En pleine cure d’opposition, alors que le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo engrange le vote populiste, la Ligue du Nord hésite entre deux stratégies. Depuis quelques années, son président Matteo Salvini tente de nationaliser le mouvement en mettant sous le boisseau ses revendications régionalistes pour en faire un grand parti populiste (anti-euro, anti-immigration, anti-austérité) sur le modèle du Front national. Mais certains caciques ne l’entendent pas de cette oreille : ainsi, Roberto Maroni, ancien ministre de l’Intérieur et gouverneur de Lombardie, voudrait poursuivre l’alliance avec le centre-droit berlusconiste.
Toute coïncidence avec les débats stratégiques qui secouent le FN n’est pas seulement fortuite. Car les millions d’électeurs LR qui ont adoubé François Fillon n’appartiennent pas aux classes populaires les plus fragiles, désormais dévolues au parti de Marine Le Pen. Vérité en deçà des Alpes, erreur au-delà ? Le grand spécialiste du populiste Marco Tarchi nous offre son éclairage.
Daoud Boughezala. Sous sa forme actuelle ou future, la Ligue du nord aspire-t-elle à diriger le bloc de centre-droit à partir de son flanc droit ?
Marco Tarchi[1. Professeur de sciences politiques à l’université de Florence, Marco Tarchi est l’un des plus grands spécialistes européens du populisme.] La Ligue, actuellement, essaie d’exploiter le vide qui s’est ouvert sur la partie de droite de l’échiquier électoral après le déclin de Berlusconi. Elle a quand même un obstacle devant elle, car Berlusconi avait créé une coalition de centre-droit contre la gauche en rassemblant des sensibilités très différentes, voire opposées. Plus spécifiquement, la composante centriste est opposée aux positions de la Ligue sur plusieurs sujets (immigration, islam, politiques économiques de rigueur, euro etc.). Une alliance avec Forza Italia ne suffirait pas à obtenir une majorité et donnerait une image très hétérogène de cette coalition.
Au sein de la Ligue, Roberto Maroni, ancien ministre de l’Intérieur, et Mateo Salvini s’affrontent-ils sur la stratégie ou l’idéologie ? Il se dit que Salvini voudrait créer une sorte de FN italien sous la forme d’une fédération…
Maroni a montré, lors de son accès à la direction de la Ligue, qu’il voulait débarrasser le mouvement de ses aspects plus strictement populistes, pour en faire une sorte de « syndicat du Nord » au sein de la coalition de centre-droit, tandis que Salvini joue ouvertement la carte du rassemblement populiste, en essayant d’imiter ses alliés au parlement européen (FN, FPÖ, etc.). La limite de cette opération est l’attrait qu’exerce Grillo sur une grande partie des électeurs de mentalité populiste. Le différend Maroni-Salvini est aussi bien stratégique qu’idéologique, mais, pour l’instant, reste assez caché au grand public.
Alors que la Ligue et l’ex-MSI (pour partie devenu Fratelli d’Italia) ont participé aux gouvernements Berlusconi, pourquoi le Front national, bien moins sulfureux, reste-t-il ostracisé ?
Cela dépend évidemment de la configuration des deux systèmes politiques, dont les différences dépendent surtout des lois électorales. Le FN voit son poids électoral écrasé par le système majoritaire à deux tours, alors que, en Italie, afin de s’assurer une majorité parlementaire, il faut faire des alliances. Et tout au long de la prétendue « deuxième république » (c’est-à-dire à partir de l’effondrement du système partisan traditionnel, en 1993, jusqu’à aujourd’hui) le centre-droit a dû se plier à cette évidence, en acceptant de « dédouaner », donc de légitimer, les néofascistes du MSI, qui ont accepté ce jeu au prix d’une progressive atténuation des leurs fondements idéologiques, que Gianfranco Fini a presque effacés.
A mesure que la question de l’immigration gagnera en importance dans le pays, une Ligue du Nord fédéralisée sera-t-elle en mesure de supplanter le Mouvement 5 étoiles comme premier parti populiste ?
Je n’en suis pas sûr, car le Mouvement 5 étoiles est bien plus efficace qu’elle sur l’autre thème qui mobilise les électeurs de tendance populiste: la critique de la corruption, de la politique politicienne, des oligarchies économiques, politiques et intellectuels. La LN, dès son entrée dans des coalitions de centre-droit, a négligé ces aspects essentiels, et cela a favorisé le mouvement de Beppe Grillo.
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