« Les Espagnols sont-ils en voie d’extinction ? » Ce n’est pas une blague, ni le titre d’un film catastrophe, mais celui d’une tribune parue hier sur le site du journal ibérique de centre-gauche, El Pais. « Un éléphant vit au milieu de nous » et « menace notre avenir » mais personne ne s’en soucie, commence la journaliste. « Ni les partis politiques, ni le gouvernement, ni les analystes. » Les médias « se préoccupent des crises internes des partis ou des photos déchirées du roi d’Espagne » mais pas de ça : « cette éléphant s’appelle « solde naturel négatif », […] nous perdons de la population », assène gravement Berna Gonzalez Harbour.
« Aujourd’hui, nous sommes 72 de moins qu’hier », reprend-elle. Multiplié par 365, ça fait plus de 26 000 par an. Et sur dix ans, près de 300 000, sur une population totale de 46 millions d’habitants. Les chiffres du premier semestre de 2016 ont confirmé ceux de 2015 : les Espagnols meurent davantage qu’ils ne naissent. « Le découragement face à la crise et le manque de perspectives ont ralenti la natalité. » Pour ne rien arranger, les mariages ont diminué (-2,7%). Et « les signaux pour le futur ne sont pas plus rassurants » : même « les immigrés » ne parviennent plus à redresser la barre ! « La population immigrée, à qui nous devons 18% des naissances en Espagne alors qu’elle ne représente que 9,5% de la population totale, a continué à chuter de façon drastique, regrette la journaliste. Ils étaient 5,3 millions en 2011, ils ne sont plus aujourd’hui que 4,4 millions. »
« Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre »
La sensibilité socialiste de l’éditorialiste est heurtée : même les étrangers ne produisent plus assez de nouveaux petits Espagnols. Si elle peut s’en rendre compte, ce n’est pas grâce aux statistiques ethniques, pas plus pratiquées en Espagne que de notre côté des Pyrénées, mais parce que l’immigration, chez elle, est assez récente pour que les immigrés y soient encore des étrangers. Sauf que ces derniers ne sont plus très emballés à l’idée de rester là-bas. En Espagne, plus qu’ailleurs, le chômage fait des ravages. Monté jusqu’à 27% début 2013, il est, pour la première fois, retombé en dessous des 20% au troisième trimestre 2016 : les Espagnols ne sont « plus que » 4,3 millions à ne pas avoir d’emploi.
Alors, comme les étrangers, les Espagnols s’en vont. Rien que dans les six premiers mois de 2015, 50 000 d’entre eux (majoritairement jeunes) ont quitté leur pays natal. Une fuite qui n’a pas été bouchée depuis le déclenchement de la crise en 2008. Les chiffres le confirment : la catégorie d’âge la plus touchée par cette diminution de la population est celle des moins de 35 ans. « Celle qui croît le plus ?, interroge la journaliste. Les plus de 85 ans. » La catégorie suprême des plus de 95 ans est même en progression de 6% !
« L’instantané pris cette semaine par l’Institut national des statistiques n’est pas très différent de celui qui prévaut dans l’Union européenne », se rassure faussement Berna Gonzalez Harbour, avant de citer l’historien britannique Arnold Toynbee: « les civilisations meurent par suicide, non par meurtre », puis de conclure : « et il semble que nous en prenions le chemin. »
En Espagne comme en France, les courbes ont dû mal à s’inverser. Mais François Hollande peut relativiser. S’il y en a une qu’il n’a pas fait chuter c’est bien celle de la natalité. La France, étrangement, n’a pas ce problème. Elle, c’est bien connu, est une championne de fécondité: elle s’en vante chaque année, elle fait beaucoup, beaucoup de bébés. On se demande bien pourquoi…
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