Anne Hidalgo en est fière : Paris, ne cesse-t-elle de répéter, est un laboratoire. De quoi, on ne sait pas et peu importe, ce qui compte, c’est d’innover. Autrefois, une ville était une terre de sociabilité indécise, où on pouvait échapper par l’anonymat au qu’en-dira-t-on villageois ; on y réalisait des travaux sales qui font de la poussière ou de la fumée ; on y vivait des rencontres, intrigues et conflits. Bref, c’était un haut lieu de la comédie sociale et, pour tout dire, de la vie adulte. Depuis qu’on nous invite fermement à les reconquérir, les villes sont des terrains de jeu où les grands enfants qui nous gouvernent testent toutes les âneries qu’ils appellent modernité. La ville protégeait l’intimité, elle prétend désormais l’exposer.
Il n’est pas certain qu’Anne Hidalgo ait lu Philippe Muray. Et lui, malheureusement, n’a pas eu le bonheur de la croiser, car elle aurait assurément été, avec Najat Vallaud-Belkacem, l’une de ses favorites. Mais sans l’avoir jamais vue, il la connaissait bien. Voici ce qu’il écrivait en septembre 2003 : « Les néo-vivants […] ne connaissent pas de plus bel idéal que de se baigner dans le béton des berges de la Seine, d’organiser des pique-niques champêtres au milieu des crachats des trottoirs, d’inventer de nouvelles conduites citoyennes dans les escaliers d’immeubles, de s’ouvrir aux arts de la rue comme à leurs voisins […] de suivre des chemins de traverse dans des coulées vertes ou des promenades plantées, de regarder pousser des tomates, de la ciboulette altermondialiste et de la coriandre atypique dans les nouveaux petits jardins collectifs des Épinettes, de fréquenter les fermes alternatives du canal Saint-Martin, en attendant le retour des arbres sur le parvis de la mairie de Paris… »[access capability= »lire_inedits »]
Or cette litanie, inventée il y a quinze ans sous le régime de l’exagération comique, évoque très fortement le programme de la municipalité actuelle. Ainsi le bon peuple est-il aujourd’hui autorisé à cultiver quelques carrés de verdure entourant les arbres. Pour la mairie, une ville doit ressembler à la campagne, à la plage, ou à un vaste parc d’attraction. Mais surtout pas à une ville.
Nous voilà donc également sommés de reconquérir les berges de la Seine, désormais interdites aux automobiles après un vote qualifié d’historique. Pour vendre cette proposition qu’on ne peut pas refuser, les socialistes parisiens ont convoqué l’Histoire, évoqué notre retard sur les autres capitales et fait un chantage aux poumons des enfants. Je ne veux aucun mal aux poumons des enfants et je ne souhaite certainement pas voir Paris livrée aux fumées d’échappement et aux embouteillages. Mais qu’on le veuille ou non, une ville est aussi faite pour la circulation automobile et doit pouvoir être traversée, y compris par les ploucs qui ont le grand tort de résider ou de travailler en banlieue, les « suburbains », comme les appelle Nicolas Domenach avec un mépris glacé. La guerre contre la bagnole est d’abord idéologique : elle vise à ériger d’invisibles barrières entre les dans-le-vent, qui font du vélo et vont au marché bio, et les culs lourds accrochés à leurs tas de ferraille. Bien sûr, malgré la propagande éhontée de la mairie, personne, ou presque, ne s’est approprié les berges tandis qu’en surface on fait du sur-place en polluant à tout va.
Mais ce n’est pas tout. Comme si elle voulait achever la transformation de Paris en concept, la municipalité a sorti un autre lapin de son chapeau et fait voter la création d’une zone réservée aux naturistes. Idée faussement transgressive : s’il n’y a pas plus de raison de cacher son sexe que son nez, c’est en effet que le corps est dépourvu de toute charge érotique. Passons.
À ma connaissance, le naturisme prône une forme de retour à la nature. Il s’agit donc, en l’installant à Paris, d’amener la nature en ville – ce qui sera bien plus pratique pour prendre l’air. On pourrait objecter aux promoteurs de cette grande avancée qu’une cité a quelque chose à voir avec la civilité et que le port de vêtements est l’une de ses expressions les plus courantes. Cependant, on ne voudrait pas que les naturistes se sentissent parqués, voire stigmatisés. Le parc qui leur sera alloué ne sera donc « ni privatisé ni clôturé », mais « accessible et visible de tous ».
Si on se rappelle que madame ma Maire, qui se voit en Merkel française, souhaite faire de Paris une ville accueillante pour les migrants, on risque de voir s’entrechoquer les bonnes intentions. On se demande en effet si les réfugiés irakiens ou syriens à qui Anne Hidalgo ouvre les bras apprécieront ce parc naturiste « accessible et visible de tous ». Pas de problème : si ça tourne mal, Hidalgo pourra toujours demander conseil à Cologne.[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !