Christine Lagarde a été reconnue coupable par la Cour de Justice de la République de négligences ayant permis un détournement de fonds publics. Infraction prévue et réprimée par l’article 432-16 du code pénal. En application de la loi, Christine Lagarde a été dispensée de peine.
Immédiatement, comme il fallait s’y attendre, la clameur et quelle clameur ! On convoque prestement La Fontaine et ses animaux malades de la peste, on braille au « tous pourris ! », on profère des énormités à base d’ignorance crasse, les statuts vengeurs apparaissent aux quatre coins des réseaux, et les fils se remplissent d’invectives, voire d’appels à la mort. Comme souvent Facebook devient un singulier défouloir. Les médias traditionnels ont eu besoin d’un peu de temps pour réagir mais finalement disent exactement la même chose.
Ce mode de fonctionnement finit par être assez fatiguant, en ce qu’il repose sur une méconnaissance traditionnelle chez nous des questions juridiques et judiciaires.
Essayons d’y voir un peu plus clair et de comprendre ce qui s’est passé.
Il y a 23 ans, Bernard Tapie a été victime d’une entourloupe de la part du Crédit Lyonnais à l’occasion de la revente d’Adidas. Quiconque connaît un peu le dossier sait très bien que cela s’est passé de cette façon. Après 15 ans de procédure et la perspective d’une durée équivalente avant la conclusion, Bernard Tapie qui avait envie d’avoir son argent avant de mourir a fait pression pour en terminer par un arbitrage. Il a obtenu gain de cause sur le principe de cet arbitrage et celui-ci s’est déroulé, le conseil d’État considérant qu’il était régulier en la forme. Bernard Tapie a obtenu des sommes importantes dont il faut rappeler qu’elles étaient à l’échelle du préjudice dont il avait été victime. Après l’arrivée au pouvoir de François Hollande, l’arbitrage a été remis en cause d’abord sur des bases politiques, et ensuite dans des décisions au caractère politique tout aussi évident. Les juridictions civiles ont annulé l’arbitrage et condamné Tapie au remboursement des sommes perçues. La morale y a peut-être trouvé son compte, la justice sûrement pas.
Un cadeau royal pour le FN
En parallèle, des procédures pénales ont été ouvertes, avec des collections de gardes à vue, de perquisitions et de mise en examen. Procédures toujours en cours et jusqu’à présent, aucune condamnation n’a été prononcée pour «détournement de fonds publics», infraction prévue et réprimée par l’article 432-15 du Code Pénal. Dans l’ancien code pénal datant de 1804 et qui fut remplacé en 1994, le détournement de fonds publics existait mais ne s’appliquait qu’aux comptables publics, seuls détenteur de fonds en application du principe de la comptabilité publique « de la séparation de l’ordonnateur et du comptable ». En 1994, après l’explosion des affaires, il fallait laver plus blanc. On a donc aggravé l’incrimination, et désormais contre le simple bon sens, on peut condamner des gens pour avoir détourné des choses dont ils n’ont jamais été dépositaires. Techniquement, on ne voit pas très bien comment c’est possible mais on ne va pas s’arrêter à ce genre de détail. Et puis, comme il fallait continuer à donner des gages, on a inventé le « détournement de fonds publics par négligence », celui du 432-16. Ce qui est réprimé, c’est la négligence de l’agent public qui n’a pas suffisamment surveillé son subordonné, ce qui lui a permis de détourner des fonds. C’est donc une infraction pénale non intentionnelle. Ce qui ne va pas sans poser le premier problème de la contradiction avec l’article 121–3 du Code Pénal qui dispose qu’«il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » C’est un principe fondamental du droit pénal, mais si on commence à renoncer à la démagogie et à respecter les principes, on ne va pas s’en sortir. La deuxième question est relative à une évidence : il est nécessaire avant de poursuivre le supérieur hiérarchique sur la base de l’article 432-16, que l’auteur principal du détournement INTENTIONNEL ait été reconnu coupable sur la base du 432-15. Et pour l’instant, dans l’affaire Tapie ce n’est pas le cas.
Mais on n’allait quand même pas s’arrêter pour si peu, et on a donc concocté cette opération absurde et surtout illégale. Les décisions civiles qui ont annulé arbitrage ont été considérées comme suffisantes pour établir un détournement de fonds publics (!), et contre l’esprit et la lettre de la loi, on a renvoyé Christine Lagarde devant la Cour de Justice de la République. Juridiction particulière qui juge les ministres pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qui est absolument nécessaire pour respecter le principe de séparation des pouvoirs. On se doute que la lâcheté de la classe politique amènera bientôt à sa suppression.
Mais pourquoi cette manipulation bizarre, et judiciairement tout à fait inutile donnant ainsi du grain à moudre aux médias ignorants et alimentant la propagande de l’extrême-droite ? En fait, Michel Sapin qui n’a pas attendu longtemps pour soutenir Christine Lagarde et souhaité son maintien à la tête du Fonds monétaire international (FMI) nous donne la réponse. Il fallait absolument sortir l’ancienne ministre des Finances de la cohorte de ceux qui auront (peut-être) à répondre dans longtemps du volet pénal de ce dossier. Pour qu’elle puisse rester à la tête du FMI sans traîner cet encombrant boulet. Alors, pourquoi se gêner et ne pas monter une petite opération.
Résultat prévisible de cette initiative imbécile : un procureur réputé proche de la droite qui requiert la relaxe, une défense qui s’est bien gardée de mettre en cause la légalité ou de déposer une Question Prioritaire de Constitutionnalité, une reconnaissance de culpabilité, et une dispense de peine pour Christine Lagarde. Par une juridiction majoritairement composée de parlementaires. Impossible de faire pire et de mieux démontrer la connivence des élites, impossible de plus abaisser l’autorité de l’institution judiciaire et de faire un cadeau royal au FN.
Chapeau les artistes !
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