Accueil Politique « Depuis Séguin, il n’y a plus de droite populaire »

« Depuis Séguin, il n’y a plus de droite populaire »


« Depuis Séguin, il n’y a plus de droite populaire »
Ludovic Guilluy (Anna Assouline)
Ludovic Guilluy François Fillon Primaire LR
Christophe Guilluy (Photo : Hannah Assouline)

Propos recueillis par Élisabeth Lévy

Causeur. Que sait-on des électeurs de la primaire ? La France périphérique s’est-elle déplacée ?

Christophe Guilluy. Non. Ce qui n’est pas illogique car, contrairement à ce qu’on pense, la France périphérique n’est pas le cœur de l’électorat de droite. Le socle électoral de droite, ce sont des retraités, des « bourgeois » on va dire, et aussi un petit électorat catho. Cela explique en partie l’échec de Sarko qui a fait campagne en direction des catégories populaires.

Justement, Nicolas Sarkozy parvenait (plus ou moins bien) à incarner une droite populaire, celle du RPR – que William Abitbol, alors conseiller de Pasqua, appelait la droite des garagistes.

Il y avait une droite populaire au RPR jusqu’à l’époque de Séguin, mais depuis, elle a été lâchée par la droite et récupérée par le FN. Dans le fond, Juppé a fait une campagne de gauche, Sarko une campagne en direction des électeurs du FN, et le seul qui ait cherché à parler aux gens de droite, c’est Fillon ! Les deux autres ont parlé à un électorat qui n’était pas là.

D’accord, on peut gagner la primaire de la droite en parlant à l’électorat de droite. Mais peut-on construire une majorité en France sans les catégories populaires ?

Absolument pas ! Raison pour laquelle faire de la primaire une répétition de l’élection présidentielle, c’est se planter dans l’analyse. Il s’agit d’un moment spécifique et d’un électorat spécifique qui constitue une frange minoritaire de ce que pourrait être une majorité « de droite » en 2017.

Et vous croyez Fillon capable d’élargir cette assise ?

Le problème de Fillon, comme celui de Juppé d’ailleurs, c’est que ce n’est pas son discours libéral très classique, et calé à l’électorat plutôt bourgeois ou retraité, qui va ramener l’électorat populaire ![access capability= »lire_inedits »]

Tout de même, ne confondez-vous pas un peu vite catho et bourgeois ? Des cathos, il y en a à Versailles mais aussi dans toute la France périphérique. La France de la Manif pour tous est-elle une France de bourgeois ?

Non, évidemment. Tout d’abord, les bourgeois sont ultra-minoritaires partout. Le socle électoral de la droite depuis vingt ans, ce sont les retraités et le socle électoral de la gauche est toujours la fonction publique. C’est-à-dire que sans ces deux gros blocs, ces partis n’existent pas ! Je parle du gros des troupes, évidemment. Les retraités, en particulier, font les élections parce qu’ils votent en masse et qu’ils sont très nombreux. Ce sont eux qui expliquent pourquoi Marine Le Pen n’est pas au pouvoir. Si elle ne parvient pas à capter les plus de 60 ans, c’est cuit pour elle. Autrement dit, tout ce qu’on entend autour du vieillissement de la population qui « droitise » ou « extrême-droitise » l’électorat, c’est une connerie ! Le rempart au « populisme », ce sont les vieux ! En les maintenant dans son camp, la droite empêche l’arrivée au pouvoir du Front national.

Vous n’avez pas répondu sur les cathos…

Les cathos représentent un tout petit électorat, plutôt de droite, et qui l’est de plus en plus. Il a basculé il n’y a pas très longtemps sur des questions identitaires, en particulier sur l’islam, sujet sur lequel les cathos sont de plus en plus énervés. Je suis convaincu que le positionnement clair de Fillon sur le problème de l’islam et de l’islamisme en France a été l’une des clés de sa victoire.

Pouvez-vous établir des distinctions claires entre les électorats de Fillon et de Juppé ?

Il faut revenir sur la dimension géographique. Juppé est le candidat des métropoles mondialisées. Il réalise ses plus gros scores dans sa région, qui se trouve être l’une des dernières régions de gauche, mais aussi à Paris, Toulouse, Strasbourg où, au premier tour, il est arrivé en tête ou avec un meilleur résultat que sa moyenne nationale, sans oublier la Seine-Saint-Denis. Bref, Juppé a très largement capté l’électorat bobo et immigré des métropoles mondialisées.

Donc sociologiquement, le clivage entre les gagnants et les perdants de la mondialisation se reproduit à l’intérieur de la droite ?

Bien sûr ! Juppé s’est adressé aux populations qu’il connaît le mieux, et il a fait la campagne Terra Nova. Mais quand il croit que les métropoles et la France c’est la même chose, il est complètement décalé ! Si on ajoute les tentatives de certains de ses partisans pour hitlériser Fillon entre les deux tours – réaction normale de gens de métropole ! –, on se dit que Juppé, Hidalgo, même combat !

Sarko ne vient pas non plus de Guéret, mais il sait qu’on ne gagne pas sans les classes populaires. Les petites villes ont-elles plutôt voté Fillon ?

Oui, bien sûr. Fillon a compris où se trouvait son électorat classique. Certes il y a une population, pour le coup bourgeoise, de l’ouest parisien, qui vote à droite depuis toujours et qui a voté pour lui. Mais le socle électoral de la droite se trouve surtout en province, dans les petites villes, les zones rurales. L’Ouest catholique a voté en masse pour Fillon…

Donc, c’est un peu la France périphérique tout de même !

Bien sûr. Dans la France périphérique, il n’y a pas que des prolos paupérisés…

En ce cas, Fillon aurait-il fait du contre Terra Nova avec la Manif pour tous dans le rôle de la jeunesse immigrée ?

En tout cas, Fillon a compris que la stratégie Terra Nova était perdante. D’un certain point de vue, c’est un Trump français car il a aussi compris que les prescripteurs d’opinion, qui sont tous dans les métropoles, soutiennent comme un seul homme le candidat qui va perdre. Pendant la primaire, ils étaient tous derrière Juppé…

Maintenant, ils vont essayer de faire de Fillon le nouvel épouvantail. Le Monde a déjà commencé avec « La révolution conservatrice ».

Les médias, poussés par la gauche, imaginent qu’ils vont inventer un nouveau Sarko qui s’appellera Fillon, parce que ça marche comme ça depuis quinze ans en France. Sauf que la ficelle est trop grosse !

Si Fillon reste sur son socle de droite et que, de l’autre coté, Mélenchon et le FN draguent le prolo, l’élection de 2017 verra-t-elle ressusciter la lutte des classes ?

C’est ce qui se dessine. Allons plus loin et imaginons un deuxième tour Fillon/Le Pen : ce serait un retour du clivage droite/gauche avec le FN dans le rôle de la gauche étatiste défendant les services publics. En somme, ce serait Giscard contre Marchais… Raison pour laquelle je crois que l’élection de Fillon est une divine surprise pour le FN. Et en diabolisant Fillon alors qu’elle devra peut-être demain appeler à voter pour lui, la gauche se complique la tâche. Il y aura un électorat de gauche qui ne se déplacera pas pour défendre le « Front républicain » et un autre, à la marge, qui votera FN. Beaucoup de petits fonctionnaires, cadres B ou C, ont déjà basculé.

Avec le FN dans le rôle de la gauche : vous allez vous faire des amis. Un dernier mot sur les médias : ils parlent de moins en moins au grand nombre et semblent s’en accommoder. Ont-ils, eux aussi, décidé de se passer de ceux qu’Orwell appelait « les gens ordinaires » ?

C’est une question de distance mentale. La France des prolos et des petits Blancs, c’est loin. Si ces gens pouvaient aller à la pêche les jours d’élections, tout irait tellement mieux.[/access]

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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