Cher(e)s Ami(e)s,
Ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Bensoussan » a donné lieu, depuis des semaines, à de vives controverses et à de nombreuses (parfois violentes) prises de position dans la presse ou par le biais des réseaux sociaux. D’aucuns ont cru bon d’instruire un autre procès, celui de la Licra, en raison de sa présence parmi les parties civiles et de s’ériger en précepteurs de morale antiraciste, distribuant des brevets d’honorabilité et de respectabilité.
Que ce type d’affaire suscite des interrogations et des réactions est une chose normale. Mais ce serait outrage que d’en débattre en quittant les chemins de la vérité et de l’honnêteté intellectuelle. Défendre nos valeurs universelles, c’est aussi agir avec une certaine idée de l’éthique et de la responsabilité.
Le moment est venu de « remettre l’église au milieu du village » et de s’attacher à regarder cette affaire pour ce qu’elle est véritablement et non pour ce que certains voudraient qu’elle soit.
La première question est de savoir comment Georges Bensoussan s’est retrouvé devant la 17ème chambre du Tribunal Correctionnel de Paris pour « provocation à la haine raciale ». Son procès, il le doit au Procureur de la République de Paris, qui l’a cité à comparaître pour répondre des propos suivants tenus sur les ondes de France Culture au mois d’octobre 2015 : « Aujourd’hui nous sommes en présence d’un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés… Il n’y aura pas d’intégration tant qu’on ne sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret. Il se trouve qu’un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France3 : « c’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère. ». »
Georges Bensoussan peut répéter à l’envi avec ses soutiens, à longueur de tribunes et d’interviews, qu’il a été poursuivi par le collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), cela ne correspond pas à la vérité. Le CCIF a opéré un simple signalement au Parquet. Celui-ci disposait de la possibilité d’y donner suite ou pas. C’est donc à la requête du Ministère Public et non pas de telle ou telle association que ce procès s’est tenu.
La seconde question est de savoir ce que devait faire la Licra. Cette question s’est posée au lendemain de l’émission de France Culture. Interrogée, la Commission Juridique a considéré que les propos visés étaient susceptibles de tomber sous le coup de la loi. Le Bureau Exécutif a cependant alors estimé qu’il convenait d’attendre les suites qui seraient données à cette affaire par le Parquet. Le sujet a donc à nouveau été évoqué lorsque nous avons appris que celui-ci avait pris l’initiative des poursuites. Il convient à cet égard de rappeler la jurisprudence de la Licra qui consiste à se joindre au Ministère Public lorsque celui-ci poursuit pour des faits de racisme ou antisémitisme. Nous avons suffisamment dénoncé la frilosité du Parquet en la matière pour ne pas nous joindre à lui quand il demande l’application de la loi. Nous le faisons bien sûr avec le discernement nécessaire, dans le respect scrupuleux tant de l’histoire de notre association que de ses statuts et de son objet social.
En la circonstance, eu égard à la personnalité de Georges Bensoussan et à l’œuvre qui est la sienne, le Bureau Exécutif a décidé de prendre contact avec lui pour lui demander de dire publiquement, ce dont il a d’ailleurs convenu à l’occasion d’une rencontre avec certains d’entre nous, qu’il regrettait ses propos et que son intention n’était pas de généraliser et d’essentialiser « les familles arabes », mais seulement de dénoncer un phénomène qui gangrène le monde arabo-musulman. Nous souhaitions également qu’il présente ses excuses à ceux qui avaient pu mal comprendre ses propos et qui en étaient terriblement blessés, comme c’est le cas de beaucoup de nos amis parmi les membres de la Licra et au-delà. Les contacts que nous avons pris directement et indirectement avec lui ont été doublés de la lettre ouverte que je lui ai adressée. L’intéressé a opposé une fin de non recevoir tant à nos demandes qu’à celles de nos missi dominici. Dès lors, et en exécution de la décision prise par le Bureau Exécutif, nous avons estimé qu’il n’était pas possible à la Licra d’être absente de ce procès.
La troisième question est de savoir si la Licra se serait, comme certains le prétendent « déshonorée » en se constituant partie civile « aux côtés » du CCIF. La réponse est simple : si la Licra devait renoncer à être présente, au tribunal, dans les affaires racistes et antisémites, au regard de la qualité des autres parties civiles, alors il faudrait dissoudre immédiatement notre Commission Juridique. Etre partie civile, ce n’est pas épouser les thèses de ceux qui sont assis sur le même banc.
En suivant cette logique, la Licra aurait-elle dû renoncer à défendre ce septuagénaire musulman laissé pour mort après une agression raciste près de Rouen parce que le CCIF avait décidé d’être présent au procès ? La Licra aurait-elle dû se taire quand Marine Le Pen comparait les prières de rue à l’occupation, au prétexte que le même CCIF tentait de vendre sa rhétorique victimaire infâme ? La Licra aurait-elle dû refuser de défendre ses valeurs parce que les Indigènes de la République se présentaient à certaines audiences, guidés par un opportunisme qui ne dupe personne ?
De la même manière, la Licra aurait-elle dû se résoudre à ne pas demander réparation dans toutes les affaires de racisme antiblanc, en raison de la présence régulière d’associations d’extrême droite ? Personne, parmi la génération spontanée de contempteurs de la Licra, ne trouvait alors la situation déshonorante et je n’ai pas souvenir qu’Alain Finkielkraut, en pointe sur ces sujets, se soit ému d’une telle situation. Dire de la Licra qu’elle se serait déshonorée en se constituant partie civile aux côtés d’associations infréquentables, serait aussi malhonnête que prétendre que Georges Bensoussan serait un suppôt du Front National parce que Louis Aliot lui a témoigné son soutien et sa sympathie à l’occasion de son procès.
On ne combat pas le racisme et l’antisémitisme en désertant le terrain et en le livrant à ses adversaires. La lutte contre la haine exige de mettre les mains dans le cambouis. C’est évidemment moins facile que de se draper dans une forme d’indignation sélective.
La quatrième question est de savoir ce qu’a réellement été le rôle de la Licra dans ce procès. Plutôt que de se livrer à des accusations indignes, celles et ceux qui se déshonorent eux-mêmes en traînant la Licra dans la boue, auraient été inspirés d’assister à la plaidoirie de notre avocate, Sabrina Goldman, que je tiens ici à remercier pour avoir tenu, avec compétence et dignité, la place qui devait être la nôtre dans ce procès. Georges Bensoussan lui-même, au terme des débats, a fait la part des choses entre les parties civiles. Sans excès ni anathème, Sabrina Goldman a expliqué les raisons pour lesquelles la Licra ne pouvait pas être absente de ce débat sans renier sa raison d’être. Ce n’était évidemment pas l’œuvre de l’historien Georges Bensoussan, très largement reconnue, qui était en cause. Il ne s’agissait pas non plus de sonder les âmes et les cœurs afin de savoir s’il est ou non raciste. Il ne s’agissait pas davantage d’instruire, comme l’aurait voulu le CCIF, un procès en « islamophobie », concept que la Licra combat avec la dernière énergie. La seule question qui était posée au Tribunal était de savoir si Georges Bensoussan avait « franchi la ligne jaune » en tenant les propos globalisants qui lui valaient sa citation à comparaître. Notre avocate n’a évidemment pas manqué de faire observer que le CCIF avait dévoilé son vrai visage, celui d’une association baignant dans le déni effroyable de l’antisémitisme, à l’instar de cette sociologue, qu’il a fait citer à la barre, et qui a expliqué que la haine des juifs qui sévit dans certains quartiers relevait du simple « ressentiment. » Loin de le regretter, nous devons être fiers que la Licra ait pu être là pour marquer sa singularité et témoigner de son refus de voir écraser nos valeurs universelles sous la pression d’une quelconque tenaille identitaire.
Nous savons mieux que quiconque, à la Licra, les dangers du fléau de l’antisémitisme qui gangrène certains quartiers. Nos militants qui interviennent chaque jour devant des élèves en savent quelque chose. Les pouvoirs publics ont trop longtemps sous-estimé ce phénomène qui sert de terreau à la radicalisation et à l’islam politique. Mais ramener « toutes les familles arabes » à cette réalité est aussi injuste que mensonger et conduit à aggraver les tensions et les divisions de notre pays en faisant le lit de collectifs victimaires et communautaristes hostiles à nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce n’est pas ainsi que la République retrouvera les territoires qu’elle a malheureusement perdus depuis longtemps.
La Licra est fidèle à ses origines et entend le rester. Elle trace une voie, singulière, celle de ses fondateurs et de leurs continuateurs. Certains cette semaine ont vainement tenté de convoquer son histoire. Pour le faire utilement, encore faut-il la connaître. Bernard Lecache, notre Président fondateur, aimait à rappeler dans ses discours ce principe simple : « qui se tait ici après avoir crié là mérite le mépris. » Nous avons toujours su à la Licra qu’on ne lutte pas contre l’antisémitisme sans lutter contre le racisme, et inversement. Telle est la ligne de la Licra, une et indivisible. Nul ne nous y fera déroger.
Fidèlement.
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