Daoud Boughezala. Vous avez au moins un point commun avec Causeur : France Inter vous exaspère ! Avez-vous été débarqué de l’antenne de juin 2015 pour des raisons politiques ?
François Rollin. Mon éviction est d’abord due au tempérament autocratique de Patrick Cohen. C’est un peu le roi de la matinale. Parmi les humoristes, qu’il considère comme une verrue collée à sa matinale, il dit qui lui plait et qui ne lui plait pas. Peut-être n’avais-je pas fait assez de courbettes… D’un autre côté, sur le fond, la ligne de France Inter est celle d’une bien-pensance absolue. Le jour où Manuel Valls a emmené ses enfants en avion voir un match de foot à Berlin, c’est tout juste si Cohen n’a pas fait une émission spéciale sur cette question pour exprimer l’indignation du peuple français alors que je trouvais cette affaire tout à fait dérisoire et que j’ai eu l’effronterie de le dire à l’antenne. Mais à Inter, il faut faire assaut de vomissements indignés dès qu’on évoque l’extrême droite et de couplets compassionnels dès qu’on évoque la banlieue, il faut être un comique aligné, sous peine de bannissement.
Pour qualifier la dérision des « matons de Panurge » (Muray) prêts à dégainer au moindre faux pas, notre ami Alain Finkielkraut parle d’« humour de meute »…
J’avais fait une conférence avec Finkielkraut à Strasbourg. Comme il ne me connaissait pas et qu’il s’en prenait assez violemment à certains humoristes, il s’attendait à ce que je m’indigne et le traite de fasciste. Sauf qu’on était parfaitement d’accord ! L’humour agressif représente un créneau commercial. On revient au vieux système des chansonniers que j’ai toujours détesté : la chanson du ministre, recyclage à chaque gouvernement à condition de changer le nom du ministre tout en gardant les mêmes paroles…
C’est à un ancien Premier ministre, François Fillon, que Charline Vanhoenacker, l’humoriste vedette de France Inter, s’en était pris dans L’émission politique sur France 2. Il semblerait que la réaction inattendue de Fillon, fustigeant le mélange des genres entre dérision et politique, lui ait été électoralement bénéfique…
L’émission politique – François Fillon : Sa… par nonstopzappingofficiel
Je dis bravo à Fillon. Lors d’une précédente émission, j’avais vu Sarkozy face à Charline Vanhoenacker. Même s’il n’est pas de mon bord, et bien que je n’aie pas une grande sympathie pour lui, j’avais envie de lui souffler de répondre à Charline d’aller amuser les gosses. Cette fille n’est pas méchante, mais simplement, poussée par des animateurs télé en mal d’audience, elle se croit autorisée à donner des leçons de bonne conduite à tout le monde. Même face à Philippot, ça m’énerverait ! Fillon a probablement dit ce que le public pensait. C’est ce qu’avec Finkielkraut, on voulait dire aux hommes politiques : « Battez-vous ! Ne vous sentez pas obligés de rire, ne vous laissez pas insulter par des gens bien moins compétents que vous et qui gagnent très bien leur vie à vous ridiculiser ! »
Passons à votre spectacle, Le Professeur Rollin se re-rebiffe, qui offre une bonne tranche de rire. J’ai découvert votre univers solaire et onirique grâce à Palace puis aux spectacles d’Edouard Baer. Or, vous vous aventurez désormais sur le terrain politique, quitte à parler islam, immigration et intégration sans toujours prendre de gants. Pourquoi cette incursion en politique ?
C’est le tournant que j’ai choisi de prendre il y a deux ans, juste avant l’attentat de Charlie. Je me disais qu’il était difficile désormais de rester totalement en dehors du fait politique, d’autant plus que ce rôle est accaparé, et mal tenu, par une bande d’humoristes bidons, qui parlent une nouvelle langue de bois et ne remettent rien en cause, sans d’ailleurs avoir le moindre fond politique. Aux yeux d’Anne Roumanoff, Charline Vanhoenacker, Gaspard Proust, Mathieu Madenian, Nicolas Canteloup et quelques autres, l’humour semble, sauf leur respect, être essentiellement un produit lucratif. C’est un dévoiement de l’humour, qui doit d’abord être humaniste et émancipateur. Ces comiques pratiquent une forme de dérision bien-pensante, vaguement cynique. Je note depuis deux décennies une baisse de l’humanisme et une hausse du mercantilisme et du clientélisme chez les humoristes.
François Rollin – On n’est pas couché 21… par onpc
Je ne suis pas sûr que la politique fasse tant recette que vous le dites : au cours de votre spectacle, les gens rient surtout de vos envolées dans l’absurde. Par nature, la politique divise le politique…
Il y a deux ans, Gérard Miller m’a dit : « Le personnage du professeur Rollin est tellement bien, pourquoi mettre tous ces passages sur l’immigration et le racisme ? » C’est plus une parole de bien-pensance qu’une remarque de fond, de celles que pourrait me faire un metteur en scène par exemple. Beaucoup de gens préfèreraient que je n’aille pas sur ce terrain, notamment les journalistes de L’Obs qui considèrent que c’est leur chasse gardée. Autant je peux parler de saucisson, ou de plume dans le cul, autant je devrais laisser le reste aux spécialistes… C’est un point de vue que je ne partage pas.
Au théâtre L’Européen, vous vous produisez juste avant D’Jal, un humoriste issu du Jamel Comedy club. A vue de spectateur, vos publics n’ont pas grand-chose à voir… Le sien s’étranglerait peut-être en entendant certains propos que vous tenez sur l’Islam.
Il ne faut rien exagérer : j’ai beau rester un artiste extrêmement marginal, donnez-moi la salle de D’jal, et je la ferai rire plus que D’jal lui-même ! Chaque fois qu’il m’est arrivé de remplacer un comique populaire au pied levé, j’ai pu montrer que mon comique est tout sauf élitiste! Si les spectateurs de Gad Elmaleh ou de Florence Foresti viennent me voir, ils resteront et ils auront raison, parce que – je le dis sans modestie – c’est plus drôle, plus intelligent, plus innovant et mieux écrit. Le problème, c’est qu’ils ne viendront pas…
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