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Si Paris m’était filmé


Si Paris m’était filmé
Louis de Funès (à dr.), et Bourvil dans "Le corniaud" (Wikipédia)
corniaud Paris
Louis de Funès (à gauche.), et Bourvil dans « Le corniaud » (Wikipédia)

Les réalisateurs sont-ils des fainéants de première ou d’irréductibles pragmatiques ? Quand ils sont à cours d’inspiration, comme, par exemple, trouver un décor original pour une scène, ils ont recours à la solution miracle, la martingale, la vieille ficelle qu’on ressort comme une bouée de sauvetage : filmer Paris ! Il suffit d’avoir dans son viseur le Louvre, les Champs-Elysées, l’Etoile, la Concorde, les Quais de Seine et même cette Tour boulonnée maintes fois visionnée pour que déjà son film commence à ressembler à quelque chose. Malgré la prolifération des zones piétonnes et la festivité aiguë, maladie des métropoles mondialisées, Paris évitera toujours aux indélicats de commettre trop de fautes de goût. Braquer sa caméra sur le 36, Quai des Orfèvres, un matin brumeux d’automne et votre polar poussif prendra forme, les acteurs se mettront au diapason de l’atmosphère, ils joueraient presque juste pour une fois.

Un effet « Paris »?

C’est prouvé scientifiquement, prenez deux comédiens, un homme et une femme au talent moyen, qui ne brillent ni par leur aura, ni par leur physique, faites-les marcher sur le boulevard Arago, une nuit chaude d’été, avec la Prison de la Santé en point de mire, vous obtiendrez une comédie romantique torride non dénuée d’une dimension sociale. Télé 7 Jours et Télérama sont aux anges. Avez-vous déjà vu Jean-Paul Belmondo, mains dans les poches, cigarette au bec et galurin sur la tête remontant les Champs dans A bout de souffle aux côtés d’une Jean Seberg moulée dans un tee-shirt blanc avec cette inscription « New York Herald Tribune » qui rendit le quotidien si érotique ?

Longtemps après, la seule évocation de ce journal faisait défaillir les amoureux de cinéma et de Paris. Les américaines aux cheveux courts qui demandent « innocemment » : « qu’est-ce que c’est dégueulasse ?» ne s’oublient pas si vite. Pour cette promenade, munissez-vous d’un guide, celui paru en 2011 de Durant et Pérez fera l’affaire. Il est taquin ! Vous ne pourrez pas faire l’impasse sur les scènes patrimoniales comme l’accrochage du Corniaud entre la 2CV de Bourvil et la Rolls Silver Cloud conduite par l’irascible de Funès, Place du Panthéon dans le 5ème ou sur le mythique Hôtel du Nord, 102 quai de Jemmapes dans le 10ème. Les auteurs nous révèlent que « le film ne fut pas tourné sur place mais sur le terrain jouxtant les studios de Boulogne-Billancourt où le décorateur Alexandre Trauner construisit une réplique fidèle non seulement de l’hôtel mais aussi du canal Saint-Martin ».

N’oubliez pas le guide !

Les anecdotes ne manquent pas. Le 45, rue Poliveau (5ème arrondissement) scandé avec joie et menace par Gabin dans La Traversée de Paris se situe en fait au 13 ! Dans le film, Bourvil « n’entre pas au 45 mais au 13 de la rue Poliveau ». Ce mystère vient s’ajouter à la féérie et à la drôlerie de cette scène désormais culte. Pour les touristes de passage, le guide (sous le bras) deviendra un formidable compagnon de voyage. Certaines adresses vous feront lever le nez sur des immeubles et vous souvenir d’une actrice, d’une musique de film, tous ces minuscules détails qui rendent la vie plus douce. Claude Sautet avait ainsi élu domicile au 15, avenue des Gobelins dans le 5ème de 1953 à 2000, Georges Géret, acteur splendide, résidait au 2, Place Constantin Pecqueur (18ème) et comment oublier le 25, Place des Vosges attaché pour toujours à Annie Girardot ou le 4, rue Victor Considérant (14ème) où Jean-Paul Belmondo passa son enfance dans l’atelier de sculpture de son père. Et que dire des hôtels, celui de la Trémoille (14, rue de la Trémoille dans le 8ème) et sa célèbre chambre 102 où Michel Audiard se mettait au vert pour écrire des dialogues colorés. Jean Carmet balluchon sur l’épaule venait y prendre sa douche et partager un petit-déjeuner. L’Hôtel Baltimore, 88 bis Avenue Kléber (16ème), avait la préférence de Jean Gabin. Voyagez dans ce Paris du cinéma est une façon économique, culturelle et passionnante de (re)découvrir la Capitale. Prenez un arrondissement au hasard, le 13ème de notre bien-aimé Fajardie, chaussez des souliers confortables et marchez !

Commencez par les extrémités, la lugubre et très cinématographique, rue Watt de Flic Story (1975), remontez par l’Avenue de Choisy, au numéro 168, le délicieux Charles Denner y résidait. Vers le Boulevard de l’Hôpital, au 25, bis rue Jenner, vous rencontrerez, peut-être, l’ombre du stetson de Melville. Il y avait installé ses studios avant qu’ils ne brûlent dans un incendie en 1967, écoutez bien, il arrive dans sa grosse voiture américaine. Poussez jusqu’à la Gare d’Austerlitz, souvenez-vous de la Renault 14 d’Annie Girardot ! Le commissaire Tanquerelle de Tendre Poulet (1977) déboule sur le quai et fait stopper le train dans lequel Philippe Noiret alias Antoine Lemercier, professeur de grec ancien à la Sorbonne lit le journal en compagnie de son mainate qui s’appelle Augustin le bel oiseau…Bon voyage !

Le Paris du cinéma de Philippe Durant et Vincent Pérez – Guide illustré de la Ville Lumière – 800 adresses liées au septième art – Editions Favre –

Le paris du cinéma

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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