est chose normale que le parquet financier se soit saisi avec cette rapidité, et ait pu mener de façon fulgurante ses premières investigations sans qu’elles aient été préparées à l’avance ? Qui peut penser que ces violations insensées du principe de séparation des pouvoirs par la descente de la police dans les locaux du Parlement sans que le président Bartolone n’y trouve à redire (!), relèvent de l’improvisation? Et qui peut imaginer qu’au parquet financier, on ne sache pas le caractère grossièrement inconstitutionnel de l’ouverture d’une enquête préliminaire sur un parlementaire dans l’exercice de ses fonctions, sans qu’elle ait été précédée d’une enquête du bureau de l’Assemblée ? Qui ne peut pas être scandalisé que, comme hélas c’était prévu, les éléments du dossier couverts par un strict secret se retrouvent instantanément entre les mains des « enquêteurs » du Monde, préposés à ce genre de besogne et par ailleurs confidents officiels du Président de la République?
Nous avons même eu droit à un ridicule écran de fumée voulant faire porter la responsabilité du déclenchement du barrage d’artillerie à Rachida Dati.
Eh bien, si l’on y regardait d’un peu plus près ? Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Élysée a su s’entourer. Il y a Gaspard Gantzer, camarade de promotion de Macron à l’ENA, à qui ses fonctions permettent d’être comme un poisson dans l’eau dans la presse parisienne. Les avaient rejoints Pierre Heilbronn énarque inspecteur des finances lui aussi, qui a longtemps collaboré avec François Fillon, pour ensuite aller occuper la fonction de directeur général adjoint du cabinet de Michel Sapin. Il est parti en juillet dernier à la direction de la BERD, mais avant son départ, Jean-Pierre Jouyet a recruté sa compagne Ariane Amson, nommée conseillère justice au cabinet élyséen. Cette magistrate n’est pas énarque, mais arrive directement… du parquet financier.
Mais qu’est-ce que tu vas chercher ? Rien voyons, je suis persuadé que tout cela n’a aucun lien avec les ennuis de François Fillon, ce genre de choses n’arrive jamais. De la même façon, le renvoi précipité en correctionnelle de Nicolas Sarkozy à l’aide d’une ordonnance qu’un des deux magistrats co-saisis, et pas n’importe lequel, a refusé de signer, ne saurait en aucun cas être considéré comme une initiative visant à définitivement fermer la voie d’un plan B Sarkozy, et à gêner la droite encore un peu plus. Ce serait fadaise, n’est-ce pas ?
Le candidat de tous les conservatismes
Complotiste ! Tu ne perds rien pour attendre, les décodeurs du Monde et de Libération vont te mettre à l’index. Parce que, dans cette volonté furieuse de ne rien changer, la presse amie du pouvoir met le paquet. Et lance la chasse à ceux qui pensent mal. Avec toute une série d’initiatives visant à réprimer la liberté d’expression.
En fin de compte, il y a deux approches de l’affaire Fillon. Soit considérer que François Fillon n’a que ce qu’il mérite. Et que tout cela relève d’un fonctionnement démocratique.
Il y a aussi une autre lecture, tout aussi recevable mais qui pose un lourd problème démocratique. Le moment choisi, les méthodes utilisées et l’objectif poursuivi par ceux qui sont manifestement à la manœuvre accréditent la thèse d’un dévoiement des services de l’État. Certains imaginent des basses manœuvres visant à confisquer l’élection présidentielle et faciliter l’arrivée d’Emmanuel Macron au second tour, pour qu’il puisse l’emporter grâce au front républicain. Si ces faits s’avéraient, cela s’apparenterait à un coup d’Etat.
Une telle stratégie jouerait avec le feu. Car rien ne garantit une victoire électorale du candidat de tous les conservatismes, mandataire de l’establishment énarchique et financier. Et quand bien même l’emporterait-il, sa victoire ne réglerait rien. Et les méthodes utilisées affaibliraient encore plus les institutions en créant autant de précédents très dangereux pour les libertés publiques.
Quant à Marine Le Pen, elle aura beau jeu de se présenter comme seule candidate du changement, et de la défense des libertés publiques. Il est décidément stupéfiant de voir que notre establishment n’a rien appris des élections américaines.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !