Lorsque Maarten Zeegers, journaliste néerlandais pour le Volkskrant et NRC Handelsblad, et sa femme syrienne Sarah décident de s’installer dans le quartier de Transvaal, à La Haye, pour des raisons financières, ils découvrent un véritable Molenbeek hollandais : dans cet ancien quartier de la classe ouvrière blanche où il y a aujourd’hui 90% d’étrangers – dont 75% de musulmans -, un appel tonitruant à la prière retentit tous les vendredis et des versets coraniques ont remplacé les affiches publicitaires. Difficile de s’intégrer dans pareil quartier quand on est un trentenaire néerlandais de souche. Sauf à se faire passer pour musulman. Ce qui est plutôt chose aisée pour Maarten Zeegers, un brun aux yeux marrons qui pourrait facilement passer pour un Arabe, et qui connaît de surcroît parfaitement la langue arabe depuis qu’il a couvert la révolution syrienne.
Comment on devient salaf
C’est ainsi que Maarten Zeegers, qui prévoyait alors d’écrire un livre-témoignage sur son expérience, se laisse pousser la barbe, se lève tous les matins à cinq heures pour faire sa prière, mange hallal et va même jusqu’à réciter le Coran dans son bain. Très vite, le journaliste, naguère jugé peu fréquentable parce que non-musulman, se fait de nouveaux amis, qui l’appellent « frère » et sont ravis de l’accueillir dans leur mosquée. Chez les jeunes musulmans du Transvaalkwartier, le salafisme est populaire : la drague n’étant pas autorisée, on se marie très jeune, quitte à se séparer après avoir consommé le mariage ; la musique est proscrite, de même que le maquillage. Des départs pour la Syrie, il y a en déjà eu des dizaines, et cela ne fait que commencer car à la mosquée salafiste Qeba – que Maarten Zeegers fréquente – les prêches sont très virulemment pro-jihad. Si l’imam prêche en néerlandais, s’il est, de l’avis de Marteen Zeegers, « ultra-drôle et ultra-accro à WhatsApp », il n’en est pas moins farouchement opposé à la démocratie – coupable d’être contraire à la volonté d’Allah.
Avec de pareils voisins, l’on comprend que les derniers néerlandais aient déserté le quartier. Pas tous, certes. Maarten Zeegers, en habit de musulman, y est resté trois ans. Le temps pour lui de fréquenter les salafistes d’un peu trop près, et de leur trouver des excuses, eux qui ont « leurs propres idées, leurs propres rêves » et qui sont motivés par la religion mais aussi par la « dimension humaine ». C’est forcément beaucoup plus facile quand les choses vont mal aux Pays-Bas. » Ajoute t-il. « Pas d’emploi, des dettes, un passé dans le monde de la drogue, des délits, … Si en plus, vous avez une motivation religieuse – quand vous mourrez sur place, vous allez au paradis et tous vos péchés sont lavés- le choix est encore plus facile à faire. Je comprends vraiment ces gens-là. Et peut-être… Si j’avais été vraiment musulman, j’aurais peut-être fait le même choix ».
Ce que constate Maarten Zeegers, c’est que les choses vont mal au Transvaalkwartier : les musulmans peinent à s’assimiler et les hollandais préfèrent fuir vers des quartiers où le multiculturalisme est moins prégnant. D’où un repli identitaire chez les musulmans. La suite, c’est le chômage, la délinquance, la drogue, et bien sûr, comme il faut bien s’en sortir laisse t-il à penser, le Jihad. C’est là un glissement un peu dangereux, et nombreux sont les politiciens et les journalistes, en France, qui cherchent aussi à expliquer le terrorisme islamiste par la pauvreté et le rejet. Les réactions médiatiques ayant fait suite aux attentats de Nice sont à cet égard fort significatives : le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) s’inquiète aussitôt après lesdits attentats des « mouvements racistes et identitaires » qui séviraient en France, tandis que le journaliste Edwy Plenel craint une réplique de l’ultra-droite et que d’autre s parlent de renforcer le « vivre-ensemble ». C’est évidemment sous-entendre que le terreau du terrorisme islamiste serait français, tout comme Maarten Zeegers laisse entendre que c’est parce que « les choses vont mal aux Pays-Bas » – comprendre, parce qu’il y a de l’endettement, du chômage, de la précarité, de l’intolérance, du rejet, etc – que le terrorisme fait des émules parmi les populations prétendument rejetées.
Qui exclut qui ?
Il serait de bon ton de rappeler que du temps que le Transvaalkwartier était un quartier d’ouvriers blancs, construit entre 1900 et 1935, l’endettement, la pauvreté, la précarité, voire la condescendance des classes plus riches étaient monnaie courante ; de même faudrait-il se ressouvenir de ce que dans les mêmes années à Saint-Denis les immigrés bretons et espagnols vivaient dans des foyers insalubres où il n’était pas rare d’attraper la tuberculose … Les choses, de ce point de vue, allaient plus mal qu’aujourd’hui. Les gens étaient miséreux, et non point nourris aux allocations. Pour s’en sortir, ils n’allaient pas « faire le Jihad » – ce qui eût été pour eux tout à fait incompréhensible, autant qu’ hors de leur champ culturel et religieux – mais ils travaillaient, s’entraidaient, votaient pour le Front populaire.
Que les choses aillent mal aux Pays-Bas dans les quartiers les plus populaires, qu’il y ait de la pauvreté et de l’exclusion en Seine-Saint-Denis, c’est certain. Mais ce sont des quartiers qui ont connu pire. Aujourd’hui si des musulmans radicalisés issus de ces quartiers réputés difficiles s’envolent pour la Syrie, ce n’est nullement, contrairement à ce qu’affirme Maarten Zeegers, pour échapper à la précarité et à l’exclusion. Ce n’est pas un pays de Cocagne que cherchent les djihadistes, mais un pays guerrier. Ce n’est ni la pauvreté ni l’exclusion qu’ils cherchent à tout prix à éviter, mais la fréquentation des chrétiens, des juifs, des athées, bref de tous les infidèles. Ces gens-là ne veulent pas du vivre-ensemble. Et ni les Néerlandais ni les Français ne sauraient être coupables d’intolérance envers des soldats étrangers qui – au nom de l’Islam – veulent détruire leur civilisation et leur peuple.
Maarten Zeegers lui-même devra bien convenir que, depuis la sortie de J’étais l’un d’eux en avril 2015, et surtout depuis qu’il s’est dévêtu de ses habits de salafiste, il n’est plus le bienvenu à la mosquée Quba du Transvaalkwartier. Il est allé vivre dans une autre ville. Preuve, s’il en est encore besoin, qu’au Transvaalkwartier on préfère l’entre-soi, et que là-bas comme en France, le vivre-ensemble n’est qu’un leurre.
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