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Je vote « Un homme et une femme »


Je vote « Un homme et une femme »
Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée dans "Un homme et une femme"
Lelouch un homme et une femme
Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée dans "Un homme et une femme"

Ce week-end, vous avez le choix: aller voter à la primaire de la droite et du centre ou (re)voir Un homme et une femme qui ressort dans quelques très rares salles de cinéma, à Paris et en province. Six hommes et une femme d’un côté, Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée de l’autre. Les lumières blafardes des bureaux de vote ou les flous du crachin normand. La promesse de l’isoloir ou le confort des fauteuils rouges. Les gesticulations des candidats ou les accélérations de la Ford Mustang au Rallye de Monte-Carlo. Elkabbach ou Gérard Sire au micro. Le déluge des arguments ou la pluie des sentiments. Le brouillard des idées ou la chamade sur la plage. Blablabla ou chabada-bada.

Mai 1966

Le jeu comico-tragique du pouvoir ou la beauté éternelle d’un couple de cinéma. Des élus en mal d’amour face à deux acteurs qui ont conquis le cœur du public en mai 1966, sans prendre le chemin des urnes. Sous leur costume, les candidats joueront leur avenir électoral, peut-être même, notre destin national. Sur l’écran, une samba brésilienne au rythme des essuie-glaces bercera le spectateur dans les méandres du passé. La nostalgie n’est pas un crime, juste une nécessaire respiration après cette année tragique. Alors, voter Lelouch ce week-end, c’est choisir la fiction au risque de passer pour un enfant gâté. Vivre pour vivre ! Refuser les mots déficit public, croissance, budget, sécurité, retraite, environnement, éducation, Trump ou Brexit pendant 1 heure et 42 minutes, aura toujours des vertus réparatrices et évitera de dire trop de conneries. Une façon bravache et sentimentale de résister au bulldozer médiatique.

Une forme de sursaut citoyen aussi. Tous les postulants alignés dans ce tour de chauffe présidentiel ne pourront jamais égaler le charme d’un film tourné en treize jours, il y a cinquante ans, pour l’équivalent de seulement 300 000 euros. Une somme à faire pâlir un directeur de comptes de campagne pour un carton au box-office : 4 269 653 spectateurs français et une flopée de récompenses internationales (une Palme d’Or, deux Oscars, deux Golden Globes, etc…). L’un des films les moins chers de son époque allait emporter une Nouvelle Vague et faire de l’identité française, une exception culturelle. Cette identité n’était pas alors contenue dans des traités ou des essais, comprimée à l’usage des dépressifs, dégainée à la faveur d’un camp ou d’un autre. Indéfinissable par nature, instable par tempérament, elle s’infiltrait dans les interstices. A la fois moins dogmatique qu’on le pense et plus sensuelle qu’on l’imagine, elle donnait au reste du monde, une allure, une audace, une fragilité, un élan, une leçon de dignité que nos hommes politiques ont bien du mal à saisir. Parmi ce club des 7, on espère que l’un d’entre eux a pu être touché par la grâce de cette rencontre. Quand deux solitudes s’unissent sur le perron d’une pension et que la caméra de Lelouch fait danser la valse des rapprochements.

Montmartre 15-40

Comment peut-on être imperméable à ces images fugaces de notre singularité jadis triomphante ? Il suffit d’apercevoir la toile de Jouy de l’hôtel Normandy, une silhouette de Giacometti en bord de mer, l’anneau de Linas-Montlhéry, les vestes en col de mouton, la rue Lamarck dans la grisaille des sixties, l’Autoroute de l’Ouest ou bien encore d’écouter la poésie de Vinícius de Moraes, d’entendre la musique de Francis Lai, la voix de Pierre Barouh et celle, inoubliable et pénétrante, d’Anouk donner son numéro de téléphone : « Montmartre 15-40 » pour que l’espoir d’un monde meilleur se dessine. La genèse de cette « Belle histoire » est désormais inscrite dans notre roman national. Après une série d’échecs, Lelouch, sans le sou et le vague à l’âme, décide de partir seul en direction de la Normandie. « J’étais au bout du rouleau. Je me suis retrouvé sur les Planches de Deauville. Crevé, je me suis endormi dans ma voiture. Le soleil me réveille. La lumière est sublime, la marée basse incroyable. Je sors, je respire un grand coup. Puis, je vois, très loin, une femme élégante qui marche avec un enfant et un chien » se souvient-il. Un homme et une femme était né.

L’humanité est sauve.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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