Si Pierre Rosanvallon a raison et que nous entrons dans un « moment populiste », moment qui serait de son point de vue un événement historique majeur, d’un niveau comparable à la chute du Mur de Berlin, alors comprendre ce qui motive l’électorat de l’un des partis politiques français considéré comme « populiste » n’est pas anodin. Le mot populisme est un mot outrageusement présent dans le débat public et reste cependant souvent flou. Pour parler de parti politique populiste, il faut évacuer le sens négatif de ce mot, synonyme de « démagogique ». Dans l’atmosphère « populiste » actuelle, le mot signifie plutôt « redonner le pouvoir au peuple », un pouvoir confisqué par ce que Zygmunt Bauman et Jean-Pierre Chevènement nommaient « les élites mondialisées ». Une confiscation dont les conséquences sur la vie concrète des populations, du peuple, sont catastrophiques, et expliquent largement les ressorts du vote Front national en France.
La France « moisie », des gens sympa
C’est sur ce premier point que le livre coordonné par Willy Pelletier et Gérard Mauger est intéressant. Il l’est aussi du fait de l’origine affirmée des deux architectes de l’opus. Pelletier et Mauger viennent de la gauche radicale et ont de nombreuses années de militantisme « antiraciste », « antifa » et anti-FN au compteur. Jusqu’au jour où quittant Paris et ses amis du cocon feutré de la lutte « antifa » bobo (Pelletier explique cela très bien, à son propre sujet), Willy Pelletier se retrouve en province, dans la fameuse « France moisie », se fait des amis, dont des voisins avec qui il s’entend fort bien. Mais il découvre que ces amis sont électeurs récurrents du FN… tout en n’étant ni des néo-nazis tendant allègrement le bras ni des gros cons. C’est tout un imaginaire concernant le FN qui s’écroule, dans la tête du militant anti-FN formé depuis le lycée par la propagande bobo-parisienne touche-pas-à-mon-potiste.
L’électeur et le militant du FN ne sont pas nécessairement des beaufs racistes, homophobes, illettrés, machistes, xénophobes tentés par le fascisme. Il se peut même, les enquêteurs le montrent, que ces électeurs soient des gens normaux, des gens bien. L’électeur FN n’est pas, sociologiquement parlant, cet individu « moisi » qui peuple le cerveau d’un BHL. Cette découverte (« il est temps », se dira-t-on avec justesse) conduit à une prise de conscience : « l’antifascisme » parisiano-bobo est un racisme à l’envers, un « racisme de classe qui s’ignore » tout en prétendant lutter contre le racisme (ou supposé tel), écrivent Pelletier et Mauger.
Le vote FN, conséquence de toutes les trahisons de la gauche
L’ouvrage reconnaît ainsi ce que nombre d’analystes, à commencer par Causeur, tentent d’expliquer aux « antifas », et de là à une grande partie de la gauche, depuis des années : que leur vision du monde, liée à une obsession quasi maladive du FN, a développé une « tolérance intolérante » et même souvent totalitaire. Dénonçant pour un oui ou pour un non les « beaufs racistes votant FN », usant d’un vocabulaire épidémiologique (la fameuse contagion des idées devenue « lepénisation » des esprits, causée en particulier par les intellectuels et journalistes prétendument néo-réacs), le monde de l’antifascisme auto-proclamé en est venu à diaboliser le peuple qu’il prétendait défendre et a ainsi contribué au projet de construction d’un peuple nouveau, celui des immigrés devenant le nouveau prolétariat à défendre (aspect analysé par ailleurs par Mathieu Bock-Côté, dans son important essai Le multiculturalisme comme religion politique, éditions du Cerf).
Ces aspects fondamentaux de l’ouvrage s’appuient sur des enquêtes précises de terrain remettant en cause bien des idées reçues sur les répartitions géographiques et sociales du vote FN, par exemple, mais aussi sur les raisons pour lesquelles les individus électeurs votent FN, raisons qui sont finalement bien plus populistes que racistes ou xénophobes. Le vote FN, c’est celui de la France qui souffre. Le vote FN, en particulier chez les moins de 50 ans, c’est le vote des électeurs qui autrefois se serait porté sur la gauche populaire. Autrement dit, le vote FN c’est le résultat de toutes les trahisons de toutes les gauches et de tous les libéralismes, le résultat du projet politique et économique des « élites mondialisées » et de sa conséquence dramatique : l’exclusion hors de la société de pans entier d’êtres humains. On le voit, les programmes politiques défendus actuellement en vue des élections présidentielles, quels que soient les camps, sont bien loin du réel qui mine les fondements même de la société française.
L’antifascisme ne passera pas
De ces enquêtes découle un constat : si la diabolisation nasillarde du FN depuis plus de trente ans a échoué à faire reculer le parti de Marine Le Pen et si cette diabolisation n’est pas parvenue à faire fuir l’électorat populaire, tout en le maintenant à gauche, n’est-ce pas que toute la stratégie « antifa » est erronée ? Autrement dit : les critiques portées depuis des lustres contre les défauts des analyses « antifa », sur leur caractère contre-productif, et sur leur intolérance de plus en plus étouffante, de l’avis de Willy Pelletier, ne seraient-elles pas justifiées ? C’est la raison d’être de ce livre collectif issu de journées d’études de la Fondation Copernic : appréhender, depuis la gauche radicale qui avait pris la fâcheuse habitude de réduire ad hitlerum l’électeur FN, les ressorts réels, sociaux, économiques et concrets, du vote populaire en faveur du FN, et donc indirectement les ressorts de la montée du populisme mariniste en France.
Cet aspect « prise de conscience » issu des milieux « antifas », selon laquelle le vote FN n’est pas nécessairement un vote d’extrême droite ou « fasciste », est une vraie nouveauté — d’autant que cela s’adresse en particulier aux milieux d’où sont issus les maîtres d’œuvre du livre. Composé d’une série d’études proposées par des analystes divers, le volume est naturellement inégal mais pertinent et passionnant dans son ensemble. D’autant qu’il s’agit avant tout d’une enquête sociologique de terrain, et non de travaux de laboratoires universitaires, fondée sur des rencontres avec des « vrais gens », ce qui est aussi une nouveauté dans les milieux de la gauche radicale. Les classes populaires et le FN, tout en conduisant à mettre à jour sa propre sociologie du vote FN et populiste en France, permet à son lecteur de comprendre ce que Willy Pelletier nomme à juste titre « l’impasse militante » antifa. Gageons que si ce livre est lu, en particulier au sein des gauches radicales, une certaine finesse d’analyse politique moins idéologiquement totalisante pourrait émerger dans ces milieux devenus des étouffoirs de la pensée critique libre.
Les classes populaires et le FN : Explications de vote
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