Accueil Monde « Castro a mis en scène sa défaite de façon très efficace »

« Castro a mis en scène sa défaite de façon très efficace »


« Castro a mis en scène sa défaite de façon très efficace »
Manifestation en hommage à Fidel Castro, décembre 2016. SIPA. AP21984034_000275
Manifestation en hommage à Fidel Castro, décembre 2016. SIPA. AP21984034_000275

Causeur: Même si l’on considère Fidel Castro comme le pire des tyrans, il semble être resté assez populaire à Cuba jusqu’à sa mort. Comment pouvez-vous expliquer cela ?

Olivier Languepin:[1. Olivier Languepin est journaliste. Il fut correspondant à Cuba pour L’Evènement du jeudi de 1998 à 2000. Il est l’auteur de Cuba, la faillite d’une utopie (Gallimard, 1999).] Je n’ai aucune idée de la popularité de Fidel Castro. Il n’y a jamais eu d’élections, elle est donc très difficile à mesurer. Critiquer le régime peut vous valoir dix ou quinze ans de prison. Quand j’étais à Cuba, je n’avais pas l’impression que Castro était si populaire que ça. J’avais surtout l’impression qu’il était craint mais respecté en tant que personnage historique et charismatique. Si beaucoup lui ont rendu hommage à Cuba, c’est parce que c’est un personnage qui s’est confondu avec l’histoire de son pays, et qu’il y en a peu comme ça.

Il n’est plus là et son frère a 85 ans. Qui peut incarner l’avenir à Cuba ?

C’est très difficile à savoir car, encore une fois, il n’y a pas eu d’élections depuis près de soixante ans. Pour savoir ce que veulent les Cubains, il faudrait leur donner la parole. Presque toutes les dictatures communistes ayant fini par faire des élections, il pourrait en être de même à Cuba.

Selon un rapport de l’UNICEF qui date de 2012, que ce soit sur le plan de l’espérance de vie, de la mortalité infantile, de l’alphabétisation ou de l’accès à l’eau potable, Cuba a de meilleurs résultats qu’Haïti, la République dominicaine, le Mexique, ou même l’Uruguay. N’êtes-vous pas un peu sévère avec ce régime ?

Non. L’argument de la santé est souvent avancé, mais avant la Révolution c’était déjà le cas. Cuba était déjà l’un des pays les plus avancés de la région, loin devant l’Uruguay ou l’Argentine. Le PIB par habitant était proche de celui de l’Italie. Le socialisme n’a produit que de la misère, à Cuba comme dans les autres pays communistes. Elle était seulement moins visible à Cuba et surtout, elle était mise en scène. Je pense que c’est la grande victoire de Fidel Castro. Il a réussi à mettre en scène sa défaite de façon extrêmement efficace. Il a fasciné un certain nombre de gens en Occident. Ces derniers ont fermé les yeux, que ce soit sur le plan de l’échec économique ou des droits de l’homme.

Sur le plan des droits de l’homme justement, le dernier rapport d’Amnesty international cite la Commission cubaine des droits humains et de la réconciliation nationale qui affirme que 8600 cubains ont été placés en détention arbitraire cette année. Mais dans d’autres pays voisins, ce n’est pas non plus brillant : au Mexique, par exemple, plus de 22 000 personnes étaient portées disparues en 2014…

Certes, mais il est difficile d’évaluer le nombre exact de prisonniers à Cuba : il n’y a pas de données publiques. En rapportant le chiffre que vous donnez à la population, le taux d’emprisonnement y reste un des plus élevés au monde. Aujourd’hui encore, le régime reste très répressif. Quand j’étais là-bas, deux jeunes ont essayé de détourner un bateau pour partir à Miami et ont été fusillés tout de suite. J’ai aussi vu des amis journalistes prendre vingt ans de prison simplement pour avoir dit dans un reportage qu’il manquait des médicaments dans les hôpitaux et que ce n’était pas seulement dû à l’embargo…

Et quel est selon vous le poids de cet embargo dans la situation économique cubaine ?

Je pense qu’il doit jouer pour 10 % environ dans l’échec cubain. Sur le plan des médicaments et de la nourriture, les Cubains peuvent maintenant tout acheter aux Etats-Unis. L’embargo est une vraie passoire. En importations alimentaires, le principal partenaire commercial de Cuba, ce sont les Etats-Unis. Et s’ils ne peuvent pas se procurer un produit directement aux Etats-Unis, ils peuvent l’acheter au Mexique. En revanche, l’embargo fait que Cuba reste exclu des organismes financiers comme le FMI. Si Cuba pouvait faire partie de ces organismes, le pays pourrait probablement accéder à des financements, de la part de la Banque Mondiale par exemple.

Le président élu des Etats-Unis, Donald Trump vient de déclarer : « si Cuba ne veut pas sceller un meilleur accord pour le peuple cubain, le peuple américano-cubain et les Etats-Unis dans leur ensemble, je mettrai fin à l’accord ».  Comment interprétez-vous cette déclaration ?

Je ne comprends pas pourquoi les Etats-Unis s’entêtent dans cet embargo qui n’est jamais parvenu à affaiblir Castro. Dans le cas de Trump, c’est surtout un débat de politique intérieure : ça lui permet de séduire l’électorat anti Castro. Mais rationnellement, je ne vois pas ce qui justifie l’embargo. Comme je vous l’ai dit, c’est une passoire. Par ailleurs, les Etats-Unis font du commerce avec la Chine, avec le Vietnam, avec des pays qui, au niveau des droits de l’homme, sont au même niveau, ou pires, que Cuba.

On a l’impression que Cuba n’a le choix qu’entre l’isolement autocratique sur fond d’embargo et tomber à nouveau sous la coupe des Etats-Unis. Y a-t-il une alternative à ce dilemme ?

Oui, la mort de Fidel Castro pourrait débloquer quelques initiatives. Son frère Raul est beaucoup plus pragmatique. Je pense que, lui, n’hésiterait pas à s’orienter vers un modèle chinois, où il y aurait à la fois un développement économique favorisé par l’initiative privée et un maintien de la répression et du pouvoir communiste en place. Mais cela dépend des luttes d’influences qu’il y a au sein du parti communiste cubain. Pour qu’il existe une véritable alternative à ce que vous dites, il faudrait que Cuba devienne un pays indépendant, ce qui n’a jamais été vraiment le cas. Avant la Révolution, Cuba était sous influence américaine, après elle est passée sous influence soviétique, puis chaviste. Il faudrait que Cuba prenne vraiment son destin en main : c’est un pays qui a des possibilités extraordinaires. Il faudrait qu’il y ait des changements suffisamment importants pour que ça devienne un pays démocratique et développé, à l’image du Costa-Rica ou de l’Uruguay.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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